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☆ ☆ « La banque centrale européenne pourrait très bien annuler la dette des Etats, cela aurait des effets positifs sur l’activité ». Pourquoi cela est fortement incomplet ?

On entend souvent dire, de sources non sérieuses mais aussi de sources sérieuses (voir Patrick Artus ici par exemple), que la Banque Centrale Européenne pourrait très bien annuler la dette de certains Etats pour faire diminuer le ratio d’endettement de ces derniers. Souvent non-mentionné, cette proposition revient en fait à demander à la BCE de fonctionner durablement avec un niveau de capital foncièrement plus faible si ce n’est négatif, ce qui est en soit un débat houleux. Explications.

 

 

Imaginons qu’une banque centrale rachète 1 milliard de dettes publiques de son Etat et décide de les annuler. Cela veut dire que l’Etat n’aura plus à rembourser les 1 milliard de dettes publiques: sa dette explicite à rembourser diminue donc. On pourrait s’arrêter là et en déduire qu’une telle opération ferait diminuer la dette publique, actuellement l’un des problèmes numéro 1 en zone euro. Or ce raisonnement n’est que partiel. Si la banque centrale annule ces 1 milliard de dette, cela veut dire que la banque centrale devra elle-même renoncer à terme à 1 milliard d’euros de rentrées budgétaires qui lui étaient initialement promis. Elle a acheté un titre lui garantissant 1 milliard d’euros que le créancier (l’Etat) ne va finalement pas lui rembourser. La banque centrale fera donc une perte financière, comme une banque normale ferait une perte financière en cas de non-remboursement de l’emprunteur. Comme une banque commerciale, la perte enregistrée par la banque centrale va être in fine amortie par son capital. La banque centrale se retrouvera alors avec un capital diminué de 1 milliard d’euros.

 

Que se passe-t-il ensuite ? D’un point de vue théorique, une banque centrale faisant des pertes au capital est censée être recapitalisée par l’Etat. Appliquons cela au cas de la BCE : les Etats qui ont d’abord « gagné » 1 milliard d’euros devront en partie renoncer à 1 milliard d’euros dans le cadre de la recapitalisation de la banque centrale[1]. 1 milliard moins 1 milliard = 0. L’annulation de la dette n’aura produit aucun effet majeur à terme[2].

 

La seule façon dont une annulation de dette pourrait changer quelque chose serait dans le cas où la Banque Centrale n’aurait pas besoin du niveau de capital qu’elle possède. Mais dans ce cas il n’y a aucun besoin de passer par l’annulation de dette : il suffirait simplement de demander à la Banque Centrale de transférer son capital « excédentaire » aux Etats[3]. L’annulation de la dette n’est donc théoriquement parlant qu’une chimère prenant le problème dans le mauvais sens. Demander l’annulation d’une partie de la dette par la banque centrale revient à demander à la banque centrale d’avoir un capital plus faible si l’on veut que cela ait un impact sur la dette explicite de l’Etat. Cela revient donc implicitement à soutenir l’un de ces deux arguments : la banque centrale a un capital trop élevé, ou le capital de la banque centrale ne lui est pas utile. Le premier est difficile à juger, les banquiers centraux eux-mêmes planchant depuis de nombreuses années sur la question des besoins en capital d’une banque centrale. Le deuxième est théoriquement valide dans un monde idéal seulement ; en pratique le besoin d’indépendance financière des banques centrales tout comme leur crédibilité en dépendent souvent.

 

C’est sur ces deux derniers arguments que le débat devrait donc se concentrer lorsque l’idée d’« annulation de la dette par la banque centrale » est proposée. En ignorant ces débats, ce type de proposition parait clairement idéaliste, plaçant le curseur au mauvais endroit.

 

 

 

Julien Pinter

  @JulienP_BSI

 

 

 

Notes


[1] En pratique, ces sont les banques centrales nationales qui se verront obligées de recapitaliser la BCE, et elles-mêmes ne redistribueront de ce fait pas de profits à leur Trésors respectifs comme elles le font habituellement. Elles « priveront » donc les Trésors publics de ces 1 milliard d’euros. Cette modalité ne change rien au raisonnement présenté ci-dessus, ces deux mécanismes étant équivalents à terme.

[2] Sauf bien entendu si les titres annulés ne sont pas proportionnellement répartis suivant la contribution de chacun des pays au capital de la BCE…

[3] Voir par exemple les arrangements effectués par le Trésor Américain avec la FeD en 1997 et en 1998 http://www.gao.gov/assets/240/235606.pdf