Il est coutume courante d’entendre dire que « l’inflation réduit la dette ». C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles certains soutiennent qu’une inflation plus élevée en Europe aurait des répercussions positives sur l’économie dans un contexte d’endettement excessif des Etats. Quel est le mécanisme sous-jacent à cette affirmation ?
Supposons qu’un Etat ait une dette de 1900 milliard d’euros (la dette de l’Etat français à la fin du 3ème trimestre 2013). Supposons que les voitures aient un coût moyen de 10 000 euros, la baguette de pain un prix moyen de 1 euro, l’essence à la pompe un prix de 1,70€ le litre. Supposons que, dans un an, tous les prix doublent en France. Les voitures ont donc maintenant un coût moyen de 20 000 euros, la baguette de pain un coût de 2 euros, l’essence un prix de 3.4€ le litre. Si les prix doublent, les rentrées fiscales de l’Etat relatives aux taxes sur la consommation doublent également ! Si la TVA à 20% sur les voitures rapportait à l’Etat 200 euros en moyenne par vente de voiture, désormais elle rapportera 400 euros en moyenne ; si les taxes sur l’essence rapportaient en moyenne, disons 0,95€ euros à l’Etat, elles rapporteront désormais 1,9 euros, ainsi de suite pour tous les produits sujets aux taxes. Le lien est donc simple : si tous les prix doublent, les rentrées fiscales doublent [1] !
Mais les dépenses aussi nous direz-vous… Le revenu réel de l’Etat n’aura donc pas changé. Mais le revenu nominal si. Et, dans un contexte où les dettes ne sont pas indexées à l’inflation (la grande majorité des dettes de l’Etat français), c’est ce revenu nominal qui importe. En effet, si mes dettes ont un taux d’intérêt fixe de 3%, cela signifie que je devrai rembourser (sur un montant total de 1900 milliards d’euros) 57 milliards d’euros d’intérêts chaque année et 1900 milliards d’euros à l’échéance de la dette. Que l’inflation soit à 2% ou à 4%, ces chiffres resteront les mêmes. Mes dépenses ne changent donc pas avec l’inflation en ce qu’il s’agit de la dette. Seuls mes revenus augmentent, si les prix doublent, les rentrées fiscales doublent. Un excédent budgétaire de 1% du PIB aura deux fois plus d’impact en terme de diminution de la dette lorsque l’inflation est deux fois plus importante. Tout se passe donc comme si la dette contractée jusqu’ici valait deux fois moins chère [2]. L’inflation a donc le pouvoir de réduire la dette.
De même, on peut voir facilement que le « poids de la dette » (la dette rapportée au PIB) diminue avec l’inflation. Le PIB en termes nominaux augmente en effet simplement du fait de l’inflation, ce qui fait mécaniquement baisser la mesure (dette/PIB). Ce sont pour ces raisons qu’il est coutume courante d’affirmer que l’inflation diminue le poids de la dette.
Julien Pinter
Notes:
[1] On pourrait objecter que si les prix augmentent, la demande diminue. Cette objection n’a pas vraiment lieu d’être dans le raisonnement proposé ici. L’inflation donne généralement lieu à des revalorisations salariales à moyen/long terme, de sorte à ce que si les prix doublent, il semble raisonnable de supposer que les salaires vont eux aussi quasiment doubler à terme. La demande n’a ainsi pas lieu d’être modifiée dans l’horizon dans lequel nous nous situons ici, du moins pas au point de rendre notre raisonnement invalide. De même, précisons que notre propos, tel quel, ne concerne uniquement des rentrées fiscales relatives aux taxes sur la consommation (près de 50% des rentrées fiscales de l’Etat en France). Généraliser à toutes les rentrées fiscales est chose aisée, nous venons d’en donner l’intuition: à long terme, si les revalorisations salariales sont telles que les revenus réels restent inchangés, alors les rentrées fiscales provenant des impôts sur le revenu doubleront elles aussi (un raisonnement similaire pourrait s’appliquer pour les impôts sur les sociétés).
[2] Ce raisonnement théorique vaut pour des dettes non indexées à l’inflation et libellées en monnaie nationale. Dans le cadre de dettes libellées en monnaie étrangère (une grande part des dettes pour nombre de pays émergents), le lien est plus complexe. Si l’inflation provient d’une baisse des taux directeurs, elle s’accompagne généralement d’une dépréciation de la monnaie nationale, ce qui fait augmenter le poids de la dette en termes nominaux, et donc au final n’a pas les mêmes effets que dans un Etat où la dette est quasi-entièrement libellée en monnaie nationale.