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Réforme du financement des retraites en France : l’exemple suédois

Résumé :

– Le système français à prestations définies rend insoutenable le modèle de financement des retraites en France : un régime en comptes notionnels éviterait de nouveaux ajustements discrétionnaires.

– Le régime à cotisation définie, mis en place en Suède, considère les pensions comme variable d’ajustement.

– Les pensions sont calculées selon l’espérance de vie et l’évolution du salaire moyen. Un mécanisme qui garantit l’équilibre budgétaire mais peut aussi être source de perte de pouvoir d’achat réel en cas de croissance des revenus inférieure à celle des prix) ou du niveau de pension (si hausse de l’espérance de vie).

– Le système reste cependant flexible et garanti par un système de pension minimum financé par l’impôt sur le revenu. Un modèle exemplaire pour une réforme structurelle du modèle de financement des retraites en France.

 

Alors que les discussions sur le financement et l’âge de départ en retraite se multiplient en France, la Suède offre un exemple d’un pays qui a réussi à passer d’un système proche du système actuel français au début des années 1990, à un système soutenable financièrement et qui s’auto-corrige pour faire face au vieillissement de la population et aux variations de cycle économique. Mais comment ce système fonctionne-t-il ? Et pourrait-il être appliqué en France ?

 

Première solution d’ordre conjoncturel : une réforme paramétrique (le modèle français)

En France, le système actuel des retraites est en majeure partie un système par répartition. Cela signifie que les cotisations actuelles payées par les employés et les employeurs financent les pensions actuelles des retraités. C’est un système à prestations définies: le montant des pensions est garanti au moment du départ à la retraite. Si le régime devient insoutenable financièrement, il est alors nécessaire de réaliser une réforme paramétrique pour augmenter le montant total des cotisations et ainsi servir les pensions garanties des retraités. L’augmentation des cotisations est possible par trois moyens :

(1) l’augmentation du taux des cotisations pour les actifs,

(2) l’augmentation du nombre d’annuités de cotisation

(3) le décalage de l’âge minimum légal de départ à la retraite.

(4) changer le montant de revalorisation des retraites, en le désindexant de l’inflation par exemple (c’est le cas de l’accord relatif aux retraites complémentaires et récemment signé).

Cependant, modifier ces quatre paramètres ne résout le problème que temporairement à défaut de faire porter le poids des réformes sur la population active. Il est alors justifié de s’interroger sur l’intérêt d’une réforme « systémique » proposée par les économistes Thomas Piketty et Antoine Bozio, dans le document de recherche « Retraites : pour un système de comptes individuels de cotisations – Propositions pour une refonte générale des régimes de retraites en France« .

 

Deuxième solution d’ordre structurel : un régime en « comptes notionnels » (le modèle suédois)

En France, les règles concernant le calcul du montant des pensions sont complexes, avec des différences selon le régime de retraite (de base ou complémentaire) et selon le type d’emploi (cadre ou non-cadre, public ou privé, régimes spéciaux, travail à l’étranger). Cette difficulté des modes de calcul remet en cause le principe de base « à cotisations égales, retraites égales ». Comment justifier en effet que deux personnes ayant cotisé le même montant tout au long de leur carrière ne perçoivent pas la même pension au moment de leur retraite ?

C’est dans ce cadre qu’intervient le modèle suédois et le régime en « comptes notionnels ». Ce type de régime de retraite n’est plus un régime à prestations définies, mais un régime à cotisations définies. Le niveau des pensions constitue la variable d’ajustement (alors que ce sont les cotisations qui représentent la principale variable d’ajustement dans le système français actuel), c’est à dire que le montant des pensions versées aux retraités n’est pas garanti « a priori », mais défini au moment du départ à la retraite, en fonction de trois principaux critères: le montant des cotisations versées par l’individu, l’espérance de vie estimée de sa génération et l’âge du départ à la retraite. Il n’existe donc pas d’âge légal de départ à la retraite ; chaque suédois peut décider de prendre sa retraite quand il le souhaite, entre 61 ans et 67 ans.

Par exemple, selon le rapport de l’IREF « La réforme du système de retraite suédois« , en prenant en référence un salarié décidant de partir à la retraite à 65 ans et touchant une pension de 2000 euros par mois, ce dernier aurait pu choisir de partir à 61 ans et de toucher 1440 euros par mois (72% de sa retraite « normale » de départ à 65 ans), ou bien de décaler son départ à la retraite et partir à 67 ans, pour obtenir une pension de 2380 euros par mois (119% de sa retraite « normale » de départ à 65 ans). Plus d’années de travail correspond à davantage de cotisation : le temps durant lequel un retraité reçoit sa pension diminue donc et sa pension mensuelle augmente.

Selon l’IREF, ce nouveau système inciterait à travailler plus longtemps pour ceux qui le souhaitent, tout en laissant la possibilité aux personnes souhaitant partir à la retraite dès 61 ans de le faire. Mais qu’en est-il en réalité ? Cela permet-il réellement de favoriser l’emploi des seniors ? Selon une étude de la fondation Schuman (« Les systèmes de retraites dans l’Union européenne« ), la Suède est le pays en Europe avec le plus fort taux d’emploi des seniors (72,1%). En France, seulement 41,4% des 55-64 ans ont encore un emploi. Une différence significative quand bien même le taux de chômage en Suède (8,5%) reste inférieur à celui de la France (10,6%).

 

Un système à l’équilibre budgétaire et plus équitable que le modèle à réforme paramétrique

Le système suédois est un système par répartition, mais qui par construction reste à l’équilibre. Chaque travailleur actif se constitue un compte individuel « virtuel » (il n’y a pas constitution d’un capital réel): les montants cotisés servent à financer les retraites actuelles. Ce capital virtuel est revalorisé chaque année et est converti « in fine » en une rente viagère au moment de la liquidation de la pension. Au moment du départ à la retraite, le niveau de la retraite dépendra alors de trois paramètres :

(1) le montant du capital virtuel ;

(2) la génération à laquelle appartient l’assuré ;

(3) l’âge auquel il choisit de liquider sa pension.

En plus d’être plus lisible, le système en comptes notionnels tend vers plus d’équité. En effet, en France, le niveau de la retraite est basé sur les x meilleures années de salaires (ou simplement sur la dernière année pour les fonctionnaires). Ceci tend à défavoriser les salariés les plus pauvres, pour deux raisons :

(1) les « cols bleus » ont souvent un salaire peu variable tout au long de leur carrière (SMIC durant toute leur vie par exemple) et cotisent davantage en nombre d’années (car moins d’années d’études).

(2) l’espérance de vie des salariés pauvres est inférieure au moment de la retraite à l’espérance de vie des salariés aisés.

Le système de comptes notionnels ne résout pas le second problème mais permet, en prenant en compte l’ensemble des cotisations versées tout au long de la carrière de chaque individu (et non pas uniquement les x meilleures années), de rétablir un peu plus d’équité en réduisant le différentiel salarial moyen entre « cols bleus » et « cols blancs ».

Un graphique très clair est présent dans le rapport du Sénat (« Le financement des retraites : la réussite exemplaire de la réforme de 1998« ) et montre en détail le fonctionnement du système de retraite suédois.Tout au long de sa carrière, l’individu cotise pour la retraite et se forme un capital virtuel (en rouge sur le graphique). Ce capital est revalorisé en fonction d’un taux net d’intérêt, qui prend en compte les coûts de gestion, l’évolution du salaire moyen et les « gains hérités », c’est-à-dire les prestations de retraite inutilisées par des personnes décédées prématurément et qui sont partagées entre tous les assurés sociaux survivants. Au moment où l’assuré veut prendre sa retraite, l’espérance de vie de l’individu est calculée (selon son âge et les progrès de la médecine) ainsi qu’un coefficient de conversion qui prend en compte un rendement r imputé au capital C (norme de rendement fixée à r = 1,6 % par an).

Ainsi lorsque l’espérance de vie augmente, un salarié doit cotiser davantage ou bien travailler plus longtemps pour toucher le même niveau de retraite. Ce mécanisme s’affranchit des réformes paramétriques (revalorisation des retraites, hausse du taux de cotisation, des annuités de cotisation, de l’âge minimum légal de départ à la retraite) en s’autorégulant en fonction de la variation de l’espérance de vie et de l’évolution du salaire moyen. Ce système conditionne le risque de déficit à une très forte augmentation de l’espérance de vie. Le système a donc une importante probabilité d’être à l’équilibre budgétaire.

 

Deux désavantages du régime en « comptes notionnels »

Premièrement, l’indexation basée non pas sur l’inflation mais sur l’évolution du revenu moyen peut, en période de crise où l’inflation serait supérieure à l’évolution du revenu moyen, impliquer une perte de pouvoir d’achat, c’est à dire une évolution négative en valeur réelle des pensions.

Secondement, l’autorégulation de l’âge de départ à la retraite en fonction de l’espérance de vie peut imposer de travailler plus sans voir le niveau de sa pension augmenter. Selon les calculs du « Swedish Pension System », une personne née en 1990 devra travailler environ 26 mois de plus pour avoir le même niveau de pension qu’une personne née en 1940 (pour une espérance de vie de 41 mois supplémentaires).

Cependant une pension minimum est garantie. C’est le cas pour les personnes n’ayant jamais cotisé de leur vie (impossibilité physique de travailler) et ayant résidée au moins 40 ans en Suède. Cette pension garantie n’est pas financée par les cotisations mais par l’impôt sur le revenu (comme d’autres mécanismes de solidarité). En 2004 en Suède (chiffres du rapport IREF), cette pension minimum garantie était de 8300 euros par an. Un montant équivalent à celui du « minimum vieillesse » français, basé sur le même principe.

 

La réforme systémique en Suède a mis douze années à se mettre en place

Cette réforme systémique de la retraite en Suède ne s’est pas faite du jour au lendemain. La première commission de réflexion s’est tenue en 1991 et le premier versement des pensions basé sur le nouveau régime n’a eu lieu que 12 ans après, en 2003.

En dépit des changements de gouvernement, la Suède a réussi la mise en œuvre de cette réforme ambitieuse. Un processus politique de long terme traduisant la volonté de voir un mécanisme de financement des retraites transparent, équitable et assurant l’équilibre budgétaire.

Trois caractéristiques qui pourraient inspirer la prochaine politique structurelle française.