Utilité de l’article : L’épidémie de COVID-19 risque d’augmenter de façon importante la pauvreté dans le monde. Les populations les plus démunies sont en effet plus exposées à double titre. D’un point de vue sanitaire, leur risque de contracter le virus et de développer une forme sévère est plus élevé. D’un point de vue économique, l’épidémie risque d’affecter davantage les revenus et le niveau de vie des populations les plus pauvres. L’épidémie actuelle risquent donc aggraver les inégalités socioéconomiques déjà existantes.
Résumé :
· L’épidémie de COVID-19 risque d’entraîner une forte augmentation de la pauvreté ;
· Les populations les plus démunies vont probablement subir plus durement les impacts de cette épidémie ;
· Elles sont en effet plus exposées aux risques sanitaire et économique.
La crise que nous traversons actuellement avec l’épidémie du COVID-19 est avant tout une crise sanitaire d’ampleur mondiale avec près de 150 000 morts dans le monde (chiffres datant de la mi-avril 2020). La priorité actuelle est bien évidemment de faire face à la situation en sauvant le plus de vies possibles, en s’assurant que nos systèmes de soins soient en mesure de gérer les afflux de malades.
Il est aussi nécessaire de prendre conscience que le COVID-19 aura des conséquences économiques et sociales à court et long terme. À la suite des mesures de confinement, l’économie a été mise à l’arrêt dans de nombreux secteurs, ce qui génère un recul marqué de l’activité. Le 9 avril 2020, l’INSEE a ainsi estimé que la perte d’activité en France était de près de 35 %. Il y a donc fort à parier que cette épidémie aura un impact sur le niveau de vie des ménages et sur la pauvreté dans le monde.
Si le virus peut infecter tous les individus et ne fait de distinction entre les catégories sociales, il y a de nombreuses raisons de penser que certaines personnes, les plus vulnérables et les plus démunies, sont plus susceptibles non seulement d’être touchées par le virus mais également d’en souffrir économiquement. L’épidémie risque donc de toucher avant tout les populations les plus marginalisées et de renforcer les inégalités socio-économiques existantes.
COVID-19 et pauvreté, quelques estimations
A ce jour, les données dont nous disposons sont préliminaires et l’avenir reste incertain. Elles devront donc être complétées par des analyses plus approfondies dans le futur. Néanmoins, un article récent publié par UNU-WIDER (United Nations University World Institute of Development Economic Research)[1] a tenté de mesurer l’effet à court terme du COVID-19 sur la pauvreté monétaire. Les auteurs ont simulé 3 scénarii plus ou moins sévères : baisse de 5, 10 et 20 % de la consommation ou du revenu par tête des ménages. Dans tous les cas, les estimations montrent que la pauvreté mondiale augmentera pour la première fois depuis 1990. Le scénario le plus extrême montre que le nombre de personnes en situation de pauvreté monétaire pourrait augmenter d’un demi-million par rapport à 2018[2]. Certaines régions comme l’Afrique subsaharienne ou l’Asie du Sud seraient particulièrement touchées (Graphique 1). Ces estimations rejoignent celles du Bureau International du Travail qui souligne qu’il y aura 9 à 35 millions de nouveaux travailleurs pauvres dans les pays en développement en 2020[3]. De même, Vos, Martin et Laborde ont estimé qu’une baisse de PIB mondial de 1 point de pourcentage pourrait entraîner une hausse de la pauvreté, avec 14 à 22 millions de personnes de plus vivant avec moins de 1,90 USD par jour[4]. Toutes ces études montrent donc que l’épidémie actuelle pourrait nuire à la lutte contre la pauvreté. Cela risque de remettre en question la possibilité d’atteindre les Objectifs du Développement Durable d’ici 2030 et notamment le 1er objectif qui vise à élimer l’extrême pauvreté dans le monde.
Graphique 1 : Pourcentage d’individus vivant avec moins de 3,2 USD par jour en 2015 et dans l’hypothèse d’une contraction des revenus de 20%
Source : Auteur utilisant les données de A. Sumner, C. Hoy and E. Ortiz-Juarez. (2020). Estimates of the Impact of COVID-19 on Global Poverty. UNU-WIDER: Helsinki
Les premières expériences dont nous disposons montrent qu’au sein des pays, les populations les plus défavorisées sont particulièrement touchées par l’épidémie du COVID-19. C’est le cas aux Etats-Unis, où les premières données montrent que les populations afro-américaines, souvent plus défavorisées, sont plus touchées par le virus. Bien que tous les Etats n’aient pas encore fournis des statistiques détaillées, 30 % des cas de COVID-19 reportés concernent des Afro-Américains, qui pourtant ne représentent que 13 % de la population totale[5]. Cet écart se retrouve dans de nombreux Etats américains (Graphique 2). Par exemple, au Michigan près de la moitié des cas et des morts du COVID-19 sont afro-américains, alors même qu’ils ne représentent que 14 % de la population de cet Etat.
En France, certaines données laissent aussi supposer que le COVID-19 toucherait en moyenne plus les zones défavorisées. Ainsi, l’épidémie fait rage en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France métropolitaine, avec deux fois plus de décès entre le 1er mars et le 6 avril 2020 qu’en 2019 (INSEE). Cette surmortalité (+102%) est plus élevée que dans les autres départements bordant Paris (+99% dans les Hauts-de-Seine et +78% dans le Val-de-Marne). Il s’agit encore une fois de données partielles et préliminaires. De plus, ce que nous mesurons ici est avant tout une corrélation et non une causalité.
Des populations vulnérables plus à risques ?
Si l’épidémie de COVID-19 risque d’augmenter la pauvreté, c’est avant tout parce que les populations les plus marginalisées, les plus vulnérables sont plus exposées aux risques sanitaire et économique liés au virus. Ces populations ont non seulement plus de chances d’être touchées par le virus – et de contracter des formes graves – mais elles subiront probablement plus durement les conséquences économiques de cette crise.
Une exposition au risque de santé plus forte
Tout d’abord, les populations les plus défavorisées ont plus de risques d’être exposées à la maladie. En effet, les plus pauvres et les plus marginalisées ont souvent moins accès au système de soins. Ces populations ont donc moins de chances d’être dépistées et soignées après avoir contracté la maladie. Cela se vérifie bien sûr dans les pays où l’accès aux soins n’est pas universel et peut représenter un coût important, parfois prohibitif pour les plus démunis. Aux Etats-Unis par exemple, en 2018, 14 % des individus appartenant aux ménages les plus pauvres n’étaient pas couverts par une assurance maladie contre 3 % des individus des ménages les plus riches[6]. Dans certains pays, notamment les pays les plus pauvres, les systèmes de santé sont souvent défaillants : corruption, manque d’infrastructures, de ressources humaines et matérielles, pratiques discriminatoires, etc. Dans ces pays, une part importante de la population n’a pas accès aux services de santé essentiels (Graphique 3). Cette situation sanitaire peut expliquer pourquoi la pauvreté risque d’augmenter fortement dans les pays en développement touchés par l’épidémie. Ces pays ne sont pas en mesure de faire face à la situation et les populations qui risquent d’en pâtir sont les plus démunies.
Même dans les pays où le système de santé est universel, des inégalités persistent et tous les individus n’ont, dans les faits, pas accès aux soins dans les mêmes conditions et ne sont pas égaux en termes de santé. Ainsi, en France, on observe un écart entre l’espérance de vie à 30 ans des hommes les plus éduqués et ceux les moins éduqués de 6,8 années (OCDE). 39 % des individus les plus pauvres ont déclaré avoir dû renoncer à des soins pour des raisons financières en 2014 contre 13 % des plus riches[7]. De fait, les populations défavorisées sont en moins bonne santé et sont plus susceptibles d’avoir des maladies chroniques qui peuvent être des facteurs de comorbidité et favoriser le développement de formes sévères de COVID-19 (Graphique 4). Les jeunes issus de milieux défavorisés par exemple ont plus de chances d’être en surpoids ou en obésité, des facteurs aggravants en cas de contraction du COVID-19 (Graphique 5).
Les individus défavorisés sont surreprésentés dans les secteurs économiques dits indispensables en cette période de confinement (transport et livraison, alimentation, aide à domicile, etc). Ces métiers sont marqués par une grande promiscuité, ce qui rend difficile la distanciation sociale et augmente l’exposition au virus. Les métiers ne sont pas non plus égaux face au télétravail. Bien des individus, souvent ceux des catégories socio-professionnelles les plus démunis ne peuvent pas télétravailler (Graphique 6). Même quand leurs métiers ne sont pas considérés comme indispensables, bien souvent les personnes les plus démunis, qui ne possèdent pas d’épargne de côté, n’ont pas d’autre choix que de continuer à travailler, se mettant par la même en première ligne face au virus. Cela est d’autant plus vrai dans les pays où les systèmes d’assurance sociale sont inexistants ou défaillants et où ces personnes doivent choisir entre travailler et risquer de contracter la maladie, ou ne pas travailler mais ne plus avoir de ressources financières.
Enfin, les conditions de vie des personnes pauvres peuvent aussi expliquer pourquoi elles sont plus exposées au risque sanitaire lié au COVID-19. Ces populations vivent en effet plus souvent dans des logements plus petits où la promiscuité est plus grande ce qui rend difficile la distanciation sociale et augmente les risques de contamination. En 2013, 30 % des ménages les plus pauvres vivaient dans un logement surpeuplé contre 2 % des ménages les plus riches[8]. Dans de tels logements, la distanciation sociale est plus difficile non seulement à mettre en pratique mais aussi à supporter (conséquences sur la santé mentale). Le confinement risque donc de détériorer la qualité de vie et la santé des individus les plus démunis.
Une exposition au risque économique plus forte
Non seulement les personnes les plus démunies sont plus exposées au risque sanitaire engendré par le COVID-19, mais les conséquences économiques sont également plus désastreuses pour elles. Tout d’abord, ces populations occupent souvent des emplois précaires et vulnérables (intérim, contrats à durée déterminée, contrat à la tâche, emploi informel). Or, ces emplois offrent des protections plus faibles et sont les premiers touchés par les licenciements. Ainsi en France, 12,5 % des personnes en emploi à durée limitée en 2017 se sont retrouvées au chômage un an après contre 1,6 % des individus qui avaient un contrat à durée indéterminée[9].
Dans les pays à faible revenu, cette situation est particulièrement préoccupante, puisque de nombreux individus exercent des emplois dans le secteur informel (81 % de l’emploi non agricole total[10]). Or ces emplois sont généralement précaires, peu protégés et particulièrement vulnérables aux chocs économiques. De plus, comme on l’a dit ci-dessus, beaucoup des personnes qui appartiennent aux classes socio-économiques les plus pauvres n’ont pas la possibilité de travailler depuis leur domicile (métiers plus souvent manuels par exemple) et risquent donc de voir leurs revenus fortement diminuer avec les mesures de confinement, notamment dans les pays où la protection sociale est défaillante ou inexistante. Ces populations risquent donc de subir de plein fouet la perte de revenus engendrée par l’épidémie, d’autant plus qu’elles ne disposent en général pas d’épargne pour faire face à un tel manque à gagner.
Les mesures de confinement font également peser sur les ménages des nouveaux coûts (surconsommation de chauffage, d’électricité, hausse des dépenses alimentaires avec la fermeture des cantines, etc) qui peuvent représenter un vrai poids pour les plus vulnérables.
Enfin, à long terme, les mesures de confinement et de distanciation sociale risquent de peser plus lourdement sur les ménages les plus vulnérables. En effet, les écoles étant fermées dans de nombreux pays, l’apprentissage se fait à distance ce qui est particulièrement difficile pour les enfants de milieux défavorisés qui n’ont pas à disposition les ressources matérielles (bonne connexion internet, ordinateur disponible, coin pour s’isoler) ni humaines (aide, suivi des parents) nécessaires pour faire face à cette situation. L’épidémie risque donc de renforcer les inégalités socioéconomiques scolaires.
Un exemple concret, les migrants
Les immigrés font partie des populations particulièrement vulnérables en ces temps d’épidémie comme le souligne l’Institut Convergences Migrations en avril 2020[11]. Ces populations combinent en effet de nombreuses caractéristiques qui les rendent plus à risque. Beaucoup rencontrent des difficultés pour avoir accès à l’information et pour comprendre le système de santé et les mesures de prévention (maîtrise de la langue partielle, complexité des systèmes de santé, niveaux d’éducation plus faibles). Certains groupes de migrants ont également une santé plus fragile[12] et peuvent souffrir de maladies chroniques (surpoids, diabètes) qui sont des facteurs de comorbidité susceptibles d’entraîner des formes graves de COVID-19. Ils ont souvent moins accès au système de santé et recourent moins aux soins[13], ont des emplois plus vulnérables et vivent dans des logements précaires[14] ou surpeuplés qui rendent difficile le confinement (foyer, centres d’hébergements, campements, etc). Dans ces logements souvent insalubres (manque d’accès à l’eau, savon, etc) où il est difficile d’échapper à la promiscuité, les migrants sont dans l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures barrières préconisées. De plus, les migrants se retrouvent bien souvent sans aucun revenu suite aux mesures de confinement et dans bien des cas, ils ne peuvent bénéficier des aides de l’Etat visant à compenser la perte des revenus. Ainsi, en Inde, le gouvernement a mis en place un système d’aides pour les indiens. À la suite de l’annonce du confinement le 25 mars, les indiens qui avaient migré dans les centres urbains pour trouver un emploi se sont retrouvés coincés sans pouvoir rentrer chez eux, faute de transport et beaucoup n’ont donc pas pu faire valoir leur droit à ces aides.
Conclusion
Les premières estimations dont nous disposons tendent à montrer que la pandémie du COVID-19ç risque d’entraîner une forte augmentation de la pauvreté. Il y a fort à parier que les populations les plus déminues risquent d’être plus durement touchées du fait d’une plus grande exposition au risque sanitaire mais aussi économique.
Il est donc important de reconnaître que le COVID-19 risque d’aggraver les inégalités et d’augmenter la pauvreté. Les pays doivent en prendre conscience et concentrer leurs efforts sur les populations les plus isolées, marginalisées et vulnérables (populations pauvres, travailleurs informels et précaires, migrants, personnes sans domicile fixe, etc) afin de s’assurer que celles-ci bénéficient d’aides financières mais aussi humaines pour faire face à l’épidémie. Sur le long-terme, la crise actuelle sera l’occasion de repenser les systèmes de santé et de protection sociale afin d’assurer une plus grande équité.
Les gouvernements ne doivent pas non plus oublier leur engagement dans la lutte contre la pauvreté. On peut en effet craindre qu’une fois la crise sanitaire passée, les conséquences économiques se fassent ressentir avec notamment une hausse de l’endettement public à la suite des mesures prises par les gouvernements. Pour restaurer les finances publiques, les pays pourraient être tentés de faire passer au second plan la lutte contre la pauvreté, en baissant par exemple l’aide publique au développement, ce qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences néfastes très importantes. Une piste consisterait à annuler une partie du service de la dette des pays en développement qui arrive à échéance en 2020 pour leur permettre de libérer des ressources pouvant être mobilisées dans la lutte contre le COVID-19. Pour le moment, le G7 a opté non pour une annulation mais pour une suspension.
[1]A. Sumner, C. Hoy and E. Ortiz-Juarez. (2020). Estimates of the Impact of COVID-19 on Global Poverty. UNU-WIDER: Helsinki. Téléchargeable ici : https://www.wider.unu.edu/sites/default/files/Publications/Working-paper/PDF/wp2020-43.pdf
[2] Ces estimations varient de 419 à 581 millions selon le seuil de pauvreté choisi (1,9 USD, 3,2USD ou 5,5USD par jour).
[3] Les travailleurs pauvres sont ici définis comme étant ceux qui gagnent moins de 3,2 USD par jour. ILO (2020) “COVID-19 and the world of work: impact and policy responses”. Téléchargeable ici : https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/documents/briefingnote/wcms_738753.pdf
[4]Vos, R., W. Martin, and D. Laborde. (2020). “How much will global poverty increase because of COVID-19?” Téléchargeable ici : https://www.ifpri.org/blog/how-much-will-global-poverty-increase-because-covid-19
[5] https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/cases-updates/cases-in-us.html et https://www.census.gov/quickfacts/fact/table/US/PST045219
[6]Health Insurance Coverage in the United States: 2018. Les ménages les plus pauvres sont ceux qui ont un revenu annuel inférieur à 25 000 USD et les plus riches ceux qui ont un revenu annuel supérieur à 150 000 USD.
[7] Ministère des Solidarités et de la Santé. L’état de santé de la population en France – RAPPORT 2017
[8] Données de l’observatoire des inégalités. Les ménages sont classés par décile de revenu. Un logement surpeuplé est défini par l’INSEE comme ne comprenant pas au moins : une pièce de séjour, une chambre pour les personnes qui vivent en couple, une pour les célibataires de 19 ans ou plus, une pour deux enfants (s’ils sont du même sexe ou s’ils ont moins de 7 ans) ou une chambre par enfant.
[9] INSEE. Emploi, chômage et revenus du travail. Editions 2019.
[10] Statistique obtenue à partir des données de la Banque Mondiale. Moyenne du taux d’emploi informel dans l’emploi non agricole dans les 15 pays à faibles revenus pour lesquels on dispose d’une donnée entre 2010 et 2019.
[11] Institut CONVERGENCES MIGRATIONS. De Facto. 18 avril 2020. “Les migrants dans l’épidémie : un temps d’épreuves cumulées“. Téléchargeable ici : http://icmigrations.fr/defacto/defacto-018/
[12] Berchet, C., & Jusot, F. (2012). État de santé et recours aux soins des immigrés en France : une revue de la littérature (No. hal-01593735).
[13] Berchet, C., & Jusot, F. (2012). État de santé et recours aux soins des immigrés en France : une revue de la littérature (No. hal-01593735).
[14] Conditions de vie – Immigrés – Insee Références – Édition 2012