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Retour sur les enjeux du plan de relance et du budget européens (Note)

DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l’autrice sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l’institution qui l’emploie.

Résumé :

•    Les 27 pays membres de l’Union européenne se sont accordés le 21 juillet 2020 sur un plan de relance en réponse à la crise du coronavirus, ainsi que sur le budget pluriannuel 2021-2027 ;
•    Le fonds de relance, d’un montant total de 750 milliards d’euros principalement distribué en 2021-2022, prévoit que les pays empruntent en commun, et sera distribué sous forme de prêts, ainsi que, pour la première fois, de subventions ;
•    Le budget pluriannuel 2021-2027 a fait l’objet de négociations pendant plusieurs mois, pour finalement s’établir à 1 074 milliards d’euros ;
•    Fortement attendu en raison de l’urgence sanitaire, l’accord a permis de rassurer les marchés en démontrant la capacité de coordination et d’entente au sein de l’UE en temps de crise, malgré les dissension et pressions en interne.
 
Utilité de l’article : Cet article décrypte le contenu du fonds de relance et du budget européens, analyse les enjeux qui entouraient les négociations, et envisage les implications potentielles d’un tel accord.




L’accord des 27 pays de l’UE sur le budget 2021-2027 et sur le plan de relance en réponse à la crise du coronavirus était attendu depuis l’annonce dudit plan en mai 2020. D’un montant record, la réponse budgétaire du bloc est aussi inédite par certaines de ses caractéristiques, notamment la mutualisation des émissions de dettes, le versement du fonds de relance en partie sous forme de subventions ou encore l’annonce des futurs moyens de financement propres de l’Union.

L’opposition de quelques pays membres, tels que l’Autriche ou les Pays-Bas, à certaines de ces mesures considérées comme non-orthodoxes, notamment l’émission de dette commune, a pesé sur les négociations, mais, sous la coordination du tandem franco-allemand et grâce à des concessions de toutes parts, les 27 ont pu s’accorder, rassurant au passage les marchés financiers sur la capacité de l’Union à répondre aux crises de manière unifiée.

1. Décryptage du plan de relance et du budget européens : un accord inédit

1.a) Un fonds de relance et un budget pour un montant total record de 1 824 milliards d’euros
Le 21 juillet 2020, au terme d’un sommet de 5 jours, le plus long de l’histoire de l’UE, les dirigeants des 27 pays membres sont parvenus à s’accorder sur un plan de relance en réponse à la crise du coronavirus et un budget européen. Sous la houlette d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et de Charles Michel, président du Conseil européen, les 27 ont abouti à un plan de relance significatif, ainsi qu’à un budget stable par rapport au précédent, malgré le départ d’un de ses principaux contributeurs, le Royaume-Uni.

Le fonds de relance et le budget sont à analyser conjointement tant les négociations ont été liées. Ils se composent de la manière suivante :
•    Fonds de relance (“Next Generation UE”) de 750 milliards d’euros, dont :
o    360 milliards d’euros de prêts remboursables
o    390 milliards d’euros de subventions
•    Budget pluriannuel 2021-2027 (Cadre Financier Pluriannuel – CPF) de 1 074 milliards d’euros (cf. Annexe en fin d’article).

Présenté par la Commission Européenne en mai 2020, le fonds de relance représente la réponse commune apportée par les économies du marché unique, fortement touchées par la pandémie de coronavirus. A 750 milliards d’euros, il représente 5,4 % du PIB du bloc, et complétera les initiatives nationales de relances budgétaires.
1.b) Des réponses à l’enjeu de la crise sanitaire
Le fonds de relance présente des caractéristiques notables, destinées à soutenir les pays qui ont été les plus touchés par le coronavirus et ont dû mettre en place un certain nombre de mesures particulièrement préjudiciables à l’activité économique, notamment un confinement long et strict et une suspension temporaire quasi-généralisée de l’activité de production. Ces pays se trouvent également être parmi les plus fragiles du bloc en matière d’endettement public, et donc particulièrement vulnérables face à la crise économique induite par les politiques sanitaires. Il s’agit notamment de l’Italie, pays européen touché en premier, et dont le niveau de dette publique était déjà le deuxième plus élevé (138 % du PIB au premier trimestre 20201), seulement dépassé par celui de la Grèce ; ainsi que de l’Espagne, également fortement endetté (99 % du PIB) pays le plus touché d’Europe en nombre de cas (640 000 cas au 18 septembre 2020). Ces économies font toutes deux partie des plus touchées, ayant respectivement contracté de 12.8 % et de 18.5 %2 au deuxième trimestre 2020. Le fonds sera distribué principalement en 2021.

Premièrement, plus de la moitié du fonds sera versé aux économies sous forme de subventions, signifiant que les montants perçus ne se traduiront pas par une hausse de l’endettement au-delà de la part que prendra chaque pays au financement du programme. Initialement proposée à hauteur de 500 milliards d’euros par la Commission Européenne, cette part du fonds de relance a finalement été négociée à la baisse jusqu’à atteindre 390 milliards d’euros, en raison de la résistance de quelques pays, réticents à l’idée d’étendre la solidarité européenne. Les subventions seront basées sur des critères de réformes économiques menées par les gouvernements bénéficiaires, selon des objectifs fixés.

Deuxièmement, la part du fonds qui sera distribuée sous forme de prêts (360 milliards d’euros) bénéficiera de taux d’intérêt concessionnels, proches de ceux auxquels s’endettent la France et l’Allemagne, ce qui limitera également l’accroissement du poids de la dette sur les autres économies. En effet, des taux d’intérêt sur la dette élevés par rapport aux taux de croissance du PIB nominal (à prix courants) entraîneraient une hausse mécanique des ratios d’endettement et ainsi les besoins de refinancement futurs. En bénéficiant de taux inférieurs à ceux auxquels ils se financent sur les marchés financiers, les États s’assurent une meilleure soutenabilité de leur dette. Enfin, le financement de ce fonds se fera par une mutualisation de l’emprunt, au nom de l’UE, pour financer les programmes liés au coronavirus. Si les pays de l’UE ont emprunté en commun à partir de la crise de la zone euro en 2010, les montants étaient marginaux. En institutionnalisant cette méthode de financement, ce fonds représente une avancée pour l’intégration fiscale dans l’Union.

2. Retour sur les principaux enjeux et analyse des implications de l’accord

2.a) Malgré des désaccords latents, une volonté de montrer la capacité de coordination sous le leadership franco-allemand
Au vu de la crise économique liée à la pandémie de coronavirus et des épisodes de stress sur les marchés financiers au cours du premier semestre, l’urgence était de proposer une solution de soutien à toutes les économies. La Commission Européenne prévoit une récession de 8,3 % en 20203, ce qui, selon la majorité des gouvernements européens, plaide en faveur d’une relance significative. Toutefois, les désaccords entre pays ont rendu la tâche difficile.

Quatre pays, auto-qualifiés de “frugaux”, se sont illustrés en s’opposant à certains aspects significatifs du plan de relance. Il s’agit de l’Autriche, du Danemark, des Pays-Bas et de la Suède. Ces pays, contributeurs nets au budget européen, bénéficient d’un niveau d’endettement public relativement faible, et de notations de crédit particulièrement favorables. Ils prônent une orthodoxie budgétaire au sein de l’UE, et sont défavorables aux principes de mutualisation de la dette et de transferts sous forme de subventions sans contrôles de la part des Etats membres entre eux. Ils craignent un aléa moral, c’est-à-dire que ces mécanismes instaurés sans conditions de réformes ne bénéficient qu’aux pays n’ayant pas su faire les efforts nécessaires pour améliorer leur santé budgétaire avant la crise, au prix d’un accroissement de leur propre endettement via la mutualisation de la dette.


 
Source : Commission Européenne, BSI Economics


Ces pays sont parvenus au cours de la négociation à réduire la part des subventions dans le montant total du fonds de relance, au profit des prêts. Or cet aspect était considéré comme critique par la Commission, ainsi que par le couple franco-allemand, afin de limiter la hausse de la charge de la dette sur les pays les plus affectés par le choc externe de la pandémie, écartant tout risque d’aléa moral. Ils ont également obtenu que le déboursement du fonds de relance puisse faire l’objet d’une demande de suspension par les autres gouvernements, suivie d’une évaluation de l’atteinte des objectifs. Enfin, ils ont maintenu le système d’abattements dont ils disposent sur leur contribution au budget. Initialement acquis par le Royaume-Uni en 1985 pour compenser le pays de sa contribution jugée disproportionnée, le système d’abattements a ensuite été concédé à l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suède pour compenser la perte de la contribution britannique4. Ces pays, ainsi que le Danemark, bénéficient également d’allocations directement liées à leur contribution par rapport à leur revenu intérieur brut. Le départ du Royaume-Uni de l’UE avait été envisagé par certains comme une opportunité pour mettre ce système complexe et arbitraire à plat, citant notamment le fait que ces pays sont largement bénéficiaires de l’appartenance au marché unique. Cependant, le maintien de ces avantages a permis d’obtenir l’approbation du plan par ces pays lors des négociations.

L’UE a tiré des leçons de la crise de la zone euro de 2012 et a compris l’importance de rassurer les acteurs des marchés financiers en montrant une capacité à s’entendre sur une politique budgétaire en situation de crise et à soutenir les Etats les plus en difficultés. Ainsi, l’enjeu prédominant fût d’éviter une absence d’accord. En accédant à certaines demandes des “frugaux”, notamment en liant le déboursement du fonds de relance à l’atteinte d’objectifs de réformes économiques et en acceptant des abattements plus larges que dans le précédent budget, les pays membres ont su se mettre d’accord.

Si un accord a été trouvé entre les dirigeants des Etats européens, cela ne signifie pas (encore) qu’il soit adopté. En effet, il doit être voté par le Parlement européen à l’automne, qui dispose d’un droit de veto sur le budget de l’UE. Bien qu’un rejet soit peu probable en raison de l’urgence de la crise sanitaire, les députés européens ont démontré leur volonté de peser en tant que représentants directs du peuple. Ils ont notamment exprimé leurs questionnements quant aux différences entre les montant initialement proposés par la Commission Européenne et ceux finalement obtenus, ainsi qu’aux futures “ressources propres” de l’UE5. Les parlements nationaux devront également voter le budget, ce qui pourrait en retarder la mise en place.


2.b) Relations avec la politique monétaire et impacts sur les taux d’intérêt
L’accord sur le fonds de relance et le budget européen a été favorablement accueilli par la présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE), Christine Lagarde, qui appelait une politique budgétaire de relance commune de ses vœux depuis le début de la crise économique liée à la pandémie.

En effet, ces mesures budgétaires viennent compléter l’arsenal de décisions de politique monétaire qui ont été prises depuis le début de l’année 2020, notamment le Programme d’Achat d’Urgence face à la Pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme – PEPP). Ce dernier représente une évolution considérable par rapport au précédent programme de quantitative easing, le Programme d’Achat d’Actifs (Asset Purchase Programme – APP), notamment en raison d’une augmentation significative des montants engagés par l’institution monétaire.

En complément des mesures de politique monétaire, le plan de relance de l’UE a permis de réduire les inquiétudes sur les marchés financier, représentées par la hausse des spreads entre les taux des obligations des pays périphériques et ceux de l’Allemagne, considérées comme non-risquées. Depuis la présentation initiale du fonds de relance fin mai, ceux-ci se sont graduellement rapprochés de leur niveau pré-crise.

 

Le regain de confiance des investisseurs s’est également traduit par une appréciation de l’euro vis-à-vis du dollar depuis l’annonce du plan de relance. S’il reflète en partie la politique monétaire ultra-accommodante la Federal Reserve des Etats-Unis, il suggère aussi une confiance accrue des investisseurs envers les actifs européens. Toutefois, ce phénomène pourrait s’avérer préjudiciable si la compétitivité-prix des exportations européennes s’en trouvait pénalisée. Si l’appréciation se poursuit, elle sera un argument en faveur d’un assouplissement monétaire, à prendre en considération par la BCE dans ses prochaines décisions de politique.

 

Conclusion
Bien que les négociations aient été marquées par les désaccords et les compromis, l’UE sort gagnante de ces discussions. En effet, le bloc a su montrer qu’il était possible de dépasser les dissensions internes, rassurant ainsi les investisseurs sur sa stabilité à court-terme, mais également à long-terme, créant un précédent pour les prochaines crises. Individuellement, l’Italie et l’Espagne, pays européens les plus touchés par la pandémie et dont la situation fiscale est relativement précaire, bénéficieront des mesures du plan de relance afin de relancer leur croissance en limitant l’impact du plan de soutien sur leur endettement. Malgré leurs concessions, les “frugaux” ne sont pas en reste, ayant réussi à négocier le maintien des abattements dont ils disposent sur leur contribution au budget européen, ainsi que la possibilité de demander la suspension de leurs contributions si un pays ne remplit pas ses engagements.

S’il est difficile de comparer les politiques budgétaires entre les différents pays dans la mesure où elles ne recouvrent pas périmètres similaires, il l’est encore plus lorsqu’il s’agit de l’UE, car elle s’ajoute aux politiques nationales des pays membres. Il est cependant notable que les Etats soient parvenus à s’accorder sur des montants significatifs et à l’adapter aux enjeux de la crise sanitaire. Enfin, l’UE met à nouveau en avance son leadership dans la lutte contre le changement climatique en proposant le plan de relance le plus vert du monde.

Comme tout plan de relance, le fonds sera en partie financé par des émissions de dettes, et pose ainsi la question du remboursement futur de cette dette commune. La crise du coronavirus a fait grimper les niveaux d’endettement des économies européennes, fortement affectées par ce choc externe, et bien que les taux soient restés relativement bas grâce aux actions des banques centrales, les dettes ne restent pas moins une charge à rembourser à l’avenir. Le poids de l’endettement commun ne doit pas limiter la soutenabilité budgétaire future de l’UE.

1. https://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/submitViewTableAction.do
2: https://tradingeconomics.com/spain/gdp-growth et https://tradingeconomics.com/italy/gdp-growth
3 : https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/economy-finance/ip132_en.pdf
4 : https://www.bruegel.org/2019/12/who-pays-for-the-eu-budget-rebates-and-why/
5: https://www.politico.eu/article/sidelined-on-recovery-parliament-plans-battle-over-eu-budget/

Annexe : nouveau budget pluriannuel 2021-2027
Pour le budget 2021-2027, si les pays membres ont pu trouver un accord pour parvenir à une enveloppe totale conséquente pour faire face à la sévérité de la crise sanitaire, les contributions ont également dû s’adapter au départ d’un des plus importants financeurs de l’UE : le Royaume-Uni. Par ailleurs, des arbitrages ont dû être acceptés afin de contenter tous les acteurs, notamment vis-à-vis des pays réfractaires à la mutualisation des emprunts et au versement de subventions. Ce budget est également marqué par l’annonce de l’introduction de nouvelles sources de revenus propres à l’Union entre 2021 et 2023.

Avec une enveloppe de 356 milliards d’euros1, la Politique Agricole Commune (PAC) diminue d’environ 50 milliards d’euros par rapport au budget 2014-2020. La majorité de ce montant est directement dédié aux paiements vers les agriculteurs, et la France en est le premier bénéficiaire (près de 10 milliards d’euros en 20192). De plus, 40 % des versements devront désormais être dédiés à des projets liés au climat, une action qui vient en réponse aux récentes analyses indiquant que la PAC a un impact global négatif sur l’environnement, notamment sur la biodiversité3. Ensuite, le budget de cohésion a également connu une baisse de son enveloppe d’environ 7 % par rapport au précédent CFP. Néanmoins, 47,5 milliards d’euros seront dédiés au financement de la cohésion via le fonds de relance, dans le cadre du programme ReactEU. Au regard de la crise sanitaire en cours, la part du budget dédiée à la santé paraît négligeable, à 1,7 milliard d’euros. Il faut toutefois noter qu’un programme séparé bénéficiera de 3 milliards d’euros pour le stockage de matériel médical et équipements d’urgence. Par ailleurs, un fonds de 5 milliards d’euros a été mis en place afin de soutenir les entreprises et régions les plus vulnérables au Brexit.

Le climat est quant à lui un domaine qui bénéficie d’une hausse de financements, sous plusieurs formes. Tout d’abord, 30 % des dépenses du fonds de relance et du budget devront être liées à des projets qui sont en accord avec l’objectif de neutralité carbone de l’UE d’ici à 2050. Ce montant représente environ un quart de l’investissement nécessaire pour atteindre un objectif de réduction de 50-55 % des émissions par rapport au niveau de 1990 d’ici à 20304. Cet objectif peut toutefois engendrer une dynamique positive pour les investissements gouvernementaux et privés. Ensuite, le programme Just Transition Fund (10 milliards d’euros) a été mis en place pour permettre de soutenir spécifiquement les régions de l’Union les plus affectées par l’effort de transition vers une économie verte, comme par exemples, celles dont les économies sont les plus dépendantes de l’industrie du charbon. Enfin, malgré un montant en forte baisse par rapport à la proposition initiale de la Commission, le fonds InvestEU de 5,6 milliards d’euros devrait aider la Banque Européenne d’Investissement (BEI) à rediriger ses investissements vers des projets plus verts, considérés comme potentiellement plus risqués. Néanmoins, ce budget reste insuffisamment pour significativement élargir ses capacités de financement de projets durables et est loin de marquer sa transformation, souhaitée par certain, en banque européenne du climat.

Du côté des revenus, l’accord prévoit l’introduction de nouvelles sources de financement propres pour l’UE, afin de diversifier ses ressources et de moins reposer sur les contributions nationales. D’une part, une taxe sur les plastiques non-recyclés sera mise en place à partir de janvier 2021. D’autre part, d’autres taxes sont envisagées pour une implantation d’ici à 2023 : une taxe aux frontières sur les émissions de carbone, ainsi qu’une taxe sur le secteur digital.

1 : https://www.consilium.europa.eu/media/45109/210720-euco-final-conclusions-en.pdf
2 : https://ec.europa.eu/budget/graphs/revenue_expediture.html
3 : https://www.nature.com/articles/s41893-019-0424-x
4 : https://www.bruegel.org/2020/07/is-the-eu-council-agreement-aligned-with-the-green-deal-ambitions/