DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l’auteur sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l’établissement qui l’emploie.
Article rédigé en juin 2021
Utilité de l’article : Cet article a pour objectif d’analyser l’introduction des critères et des risques environnementaux dans la réglementation bancaire. Il met en évidence le rôle déterminant des banques dans l’orientation de l’économie vers des activités durables et fait un état des lieux des textes réglementaires qui sont en cours d’élaboration.
Résumé :
- Les régulateurs bancaires accordent une importance croissante aux enjeux environnementaux et le secteur bancaire peut jouer un rôle déterminant pour orienter l’économie vers des activités durables.
- Les banques devraient prendre en compte des indicateurs environnementaux dans l’évaluation du risque de crédit de leurs clients/contreparties. Cela nécessite une évolution des modèles actuels qui servent à évaluer ce risque.
- Les banques ont besoin d’indicateurs clairs et bien définis, de données suffisantes, ainsi que de méthodologies harmonisées afin d’être en mesure d’inclure les risques environnementaux dans leur cadre de gestion des risques.
- Une différenciation entre les entreprises ayant un impact négatif important sur l’environnement et celles qui ont moins d’impact devrait être établie au niveau de toutes les sous-catégories des risques environnementaux, et notamment au niveau du risque physique.
- L’introduction des risques environnementaux dans les exigences de fonds propres devrait être explicitée, et harmonisée avec les exigences de publication d’informations à destination du public et du superviseur.
Le réchauffement climatique, la perte significative de la biodiversité et la pollution liée aux activités humaines menacent de manière croissante l’avenir de notre planète et de notre société. Par conséquent, les gouvernements et régulateurs européens tiennent de plus en plus compte des enjeux environnementaux, bien que les mesures prises jusqu’à présent restent limitées.
En effet, notre modèle économique traditionnel, largement fondé sur l’utilisation des ressources naturelles, atteindra ses limites lorsque ces ressources s’épuiseront ou ne suffiront plus. Un épuisement de ces ressources risque non seulement de perturber les conditions de vie dans plusieurs zones géographiques mais aussi d’engendrer des crises sociales et économiques (y compris dans les pays développés) lorsque la rareté des ressources s’imposera et les conditions climatiques deviendront hostiles.
Depuis 2020, les critères environnementaux et climatiques commencent à être intégrés par les instances de supervision et de régulation des banques européennes, notamment l’Autorité bancaire européenne (EBA), l’Autorité du contrôle prudentiel et de résolution en France (ACPR) et la Banque centrale européenne (BCE)[1]. Les risques environnementaux seront potentiellement inclus dans les exigences de fonds propres des établissements bancaires dans les prochaines années. De plus, à partir de 2022 les banques et les sociétés d’investissement auront l’obligation d’être transparentes vis-à-vis des investisseurs sur la durabilité de leurs investissements.
La prise en compte des risques environnementaux dans la réglementation bancaire est une grande nouveauté et apportera un changement significatif dans la gestion des risques ainsi que dans l’organisation et la stratégie d’activité des banques. Bien que l’introduction de ces risques puisse être perçue par les établissements bancaires comme contraignante, par la difficulté de mise en place ainsi que par une éventuelle hausse des exigences de fonds propres, elle peut également constituer une opportunité. En effet, les banques qui financeront des projets novateurs et écologiques ainsi que des activités et produits moins polluants et plus durables, auront un avantage comparatif en termes de rentabilité durable, de risques environnementaux et de résilience. De plus, elles pourront devenir moteurs d’une économie plus écologique et plus responsable.
1. Politiques de financement : orientation du financement vers les secteurs et les activités durables
Les lignes directrices de l’EBA sur l’octroi et le suivi des prêts[2], imposent un certain nombre de critères que les banques doivent prendre en compte avant d’octroyer un crédit. L’exposition des emprunteurs aux facteurs environnementaux en fait partie[3]. Pour les prêts ou les emprunteurs associés à un risque environnemental plus élevé (identifiés à partir de cartes thermiques par exemple), les établissements doivent exiger une analyse plus approfondie du modèle économique, y compris un examen des émissions de gaz à effet de serre actuelles et prévues, de l’environnement de marché, des exigences réglementaires environnementales en vigueur et des impacts probables de ces exigences sur la situation financière de l’emprunteur.
L’objectif de cette section est d’analyser les critères environnementaux que les établissements pourraient considérer lors de l’octroi d’un prêt, en donnant quelques exemples.
Premièrement, les banques pourraient considérer dans leur politique de financement la durabilité de l’activité d’une entreprise, notamment en prenant en compte un horizon de temps plus long que ceux actuels : par exemple 20 ou 30 ans. Cet horizon plus long tiendrait compte des effets négatifs que peuvent avoir beaucoup d’activités industrielles, commerciales et de service sur l’environnement et les populations locales. Par exemple, bien qu’une activité puisse s’avérer performante et rentable dans le court et le moyen terme (jusqu’à 5 ans), elle peut être non durable à cause de son impact environnemental et du fait que sa rentabilité peut se réduire sur des horizons plus longs (baisse de la demande des consommateurs, technologie utilisée qui devient obsolète etc.). Le règlement sur la Taxonomie[4] définit les critères de durabilité environnementale pour l’ensemble des secteurs de l’économie (à l’exception des combustibles fossiles solides dans la production électrique) et pose notamment des exigences aux entreprises en termes de transparence sur la durabilité de leurs investissements. Les banques pourraient s’inspirer de ces critères pour évaluer la durabilité de l’activité d’une entreprise.
Dans un contexte où les enjeux climatiques et environnementaux prennent de l’ampleur, les banques ont l’opportunité de jouer un rôle central en orientant les entreprises qu’elles financent vers davantage de sobriété. Par exemple, elles peuvent promouvoir le développement de certains secteurs ou types d’activité tels que le recyclage des déchets, l’agriculture biologique, l’éducation, les énergies renouvelables, les circuits courts etc. Les entreprises ou les secteurs qui sont moins respectueux de l’environnement auront ainsi tendance à se convertir vers des activités plus durables.
En outre, les banques pourraient exiger pour les projets qu’elles comptent financer des estimations des émissions de gaz à effet de serre, de la dégradation environnementale que l’activité peut engendrer (déforestation / réduction des espaces verts, pollution des eaux et des sols, maltraitance animale, etc.) et de la consommation énergétique. Ces estimations pourraient être établies par des experts ou entreprises spécialisés en ingénierie environnementale.
Enfin, les banques pourraient prendre en compte dans le taux d’intérêt à appliquer les critères environnementaux en plus des critères financiers. Notamment, elles pourraient appliquer un taux d’intérêt plus élevé aux entreprises moins durables. Ce différentiel correspondrait à une prime de risque environnementale. Le calcul de cette prime de risque exigerait le calcul d’une perte espérée (et donc d’une probabilité de défaut (PD) et d’une perte en cas de défaut (LGD) dans les approches fondées sur les modèles internes) qui tiendrait compte des facteurs environnementaux. Cela nécessiterait le développement de nouveaux modèles d’estimation des paramètres de risque de crédit PD et LGD afin que ceux-ci ne prennent en compte pas seulement les variables macro-économiques et financières traditionnelles mais aussi des variables environnementales et climatiques qui seraient issues de domaines autres que la finance (l’ingénierie, la physique, la chimie, etc.). En s’inspirant de l’article 8 du règlement sur la Taxonomie[5], les banques peuvent par exemple inclure dans leurs modèles de scoring/notation la part du chiffre d’affaires ou du bénéfice des entreprises-clientes provenant d’une activité durable et la part de dépenses d’exploitation et d’investissement de ces entreprises liée à des actifs ou activités économiques durables.
2. Prise en compte des risques environnementaux dans les exigences de fonds propres
Dans son document de discussion « On management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms » l’EBA définit les risques environnementaux comme des risques financiers résultant des expositions des établissements aux contreparties qui peuvent contribuer ou être affectées négativement par les facteurs environnementaux tels que le changement climatique et d’autres dégradations environnementales. Elle classe les risques environnementaux en trois sous-catégories :
Ø Risque physique: risque encouru par l’établissement lorsqu’il s’expose à des contreparties qui peuvent être affectées par les effets physiques du changement climatique et d’autres facteurs environnementaux. Cela comprend les risques physiques aigus (résultant des événements métrologiques) et les risques physiques chroniques (résultant des changements à long terme du climat).
Ø Risque de transition: risque encouru par l’établissement lorsqu’il s’expose à des contreparties qui peuvent être négativement affectées par la transition vers une économie sobre en carbone, résiliente au changement climatique ou écologiquement durable. Cela comprend les changements politiques et réglementaires liés au climat et à l’environnement (par ex. tarification du carbone), aux changements technologiques (nouvelles technologies moins dommageables rendant les anciennes obsolètes) et aux changements de comportement (choix des consommateurs/investisseurs s’orientant vers des produits plus verts et durables).
Ø Risque de responsabilité: risque encouru par l’établissement lorsqu’il s’expose à des contreparties qui peuvent être tenues pour responsables de l’impact négatif de leurs activités sur l’environnement.
Les risques environnementaux ne sont pas inclus dans les catégories de risques spécifiées dans la réglementation prudentielle[6]. Ils pourraient ainsi être traités comme une nouvelle catégorie de risque, ce qu’impliquerait des exigences de fonds propres spécifiques à ces risques comme c’est le cas pour les risques bancaires traditionnels (risque de crédit, de marché et opérationnel).[7]
Néanmoins, les définitions des risques environnementaux données par l’EBA laissent comprendre que ces risques ont un impact direct ou indirect sur la santé financière future des contreparties des banques. Par conséquent, ils pourraient être inclus dans les catégories de risques prudentiels existants. En effet, des dégradations climatiques et environnementales, une hausse de la taxation de certaines matières premières ou types d’activités, une possibilité de condamnation ou d’atteinte à la réputation, ou encore des technologies qui peuvent devenir prochainement obsolètes ont un impact sur la santé financière d’une entreprise et sur la pérennité de son activité. De fait, sa valeur et sa solvabilité peuvent être impactées.
Le défi des banques, et notamment de celles qui utilisent les modèles internes pour estimer les pondérations de risque (RW), est alors d’inclure dans leurs modèles d’estimation des paramètres de risque de crédit PD (probabilité de défaut) et LGD (perte en cas de défaut), des variables environnementales et climatiques qui peuvent être issues de domaines autres que la finance.
Ø Le risque physique peut être pris en compte en introduisant dans la PD et la LGD d’une contrepartie des variables liées au changement climatique et à d’autres facteurs environnementaux. Ces variables peuvent être construites à partir de projections du réchauffement climatique, du niveau de pollution des eaux et des sols, de l’état des ressources naturelles (y compris la biodiversité), pour la zone géographique où cette contrepartie ou ses filiales opèrent. Bien que les effets des nuisances d’une entreprise individuelle à l’environnement ne soient pas directement pris en compte dans son risque physique, et donc sur ses paramètres de risque de crédit, la dégradation de son environnement physique aurait un impact direct sur ces paramètres.
Ø Le risque de transition peut être pris en compte en introduisant dans la PD et la LGD d’une contrepartie des variables de transition à une économie écologiquement plus neutre et durable. Il peut s’agir notamment du temps estimé pour qu’une entreprise transite à une activité plus durable et plus neutre vis-à-vis de l’environnement, du niveau estimé de la demande pour ses produits dans les 5 à 10 ans à venir, de la taxation des matières premières nuisibles qu’elle peut utiliser (telles que le charbon ou le pétrole) etc. L’avantage du risque de transition est qu’il résulte de l’activité individuelle d’une entreprise (contrairement au risque physique qui résulte plutôt de l’impact de plusieurs entreprises), et qu’il est donc en mesure de refléter directement l’impact écologique d’une contrepartie individuelle sur son risque de crédit.
Ø Le risque de responsabilité peut être pris en compte en introduisant dans la PD et la LGD d’une contrepartie des variables relatives à des éventuels dommages et intérêts qu’elle serait amenée à verser (à des populations locales, au gouvernement ou aux autorités locales d’un pays, ou à d’autres entreprises opérant dans la même zone géographique) à la suite de nuisances/endommagements à l’environnement et aux populations locales.
Pour les banques utilisant l’approche Standard[8], si les notations externes n’incluent pas les risques environnementaux, la prise en compte de ces risques ne pourra se faire que par l’ajout d’une catégorie « niveau des risques environnementaux » dans les tableaux des pondérations du risque (RW) donnés par le régulateur. Dans tous les cas, les banques utilisant cette approche devraient prendre en compte les risques environnementaux dans le calibrage de leurs provisions[9].
3. Une analyse critique des publications des autorités européennes de régulation et de supervision bancaire sur les risques environnementaux
L’autorité bancaire européenne (EBA) a publié le 3 novembre 2020 un document de consultation sur la gestion et la surveillance des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (appelés « risques ESG »)[10]. Ce document définit ces risques et fournit un premier cadre sur la manière dont ils pourraient être inclus dans la réglementation et la supervision des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (ci-après dénommés « établissements »). Dans ce document, l’EBA propose des critères et des méthodes pour comprendre l’impact des risques ESG sur les établissements ainsi que les dispositifs et les stratégies à mettre en œuvre par les établissements pour évaluer et gérer les risques ESG.
Afin d’accompagner les établissements dans la discussion avec l’EBA, la BCE a publié le 27 novembre 2020 un guide expliquant les attentes du superviseur en ce qui concerne les risques environnementaux et climatiques. Selon ce guide, les établissements doivent avoir une approche stratégique et tournée vers l’avenir pour prendre en compte ces risques. La BCE attend des établissements qu’ils prennent en compte ces risques en tant que moteurs des catégories de risques existantes, lors de l’élaboration de leur stratégie d’activité, de leur appétit pour le risque et de leur cadre de gouvernance et de gestion des risques. Elle explique aussi dans ce guide comment les établissements doivent devenir plus transparents en améliorant leurs publications liées au climat et à l’environnement.
L’une des méthodes pour évaluer les risques environnementaux et climatiques proposée dans ces publications consiste à effectuer des « stress tests ». Un premier exercice pilote sur les risques climatiques avait déjà été élaboré en mai 2020 par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en France (ACPR) en collaboration avec la Banque de France[11]. Cet exercice envisageait 3 scénariosavec un impact sur les variables macro-économiques : PIB, inflation, chômage. Dans le premier scénario (scénario de référence), le risque de transition vers les objectifs climatiques[12] est gérable, la transition se fait de manière progressive et sans choc macro-économique majeur. Dans le deuxième scénario, la transition ne commence qu’à partir de 2030. Par conséquent, des mesures contraignantes doivent être mises en place à partir de 2030 pour attraper le retard et atteindre les objectifs climatiques, se traduisant par une révision brutale du prix du carbone, ce qui conduit à des perturbations macro-économiques et sectorielles significatives. Enfin, dans le troisième scénario, les gouvernements n’introduisent pas de mesures de transition et les acteurs économiques ne modifient pas leur comportement. Les émissions des GES se poursuivent et les objectifs climatiques ne sont pas atteints. Ce scénario se traduit par un important risque physique à moyen et long terme, avec une augmentation de la fréquence et de la sévérité d’évènements climatiques extrêmes, ce qui se traduit par une dégradation significative des variables macro-économiques (PIB, inflation, chômage) à partir de 2040. Le risque de transition demeure en revanche limité.
L’EBA a également publié le 1er mars 2021 une consultation en vue de la publication d’ITS (normes techniques d’exécution)[13] sur les exigences de publication relatives aux risques ESG. Les établissements[14] devront notamment publier dans le Pilier III[15] un certain nombre d’éléments liés aux risques ESG, dont les expositions sur les secteurs ou zones géographiques exposés au changement climatique et le ratio des actifs durables (au sens de la Taxonomie européenne). Ces exigences entreront en application à partir de juin 2022, avec une mise en place complète en juin 2024.
Les publications sur les risques environnementaux des autorités européennes de régulation et de supervision bancaire posent des bases réglementaires solides sur le traitement prudentiel de ces risques. Ils introduisent de grands changements dans la gestion et la gouvernance des risques des établissements. Premièrement, les banques devront évaluer des nouveaux risques qu’elles n’avaient pas l’habitude de mesurer auparavant. De plus, elles devront revoir et modifier de manière significative leurs modèles actuels et notamment ceux d’évaluation des paramètres de risque de crédit (notation, probabilité de défaut PD, perte en cas de défaut LGD). Deuxièmement, les banques devront considérer de nouveaux facteurs et indicateurs de risque, dans la phase d’octroi et de suivi des prêts. Ces nouveaux indicateurs influenceront leur décision d’octroi ainsi que leur évaluation des clients existants (des potentiels changements de leur notation). Troisièmement, les établissements devront modifier la perception et la gouvernance de leurs risques et revoir leur appétit pour le risque.
Cependant, ces publications présentent certaines limites. Quatre défis peuvent être soulignés :
a) L’introduction des risques environnementaux nécessite des indicateurs clairs et bien définis ainsi que des méthodologies harmonisées qui permettraient aux banques d’intégrer ces risques dans les catégories de risque existantes, particulièrement en risque de crédit. Par ailleurs, les banques n’ont pas suffisamment de données relatives à ces risques, ce qui a été mis en évidence par l’exercice pilote de l’EBA de 2020[16]. L’application du règlement sur les risques environnementaux nécessite non seulement une liste d’indicateurs bien définie par le régulateur mais aussi le recours des contreparties à des cabinets spécialisés dans la mesure de ces risques, et le développement de nouveaux modèles bancaires qui tiennent compte de ces indicateurs dans les variables financières ou de risque (PD et LGD dans le cas du risque de crédit). Pour l’approche Standard, les risques environnementaux devraient être pris en compte soit dans les notations externes (donc par les agences/organismes externes de notation), soit par l’ajout d’une catégorie reflétant le niveau de ces risques dans les tableaux des pondérations RW donnés par le régulateur.
b) En se basant sur la définition du risque physique, une entreprise qui a une activité non durable et qui génère d’importants dégâts à l’environnement serait évaluée de la même manière qu’une entreprise qui a une activité beaucoup plus durable et un impact limité sur l’environnement tant que les deux entreprises se trouvent dans la même zone géographique. Cette indifférence d’évaluation en termes de risque physique n’incite pas les entreprises à réduire individuellement leur impact négatif sur l’environnement. Des indicateurs individuels sur la durabilité de l’activité et sur l’impact environnemental (émission de gaz à effets de serre, pollution des eaux et des sols, indice de recyclage et/ou de durabilité des produits, niveau d’utilisation des ressources naturelles, respect du bien-être animal etc.) devraient être mis en place et de manière très claire, au même titre que les indicateurs financiers qui déterminent jusqu’à ce jour la solvabilité d’une entreprise.
c) Le stress test climatique proposé par l’ACPR ne permet aux banques de « traduire » les risques climatiques en variation des paramètres de risque de crédit qu’à partir de la dégradation des variables macro-économiques traditionnelles (PIB, inflation, chômage). Cela peut poser problème dans la mesure où les variables macro-économiques traditionnelles ne prennent pas suffisamment en compte la durabilité des investissements ainsi que leur aspect écologique. En effet, une économie peut être en pleine croissance et en plein emploi sans que les activités des entreprises soient durables, à bas carbone et respectueuses de l’environnement. L’impact des risques environnementaux et climatiques ne peuvent se faire sentir sur les variables macro-économiques que si les gouvernements sont déterminés à imposer des mesures de transition vers les objectifs climatiques (exemple : hausse significative du prix de carbone) ou s’il y a une hausse significative du risque physique (ce que prévoit le 3ième scénario de cet exercice de stress test à partir de 2050 si la transition ne s’effectue pas). Par ailleurs, ce stress test est focalisé sur l’aspect climat et ne prend pas en compte d’autres aspects environnementaux, tels que la dégradation de la biodiversité, la pollution des eaux et des sols etc.
d) Enfin, dans les publications de l’EBA et de la BCE, il n’est pas bien explicité à quel moment les risques environnementaux seront pris en compte dans la charge en capital des banques et si cette prise en compte s’effectuera uniquement à travers les catégories de risques existantes (notamment le risque de crédit) ou en considérant (aussi) les risques environnementaux comme des risques à part. De plus, imposer aux banques de publier des données relatives à ces risques dans le Pilier III, avant que leur inclusion dans le Pilier I ou II[17] soit bien définie, pourrait créer des confusions pour les banques et les investisseurs, ainsi que les clients/déposants, justifiant une nécessaire harmonisation de la prise en compte de ces risques dans les différents piliers de la réglementation bancaire.
Conclusion
L’introduction des risques environnementaux dans la réglementation bancaire est un enjeu majeur pour l’atténuation du changement climatique et la préservation de l’environnement, ainsi que pour la gestion des risques des banques. D’une part, la prise en compte de ces risques inciterait les établissements à financer des projets et des activités durables, avec un impact atténué sur l’environnement. D’autre part, elle modifierait de manière significative la stratégie d’activité ainsi que la perception, la gestion et la gouvernance des risques dans les banques.
Le cadre fourni par le régulateur a toutefois ses limites. En effet, les banques manquent de données de qualité, d’indicateurs clairs et bien définis et de méthodologies harmonisées pour évaluer ces risques et pour les répercuter dans les catégories existantes de risques prudentiels.
De plus, afin d’inciter les entreprises à avoir une activité plus durable, l’impact individuel de chaque entreprise sur l’environnement devrait être pris en compte dans l’évaluation de chaque sous-catégorie de ses risques, et notamment celui physique. En effet, en promouvant des activités plus durables, les banques contribueront à une réduction de leurs risques et à un système économique et bancaire plus durable, plus respectueux à l’environnement et plus résilient.
Enfin, la prise en compte des risques environnementaux dans les exigences de fonds propres des banques n’est pas encore très claire ni très bien explicitée, or il est demandé aux banques de publier des informations prudentielles en lien avec ces risques à partir de juin 2022. Une prise en compte harmonisée de ces risques dans les différents piliers de la réglementation bancaire les rendrait plus clairs pour toutes les parties prenantes (notamment les banques, les investisseurs et les clients/déposants).
Références
• ACPR, (2020), Scénarios et hypothèses principales de l’exercice pilote climatique ;
• Directive CRD IV (DIRECTIVE 2013/36/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 juin 2013) ;
• Directive CRD V (DIRECTIVE (UE) 2019/878 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 20 mai 2019) ;
• Directive NFRD (Directive 2014/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2014) ;
• EBA Consultation paper on draft ITS on Pillar 3 disclosures on ESG risks (EBA/CP/2021/06);
• EBA Discussion Paper on management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms (EBA/DP/2020/03);
• EBA Action Plan on Sustainable Finance, 6 December 2019;
• EBA Guidelines on loan origination and monitoring (EBA/GL/2020/06);
• EBA Guidelines on institutions’ stress testing (EBA/GL/2018/04);
• EBA (2020), Mapping climate risk: Main findings from the EU-wide pilot exercise;
• ECB Guide on climate-related and environmental risks, Supervisory expectations relating to risk management and disclosure;
• Opinion de l’EBA sur les exigences de publication en termes d’activités écologiquement durables conformément à l’article 8 du Règlement sur la Taxonomie ;
• Règlement CRR (RÈGLEMENT (UE) N o 575/2013 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 juin 2013) ;
• Règlement CRR II (RÈGLEMENT (UE) 2019/876 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 20 mai 2019) ;
• Règlement Européen sur la Taxonomie (Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088) ;
• Règlement SFDR (Règlement (UE) 2019/2088).
[1]Cf. EBA Action Plan on Sustainable Finance, 6 December 2019; EBA Guidelines on loan origination and monitoring (EBA/GL/2020/06) ; ACPR (2020), Scénarios et hypothèses principales de l’exercice pilote climatique ; EBA Discussion Paper On management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms (EBA/DP/2020/03) ; ECB Guide on climate-related and environmental risks, Supervisory expectations relating to risk management and disclosure ; EBA Consultation paper on draft ITS on Pillar 3 disclosures on ESG risks (EBA/CP/2021/06), EBA (2020), Mapping climate risk: Main findings from the EU-wide pilot exercise.
[2]Cf. EBA Guidelines on loan origination and monitoring (EBA/GL/2020/06).
[3] Les facteurs environnementaux ne sont pas définis, du moins clairement, dans les lignes directrices sur l’octroi et le suivi des prêts. Ces facteurs sont définis dans le document de discussion de l’EBA sur la gestion et la surveillance des risques ESG, comme des caractéristiques environnementales qui peuvent avoir un impact positif ou négatif sur la performance financière ou la solvabilité d’une entité, souverain ou particulier.
[4] Cf. Règlement (UE) 2020/852.
[5] Cet article impose notamment aux entreprises non-financières de déclarer la part de leur chiffre d’affaires provenant de produits ou de services associés à des activités économiques durables sur le plan environnemental, et la part de leurs dépenses d’investissement et d’exploitation liée à des actifs ou à des activités économiques durables sur le plan environnemental.
[6] Notamment les textes du Comité de Bâle et leur transposition en règlement européen (CRR / CRR II).
[7] Depuis les accords de Bâle I, le régulateur exige aux banques de constituer un niveau minimum de fonds propres. Ces fonds propres exigés par le régulateur, appelés autrement « capital réglementaire », permettent aux banques de faire face aux pertes non anticipées et donc non couvertes par des provisions. Il s’agirait de pertes survenues à la suite d’une dégradation brutale de la conjoncture économique.
[8] Dans cette approche, les pondérations du risque (RW) sont données par le régulateur en fonction de la catégorie de la contrepartie, de sa notation externe et du type d’exposition. Les banques n’estiment donc pas les paramètres bâlois PD et LGD (paramètres estimés selon les principes du cadre réglementaire de Bâle II/III).
[9] Les provisions sont constituées par les établissements pour couvrir les pertes de crédit attendues (ECL). Dans les normes comptables IFRS 9, la calibration des provisions se fait sur la base des ECL : ECL = PD*LGD*EAD. Néanmoins, les paramètres PD, LGD et EAD sont évalués selon les principes des normes IFRS 9 et non pas selon les principes bâlois (bien qu’il puisse y avoir des ressemblances).
[10] Document de l’EBA « Discussion Paper on management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms (EBA/DP/2020/03) » publié dans le cadre de l’article 98(8) de la directive CRD V.
[11] ACPR, (2020), Scénarios et hypothèses principales de l’exercice pilote climatique.
[12] Il s’agit des objectifs climatiques de l’Accord de Paris : maintenir le réchauffement climatique au-dessous de 2°C à l’horizon 2100, comparé aux niveaux préindustriels.
[13] Ce document complète l’article 449bis du règlement CRR II.
[14] Sont concernés les établissements dont les titres s’échangent sur un marché réglementé de l’UE.
[15] Le Pilier III définit les informations relatives aux risques des établissements à destination du public et du superviseur ; il est défini par le cadre du règlement de Bâle et est transposé en règlement Européen (CRR).
[16]Cf. EBA (2020), Mapping climate risk: Main findings from the EU-wide pilot exercise.
[17] Le Pilier I définit les exigences minimales de fonds propres des banques (i.e. le capital réglementaire des banques). Les exigences de Pilier II (P2R) se sont des exigences de fonds propres qui s’appliquent en plus de celles de Pilier I et couvrent les risques sous-estimés ou non couverts par le Pilier I. Le P2R est déterminé via le processus de surveillance et d’évaluation prudentielle (SREP). Le capital que la BCE demande aux banques de conserver sur la base du SREP comprend également les recommandations de Pilier II (P2G). Ces recommandations permettent aux banques de constituer des coussins de capital suffisants afin de faire face aux situations de stress. Les deux piliers sont définis par le cadre du règlement de Bâle et sont transposés en règlement Européen (CRR/CRD).