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Climat : la BCE est-elle vraiment stressée ? (Note)

 

 

Utilité de l’article : Comprendre le contexte dans lequel s’inscrit l’introduction de stress tests climatiques au sein de la Banque centrale européenne et connaître quelles sont ses principales prévisions à 2050 concernant l’impact du réchauffement climatique sur les entreprises et le secteur bancaire.

 

Résumé :

  • La Banque centrale européenne (BCE) doit, en raison de son mandat lié à la stabilité des prix et de son objectif secondaire de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, travailler sur les enjeux climatiques et ainsi prendre part à la transition vers une économie zéro-carbone.
  • Les premiers stress tests climatiques publiés par la BCE en septembre 2021 affirment que, en absence de nouvelles politiques de transition, le réchauffement climatique aurait un impact de jusqu’à 10 % sur le Produit Intérieur Brut (PIB) européen à horizon 2100.
  • Étant donné le caractère irréversible du réchauffement climatique, la BCE souligne que les risques physiques et de transition représentent une menace importante pour les entreprises non-financières et les banques, et alerte en ce sens les entités supervisées sur la croissance non-linéaire des pertes en cas d’inaction face au réchauffement.

 

Face au besoin d’agir contre le réchauffement climatique et compte tenu de la demande croissante d’une intervention publique urgente, le principe de neutralité des banques centrales est souvent critiqué. Le principal argument de réponse de ces dernières pour justifier leur relative inaction était de considérer que les sujets climatiques dépassaient leurs missions et que, par conséquent, affronter ce sujet entraînerait une « politisation » de leurs interventions supposées neutres –afin de ne pas favoriser certains secteurs de l’économie au détriment d’autres– et un « glissement » de leurs mandats (mission creep).

 

I – L’ingérence des banques centrales sur les enjeux climatiques

Au regard des menaces que les risques climatiques représentent vis-à-vis de leurs objectifs primaires et secondaires (stabilité des prix, stabilité financière, plein emploi, croissance, etc.), le principe de neutralité des banques centrales ne semble plus justifié pour certaines parties prenantes. De plus en plus d’agents – entreprises, banques, assurances ou gestionnaires d’actifs – sont aujourd’hui directement ou indirectement exposés à des risques physiques (inondations, sècheresses, incendies, etc.) et de transition (dépréciations d’actifs, perte de contrats d’assurance, etc.) qui peuvent entraîner des chocs d’offre négatifs, des augmentations de prix et des ralentissements de l’activité. A leur tour, les risques de responsabilité juridique dits « liability risks » (éventuelles poursuites en justice et compensations à payer par des personnes morales jugées responsables de conséquences du réchauffement climatique) peuvent se traduire par une augmentation du risque systémique de divers secteurs et, face à d’éventuels effets en cascade, représenter une menace pour la stabilité financière.

 

Dans le cas de la Banque Centrale Européenne (BCE), son mandat primaire est ancré sur la stabilité des prix et n’est ainsi pas directement concerné par les enjeux climatiques. Cependant, parmi ses objectifs appelés « secondaires » se trouve l’obligation de soutenir les politiques économiques générales de l’Union[1], dont « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » en fait partie (voir Art. 3.3 et Art. 21.2.f du Traité sur l’Union Européenne[2]). En ce sens, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a affirmé dans un discours le 11 février 2021: « La prise en compte du changement climatique par l’Eurosystème n’est ni un abus de mission, ni une simple conviction militante ou une mode ; c’est un impératif que nous devons poursuivre au nom même de notre mandat actuel et pour assurer la bonne mise en œuvre de la politique monétaire[3] ».

 

Le banquier central néerlandais Frank Elderson, actuel président du Réseau pour le Verdissement du Système Financier (NGFS – Network for Greening the Financial System), a affirmé dans une tribune publiée le 13 février 2021[4] que l’efficacité de la politique monétaire pourrait être entravée par les conséquences des changements structurels liés au climat. Cependant, il a rappelé les marges de manœuvre de la BCE en matière climatique : « Nous ne devons pas empiéter sur les compétences d’autres autorités responsables de la politique environnementale, au niveau de l’UE ou au niveau national […]. Nous devons contribuer au succès des politiques relatives au changement climatique mais ne pouvons pas les formuler nous-mêmes ».

 

De son côté, le président de la Deutsche Bundesbank, Jens Weidmann, même si fervent défenseur du besoin d’agir face au réchauffement climatique, rappelait de même lors d’une intervention à l’Université Goethe le 25 janvier 2021 à Francfort[5]: « Il n’appartient pas à des banques centrales indépendantes de corriger ou de remplacer des décisions politiques. Notre indépendance ne nous a pas été accordée pour prendre les décisions que les politiciens ne sont pas disposés à prendre […]. Un rôle actif dans la politique climatique pourrait saper notre indépendance et, en fin de compte, compromettre notre capacité à maintenir la stabilité des prix ».

 

Au-delà des avis partagés concernant le niveau d’ingérence des banques centrales sur les enjeux climatiques, une intégration des risques climatiques semble indispensable afin de mieux faire face aux catastrophes appelées « cygnes verts[6] », soit aux événements climatiques certains à impacts considérables ou extrêmes et à conséquences irréversibles dont il n’est pas possible de prévoir avec exactitude quand, où ni comment ils auront lieu. Le terme «cygne vert» découle du concept de « cygne noir ». Ce dernier, développé par le professeur Nassim Nicholas Taleb en 2007, fait référence à des événements inattendus et rares, à impacts significatifs ou extrêmes et dont leur rationalisation est rétrospective. Dans le cas des « cygnes verts », à différence des noirs, les événements sont exclusivement climatiques, attendus et irréversibles. Si ce n’est pas possible de prévoir l’ampleur d’un « cygne vert », ses conséquences économiques et sociales se supposent systémiques.

 

Or, la BCE est aujourd’hui exposée à des risques climatiques en raison de son bilan contenant des titres achetés et des actifs pris en garantie (collatéral) associés à des activités intensives en carbone, dont un manque d’information standardisée et de métriques harmonisées empêchent leur juste « pricing ». Une exigence de transparence à l’égard des agents ­afin de mieux appréhender les risques climato-financiers et, parallèlement, en vue d’une intégration appropriée de ces derniers au sein des opérations de la banque centrale devient donc impérative pour le maintien de la stabilité financière et la bonne transmission des politiques monétaires.

 

II – Le rôle des stress tests climatiques

L’adoption d’une approche prospective via l’analyse de scénarios climatiques à horizons temporels judicieux – afin de ne pas « tomber dans le piège » de la « tragédie des horizons »[7] – s’impose de plus en plus grâce aux tests de résistance ou stress tests. Ceux-ci constituent des évaluations de la santé financière d’un agent qui analysent sa capitalisation et la qualité de ses actifs afin de déterminer sa capacité à faire face à d’éventuelles pertes dérivées d’une récession ou encore d’un crash financier. Les tests de résistance peuvent également être utilisés à des fins macroprudentielles pour mesurer de potentiels impacts sur la stabilité financière d’un système dans son ensemble. Leurs résultats permettent ensuite aux autorités de surveillance d’identifier les vulnérabilités des acteurs afin de prévenir des conséquences négatives majeures en cas de choc. Dans le cas concret des stress tests climatiques, les évaluations consistent à mesurer la résilience d’un agent face à des chocs climatiques qui pourraient découler de différents scénarios de transition écologique et n’emportent pas, jusqu’à présent, de conséquences en termes de capital réglementaire.

 

Le 22 septembre 2021, la BCE a publié un rapport sur les résultats de ses premiers stress tests climatiques[8]. A l’aide d’une méthode d’analyse de type top-down et grâce à une base de données de quatre millions de sociétés dans le monde et de 1.600 banques dans les 19 pays de la zone euro, l’exercice a consisté à évaluer l’impact de trois scénarios climatiques issus du NGFS[9] :

 

1) Une transition dite « ordonnée » de limitations progressives des émissions de gaz à effet de serre visant à respecter les objectifs de température de l’Accord de Paris signé lors de la COP21 en 2015 ; qui vise à limiter le réchauffement climatique à un maximum de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels (1861-1880) d’ici la fin du XXIe siècle[10].

2) Une transition dite « désordonnée », correspondant à un scénario de réaction tardive où une politique de mitigation du réchauffement climatique ne se mettrait en place qu’en 2030 et où les mesures seraient plus volontaristes.

3) Un scénario dit « monde chaud » où aucune régulation ni limitation au réchauffement climatique supplémentaire serait introduite et où la probabilité de risques physiques serait extrêmement élevée, notamment avec une augmentation de l’ordre de 3°C attendue à horizon 2100.

 

Les bénéfices macroéconomiques de la transition

La principale conclusion paraît peu surprenante : une transition ordonnée et rapide minimiserait les coûts à court terme et maximiserait les avantages à long terme. Bien qu’une croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) européen est attendue dans les trois scénarios, l’impact estimé du réchauffement climatique est différent pour chaque cas. À horizon 2100, la BCE estime que l’impact sur le PIB européen serait de jusqu’à 2 % en cas de transition désordonnée et de jusqu’à 10 % en absence de nouvelles politiques de mitigation vis-à-vis d’une transition ordonnée.

 

L’inaction comme source de risque pour le secteur bancaire et les entreprises

Le réchauffement climatique pourrait représenter une importante source de risque systémique pour les banques possédant des portefeuilles concentrés sur des activités économiques carbo-intensives sujettes à fort risque de transition ou situées dans des zones géographiques sujettes à fort risque physique, notamment dans le cas des institutions établies dans des pays où la protection réglementaire du collatéral est faible.Tandis que le rapport signale que la plupart des banques de la zone euro présente une exposition au risque de transition relativement similaire, l’exposition de leurs prêts au risque physique varie énormément en fonction de leur localisation, étant donné que les régions d’Europe du Sud sont soumises à de grands risques d’incendies et les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est sont plutôt vulnérables aux inondations. Aussi, les bilans des banques situées dans des pays tels que la Grèce, Chypre, le Portugal, l’Espagne ou Malta sont beaucoup plus exposés à des entreprises vulnérables au risque physique.

En outre, le rapport met l’accent sur le caractère irréversible du réchauffement climatique[11] et, en cas d’inaction, sur la croissance non-linéaire des pertes[12] qui en découleraient. Selon ses estimations, en l’absence de nouvelles politiques de transition, la rentabilité des entreprises à horizon 2050 serait 40 % plus faible qu’en cas de transition ordonnée, en particulier en raison de la diminution du chiffre d’affaires due aux risques physiques (directs ou indirects via les impacts sur leur chaîne de production) et à l’augmentation des coûts d’exploitation due aux risques de transition (taxe carbone, conversion vers des technologies bas-carbone etc.). Aussi, la probabilité de défaillance des entreprises à horizon 2050 serait 2,5 % plus élevée sous hypothèse de transition désordonnée et 5,5 % plus élevée dans un scénario dit de « monde chaud ».

De plus, étant donné qu’une partie significative du collatéral des banques de la zone euro est composée de garanties physiques, les institutions bancaires sont fortement exposées aux risques physiques sous hypothèse de « monde chaud ». Les pertes en cas de défauts (Loss Given Default) des portefeuilles bancaires sont donc inégalement réparties et semblent être plus significatives dans les régions fortement exposées aux risques physiques. Par conséquent, la BCE estime que, en l’absence de nouvelles politiques d’atténuation, les pertes du secteur bancaire pourraient être 8 % plus élevées qu’en cas de transition ordonnée.

 

Evolutions futures des stress-tests climatiques de la BCE : l’exercice de 2021 comme une 1ère étape dans la feuille de route de la BCE sur le climat

Afin d’améliorer ses prévisions, la BCE prévoit de publier en 2022 de nouveaux stress tests climatiques qui, à différence de ces premières estimations basées sur des bilans bancaires supposés statiques, analyseront la rentabilité et solvabilité de bilans bancaires dynamiques qui intégreront des boucles de rétroaction entre les banques et l’économie réelle. Cette évolution interviendrait dans la lignée des choix méthodologiques opérés par l’ACPR dans son exercice pilote mené en 2020-2021, dont les résultats ont été publiés au printemps 2021[13]. L’accent sera également mis sur la résistance des banques aux variations de la solvabilité de leurs contreparties. A noter que la BCE a également prévu de mesurer l’impact du réchauffement climatique sur les ménages, les portefeuilles souverains et les institutions non-bancaires.

 

Conclusion

Indépendamment des différents scénarios climatiques, les bénéfices à long terme d’une transition ordonnée vers une économie bas-carbone semblent largement compenser les coûts à court terme et réduire les probabilités de défaut des entreprises et des banques sur le moyen et long terme. Même si le rôle de lanceuse d’alerte adopté par la BCE était nécessaire, celui-ci demeure encore insuffisant. Outre les critiques du principe de neutralité de la BCE et des demandes d’adaptation de sa politique monétaire, nombreux sont ceux qui exigent une décarbonisation de son bilan et la rapide mise en place de règlementations plus strictes concernant l’accord de soutiens bancaires à des projets non alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris. Bien que la BCE se montre de plus en plus sensible aux enjeux climatiques, elle ne semble toujours pas suffisamment « stressée » par l’urgence de la question.

 

Bibliographie :

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https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20180628_as_placements_risque_climat_vf1.pdf

AUTORITE DE CONTROLE PRUDENTIEL ET DE RESOLUTION. Une première évaluation des risques financiers dus au changement climatique : Les principaux résultats de l’exercice pilote climatique 2020. 2021.

https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20210602_as_exercice_pilote.pdf

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BANQUE DE FRANCE. Le « Cygne Vert » : Les banques centrales à l’ère des risques climatiques. 2020. 

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SCHOENMAKER, Dirk. Greening monetary policy: An alternative to the ECB’s market-neutral approach. Bruegel, 2019.

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https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/english_paris_agreement.pdf

 


[1]L’article 127 du Journal Officiel de l’Union Européene affirme: « Without prejudice to the objective of price stability, the European System of Central Banks shall support the general economic policies […] with a view to contributing to the achievement of the objectives of the Union ». Voir : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/TXT/HTML/?uri=CELEX:12016E127

[7]Face aux menaces climatiques, le concept de “tragédie des horizons”, détaillé par l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney lors de son discours du 29 septembre 2015, fait référence aux risques associés aux décalages temporels entre la recherche de profits à court terme du secteur financier et le besoin de financement soutenable à long terme pour l’ensemble de la société dans le cadre d’une transition vers une économie bas-carbone. Voir : https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/speech/2015/breaking-the-tragedy-of-the-horizon-climate-change-and-financial-stability.pdf?la=en&hash=7C67E785651862457D99511147C7424FF5EA0C1A

[8]https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpops/ecb.op281~05a7735b1c.en.pdf?278f6135a442cd0105488513e77e3e6d. Des stress tests climatiques à horizons plus courts et avec des échantillons plus petits ont déjà été menés au sein de l’Union Européenne par la Banque des Pays-Bas en 2018, par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution et la Banque de France en 2020, et par la Banque d’Angleterre et l’Autorité Bancaire Européenne en 2021.