Barber, B. M., & Odean, T. (2001). Boys will be boys: Gender, overconfidence, and common stock investment. The Quarterly Journal of Economics, 116(1), 261-292.
Résumé :
- Publiée en 2001, cette étude réalisée par Terrance Odean et Brad Barber, tous deux chercheurs à l’Université de Californie, a mis en exergue une sous-performance des investisseurs masculins comparativement à leurs homologues féminins.
- S’appuyant sur un échantillon de 37,664 investisseurs observés entre 1991 et 1997, les auteurs démontrent que les hommes exhibent un rendement moyen annuel à 1.72% contre 2.65% pour les femmes.
- Cet écart de performance s’explique notamment par un biais de « surconfiance » (directement traduit de l’anglais « overconfidence ») exacerbé chez les investisseurs masculins, les conduisant à passer 45% d’ordres en plus par rapport aux femmes, multipliant ainsi les frais de courtage.
Plusieurs études en psychologie ont démontré que les hommes présentaient un biais de « surconfiance » plus prononcé que leurs homologues féminins. Christine Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne l’avait suggéré dans une célèbre formule, à l’occasion des 10 ans de la crise: «Si Lehman Brothers s’était appelée “Lehman Sisters”, la situation des banques en 2008 aurait été bien différente.»En d’autres termes, les hommes tendent à surestimer leurs connaissances et pensent détenir une information plus précise comparativement aux autres individus, et ce dans de multiples domaines. Par exemple, le biais de « surconfiance » conduit les individus à présenter des croyances trop optimistes dans leurs capacités professionnelles (Meyer et al., 2013) ou dans leurs formes physiques (Obling et al., 2015). Quid des implications sur les marchés financiers ? Deux chercheurs à l’Université de Californie, Terrance Odean et Brad Barber, ont publié en 2001 dans le prestigieux Quarterly Journal of Economicsune étude pionnière à propos des effets du biais de « surconfiance » masculin sur les performances des investisseurs individuels. Ils y ont notamment démontré que les investisseurs masculins obtenaient un rendement moyen annuel de 0.94 point de pourcentage inférieur à celui des femmes. Autre fait marquant : les différences de performances sont exacerbées entre les hommes et les femmes célibataires. Les hommes célibataires passent près de 67 % d’ordres de plus que les femmes célibataires, réduisantleurs rendements de 1.44 point de pourcentage de plus par an.
1. Mesurer la « surconfiance » sur les marchés financiers
En matière d’investissement, le biais d’excès de confiance conduit logiquement les individus à surestimer leur compréhension des marchés financiers et à ignorer les messages négatifs émis par le marché. Or, un investisseur rationnel n’est supposé passer un ordre seulement si l’utilité dégagée (autrement dit le gain attendu) de ce dernier est supérieure à ses coûts de transaction. Ainsi, le biais de « surconfiance » mènera un investisseurà multiplier son volume de transaction, car il surestimera le gain attendu de ses investissements. De facto, il détériorera le rendement de son portefeuille du fait de prises de position trop risquées et de frais de transactions plus élevés (viaun nombre plus important de transactions).
En s’appuyant sur les rendements mensuels de 37,664 investisseurs américains entre février 1991 et janvier 1997, Terrance Odean et Brad Barber ont testé deux hypothèses dans leur papier : (H1)les hommes réalisent en moyenne davantage de transactions par rapport aux femmes ; et (H2) les hommes présentent des performances inférieures à celles des femmes. La méthode économétrique utilisée dans cette étude est une expérience naturelle, autrement dit une expérience qui n’a pas lieu dans un laboratoire, mais dans « la vraie vie ». Contrairement aux expériences randomisées traditionnelles, les expériences naturelles ne sont pas contextualisées par les chercheurs, mais plutôt observées et analysées ex post.
2. Les investisseuses plus performantes que leurs homologues masculins ?
Le tableau II proposé ci-dessous présente les principaux résultats de l’étude que nous allons décrire. Tout d’abord, selon le Panel A, les femmes détiennent en moyenne des portefeuilles légèrement moins importants en valeur (18,371 USD contre 21,975 USD pour les hommes). Toutefois, on observe chez les femmes un volume de transactions s’élevant à environ 53% (4.4% multiplié par 12 mois) contre 77% du montant du portefeuille pour les hommes (6.41% multiplié par 12). Ce premier résultat vient confirmer l’hypothèse H1selon laquelle les femmes, moins sujettes au biais de « surconfiance », présentent un turnover moindre par rapport à leurs homologues masculins.
Le panel B nous montre ensuite que les femmes obtiennent des rendements mensuels bruts inférieurs de 0.041% par rapport à ceux du portefeuille qu’elles détenaient en début d’année, pour une perte de 0.069% du côté des hommes, soit une différence de 0.028 % (0.34 % par an). En d’autres termes, hommes et femmes étaient en moyenne perdants sur les années étudiées (j’imagine c’est cela ?), mais les hommes présentent un portefeuille moyen encore moins performant que celui des femmes. Le constat est le même si l’on prend en considération les rendements nets. Ces manques à gagner sont statistiquement significatifs avec des intervalles de confiance de 99% (d’où les 3 étoiles à côté de la valeur du coefficient).
3. Quid de l’influence des partenaires ?
Les couples mariés peuvent s’influencer mutuellement dans leurs décisions d’investissement. Dans certains cas, le conjoint qui prend les décisions d’investissement est potentiellement différent de celui qui a initialement ouvert un compte de courtage. À ce titre, les auteurs supposent que les différences observables dans les stratégies d’investissement des hommes et des femmes seront plus importantes pour les hommes célibataires et les femmes célibataires, puisque ces derniers ne subissent pas l’influence de leurs conjoints.
Pour étudier cette éventualité, les auteurs ont divisé leur échantillon en quatre groupes : les femmes mariées, les hommes mariés, les femmes célibataires et enfin les hommes célibataires. La valeur et le turnover moyens des portefeuilles détenus par les quatre groupes sont présentés dans les six dernières colonnes du tableau II (Panel A). En ligne avec les attentes initiales, les différences de rotation de portefeuilles sont plus importantes entre les femmes et les hommes célibataires qu’entre les femmes et les hommes mariés. Le constat est le même si l’on s’intéresse aux rendements mensuels bruts et nets : les rendements anormaux mensuels bruts de référence des femmes célibataires (-0.029) et des hommes célibataires (-0.074) sont statistiquement significatifs au niveau de 1 %, tout comme leur différence (O.045 soit 0.54% par an).
Conclusion
Ainsi, un biais de « surconfiance » plus marqué chez les hommes dégrade la performance de leurs portefeuilles comparativement aux investisseuses. Lors d’une entrevue téléphonique avec le New York Times, Brad Barber expliquait également que les investisseurs qui affichent un excès de confiance – les hommes donc – interprèteraient les nouvelles financières à très court terme et transigeraient sur ce « bruit » parfois pourtant insignifiant. Toutefois, l’auteur déclare également ne pas être en mesure de fournir une explication claire quant à la prominence de la « surconfiance » chez les hommes : est-elle innée ? Résulte-t-elle de l’environnement dans lequel l’individu se construit ? De son niveau d’éducation (Mishra et Metilda, 2015) ? À ce jour, la sphère scientifique peine à établir une réponse consensuelle.
Références
Meyer, A. N., Payne, V. L., Meeks, D. W., Rao, R., & Singh, H. (2013). Physicians’ diagnostic accuracy, confidence, and resource requests: a vignette study. JAMA Internal Medicine, 173(21), 1952-1958.
Mishra, K. C., & Metilda, M. J. (2015). A study on the impact of investment experience, gender, and level of education on overconfidence and self-attribution bias. IIMB Management Review, 27(4), 228-239.
Obling, K. H., Hansen, A. L. S., Overgaard, K., Normann, K., Sandbaek, A., & Maindal, H. T. (2015). Association between self-reported and objectively measured physical fitness level in a middle-aged population in primary care. Preventive Medicine Reports, 2, 462-466.