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☆ Le “Draghi put”, ou comment les paroles des banquiers centraux peuvent permettre à certains Etats d’emprunter pour moins cher ?

Dans l’actualité: l’annonce de l’OMT (Outright Monetary Transactions) en juillet 2012 par la BCE a, malgré le fait qu’il n’ait pas été activé, permis de faire baisser les taux d’intérêt auxquels empruntent les pays de la périphérie d’après de nombreux observateurs. Certains ont parlé et continuent de parler de « Draghi put » pour expliquer cet effet (voir nos références). De quoi parle-t-on ?

 

 

On parlait du Greenspan put pour désigner l’assurance implicite de « non-pertes » dont bénéficiaient les marchés financiers américains lorsque Alan Greenspan présidait la FeD (1987-2006). Un éclairage avait déjà été consacré à ce terme sur notre site. Etant donné la réaction de la FeD sous la gouvernance d’Alan Greenspan lors du krach boursier de 1987, et ses réactions similaires lors des épisodes de krach boursier dans les années 90 (97-98 notamment), l’idée que la FeD interviendrait en cas de baisse subite et prononcée des cours s’est popularisée donnant lieu à l’expression « Greenspan put ». Pourquoi « put » ? Une intervention de la banque centrale en cas de baisse des cours boursiers via une politique monétaire plus accommodante a théoriquement un impact positif sur les marchés boursiers et donc sur les cours des actifs, permettant ainsi d’éviter des pertes qui auraient eu lieu en cas de statu quo de la FeD. Cette « assurance de non pertes », ou plutôt de pertes limitées pour être plus exact, peut se rapprocher de la définition d’une option « put » en finance, qui est une option procurant à son détenteur une assurance contre la baisse du prix d’un actif. La métaphore du « put » vient donc de cette similitude avec une option put dans le déclenchement de l’assurance et les conséquences en terme de pertes .

 

Pourquoi alors parler de « Draghi put » ? Tout simplement pour décrire le fait que les investisseurs s’attendent à une réaction de la banque centrale en cas de baisse des cours, comme dans le cas d’Alan Greenspan. A quelques différences près.

On ne parle pas ici du cours des actions, mais du cours des obligations, et particulièrement du cours des obligations des pays de la périphérie. En d’autres termes, on s’attend à voir la banque centrale intervenir pour soutenir le cours des obligations des pays de la périphérie (dans un objectif de maintient des taux d’intérêt à des niveaux raisonnables).

On ne se base pas sur les actes passés de Mario Draghi[1], comme c’était le cas avec Alan Greenspan, mais sur ses paroles. L’OMT n’a pas été enclenché, mais les investisseurs s’attendent à son déclenchement en cas de crise obligataire soutenue dans les pays de la périphérie. Cet OMT, couplé aux paroles de Mario Draghi qui a pour un long moment répété que l’Euro était « irréversible », fait que les marchés s’attendent à une intervention de la BCE en cas de hausse de taux d’intérêt prononcés pour les pays de la périphérie. Cet OMT peut être pensé comme une assurance : si les cours plongent, les marchés anticipent que la banque centrale va réagir en achetant à grande échelle des actifs des pays de la « périphérie », ce qui va soutenir les prix des actifs. Une assurance contre une baisse des prix en quelque termes. Un « Draghi put » en d’autre termes.

 

Graph: L’annonce de l’OMT en juillet 2012 a profité aux pays de la périphérie

 

Ce « Draghi put » permet aux pays de la périphérie de bénéficier de taux d’intérêt « convenables ». Mais il repose principalement sur un élément : l’OMT. Un élément dont la légitimité a été remise en doute par certains auprès de la cour constitutionnelle allemande, qui a elle-même décidé il y a peu de renvoyer cette question de légitimité à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJE). Si la CJE donne raison aux opposants de l’OMT, cela signifierait la fin du « Draghi put » et une remonté des taux d’intérêt pour les pays de la périphérie qui pourrait être très déstabilisant pour ces derniers.

 

 

 

Julien Pinter

Twitter: kissJulienPinter_BSIeco

 

Notes

[1] A moins que l’on ne considère le second LTRO comme une intervention ayant permis de faire remonter les cours des actifs, agissant par là comme une assurance ex post. Cela parait moins évident que dans le cas d’une baisse de taux motivée par des raisons liées aux cours boursiers (se rapprochant du cas Greenspan) ou dans le cas d’achats d’actifs à grande échelle

 

 

Pour aller plus loin:

« Les juges constitutionnels allemands offrent un répis à la BCE » (Le Monde, 8 février 2014) 

« Les investisseurs ont besoin de croire à un « put » : « le Draghi Put » après le « Greenspan Put » » (Natixis, Flash Marchés, Patrick Artus, 13 janvier 2014)

« Outright Monetary Infractions » (Project Syndicate, Hans-Werner Sinn, 9 février 2014) (qui souligne que rien n’est joué pour l’OMT)