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Les enfants, premières victimes de la crise économique en France

Résumé :

– La pauvreté monétaire, au seuil de 60 %, a augmenté dans tous les pays de l’UE15 à l’exception des Pays-Bas, de la Finlande, de l’Irlande, du Royaume-Uni et de l’Autriche.

– À l’intérieur des pays, le nombre de personnes pauvres n’a pas évolué de la même manière selon la tranche d’âge.

– Les personnes âgées sont protégées de la dégradation de la conjoncture économique, alors que le nombre de pauvres d’âge actif ou de moins 18 ans augmente.

– Avec le Luxembourg, la France se distingue des autres pays européens, car le nombre de pauvres a le plus fortement augmenté pour la tranche d’âge des enfants.

Les pays européens traversent depuis 2008 une crise sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette crise d’abord financière s’est progressivement élargie à l’économie réelle puis à l’ensemble de la société. Aujourd’hui, elle se traduit entre autres par une croissance économique morose, un taux de chômage élevé, une défiance de la population à l’égard de la sphère politique et une montée des extrêmes.

La dégradation des conditions de vie est un autre domaine dans lequel la crise a des effets importants et qui est lié avec ceux précédemment cités. Un nombre croissant de personnes se sont vues basculer dans la pauvreté entrainant des situations de plus en plus complexes. Devant ce constat, il convient de s’interroger sur l’évolution de la pauvreté et de savoir qui sont les personnes les plus touchées par ce phénomène. Cela est indispensable pour comprendre la situation actuelle et prendre les mesures adéquates permettant de lutter contre la pauvreté.

 

La pauvreté progresse dans quasiment tous les pays européens

Depuis 2008, les pays européens alternent entre période de croissance faible et de récession, voire de dépression pour certaines années. Cela s’est traduit par une augmentation du taux de chômage dans tous les pays européens, à l’exception notable de l’Allemagne. À titre d’exemple, le taux de chômage en Espagne est passé de 8,2 % de la population active à 24 % entre 2007 et 2014 (chiffre de septembre). Si ce pays fait partie des plus affectés par la crise, il montre bien l’importance de celle-ci sur l’économie européenne.

Par ailleurs, en dégradant le marché du travail, la crise économique a privé une partie de la population de revenu du travail entraînant une augmentation de la pauvreté. En effet, parmi les quinze pays européens les plus riches, seuls quatre pays (Pays-Bas, Finlande, Irlande, Royaume-Uni et Autriche) n’ont pas connu d’augmentation de la pauvreté monétaire entre 2007 et 2012 (graphique 1). Il faut noter ici que la diminution du taux de pauvreté au Royaume-Uni et en Irlande semble davantage s’expliquer par une baisse du niveau vie médian que par l’amélioration des conditions de vie des personnes les plus modestes. Concernant les autres pays, l’augmentation de la pauvreté a été la plus forte pour la Grèce (+ 3 points de pourcentage), la Suède (+2,6 points) et le Luxembourg (+2,5 points). En passant de 12,5 % à 13,7 % entre 2007 et 2012, la France connait la cinquième plus importante augmentation du taux de pauvreté. Toutefois, son taux de pauvreté reste limité en comparaison des autres pays européens. Avec un taux de pauvreté inférieur à 14 % en 2012, la France fait partie des pays les moins touchés avec les Pays-Bas, la Finlande et le Danemark. À l’opposé, les pays méditerranéens (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) sont les plus touchés par la pauvreté avec un taux supérieur à 14 %. Enfin, même si l’Allemagne est le seul pays à avoir connu une diminution du taux de chômage entre 2007 et 2012, elle connait une augmentation de la pauvreté durant cette période (+0,9 point) et atteint un niveau relativement élevé (16,1 %).

 

Graphique 1 : Taux de pauvreté monétaire au seuil de 60 % en 2007 et 2012

Lecture : En 2012, le taux de pauvreté monétaire au seuil de 60 % atteignait 13,7 % en France.

Note : Il s’agit des données de 2011 pour l’Espagne et le Royaume-Uni.

Source : Eurostat [ilc_li02], date d’extraction 14/11/2014, Bsi-Economics.

 

En France, l’augmentation de la pauvreté est surtout subie par les enfants

Si les pays européens n’ont pas tous connu la même évolution de la pauvreté durant la crise, il en va de même au sein des pays lorsque l’on s’intéresse à l’évolution du nombre de pauvres par tranche d’âge (graphique 2). Les personnes d’âge actif (15-64 ans) ont connu une augmentation du nombre de pauvres dans douze des quinze pays retenus, alors que celui-ci a diminué dans tous les pays pour les 65 ans et plus, à l’exception de la Grèce et de la Suède. Cela peut s’expliquer par deux phénomènes :

  1. L’augmentation du taux de pauvreté s’explique principalement par la dégradation du marché du travail qui entraîne la privation de revenu du travail pour les personnes en âge de travailler. Ce sont donc les personnes d’âge actif qui sont les plus confrontées par la dégradation des niveaux de vie.
  2. Les personnes partant à la retraite ont des carrières de plus en plus longues et remplies ce qui leur assure une pension de retraite plus élevée. C’est ce que l’on appelle l’effet noria.

L’évolution du nombre de personnes pauvres de moins de 18 ans est quant à lui très variable d’un pays à l’autre. Six pays connaissent une amélioration (Finlande, Royaume-Uni, Danemark, Allemagne, Pays-Bas et Irlande), trois pays une quasi-stagnation (Autriche, Italie et Portugal) et six pays une augmentation (Belgique, Espagne, France, Suède, Grèce et Luxembourg).

Avec le Luxembourg, la France se démarque des autres pays puisque c’est pour la tranche d’âge des enfants que la pauvreté a le plus progressé. Ainsi, les effets de la crise économique sont davantage portés par les enfants que par le reste de la population. Entre 2007 et 2012, ce sont près de 420 000 enfants de plus qui sont confrontés à la pauvreté, soit une augmentation de 20,5 %. Cette aggravation de la pauvreté infantile s’explique par la hausse de la pauvreté qui est plus marquée chez les familles monoparentales et les familles nombreuses que le reste de la population[1]. En passant de 27,4 % à 34,9 % entre 2007 et 2012, la France a connu la troisième plus forte augmentation du taux de pauvreté des familles monoparentales au sein de l’UE15. Pour les ménages avec au moins 3 enfants, le taux de pauvreté est passé de 19,8 % à 23,1 % situant la France en quatrième position de l’UE15 en termes d’augmentation. Les statistiques en matière de taux de chômage par type de ménage manquent pour comprendre si l’évolution de la pauvreté pour les familles monoparentales et les familles nombreuses s’explique par une sensibilité plus forte aux conditions du marché du travail. Toutefois, il est possible d’affirmer que les familles monoparentales connaissent un taux de chômage plus fort que les autres types de ménage (18,9 % contre 10,9 % pour les personnes seules en 2013)[2].

Cette situation est d’autant plus préoccupante que le niveau de vie des enfants a un impact direct sur leur développement et leurs conditions de vie à l’âge adulte[3]. En effet, une récente étude aux États-Unis a montré qu’augmenter de 1 000 dollars le revenu des familles entraine une augmentation des résultats aux tests de mathématique et de lecture de 6 % d’écart-type[4]. Cet effet semble d’autant plus important que les enfants vivent dans des familles modestes. Par ailleurs, le niveau de vie des enfants semble avoir un impact sur les conditions de vie à l’âge adulte. Il a été montré qu’une augmentation du niveau de vie durant l’enfance entraine un niveau de vie plus important à l’âge adulte et une meilleure intégration sur le marché du travail[5]. Une relation positive semble également exister entre le niveau de vie durant l’enfance et la santé physique. Il en est de même pour le développement des capacités sociales, émotionnelles et de comportement[6]. Ainsi, garantir un certain niveau de vie des enfants est essentiel afin d’assurer leur meilleure intégration possible dans la société à l’âge adulte. Si cette stratégie peut sembler couteuse à court terme, il est fort à penser qu’elle sera rentable à plus long terme. En effet, en améliorant l’état de santé de la population, son niveau d’éducation et son intégration sur le marché du travail, de nombreux « coûts de réparation » pourront être évités.

 

Graphique 2 : Taux de variation du nombre de personnes pauvres monétairement par tranche d’âge entre 2007 et 2012

Lecture : Le nombre de personnes de moins de 18 ans et pauvre monétairement au seuil de 60 % a progressé de 20,4 % entre 2007 et 2012 en France.

Note : Il s’agit de la période 2007/2011 pour l’Espagne et le Royaume-Uni.

Source : Eurostat [ilc_li02], date d’extraction 14/11/2014, Bsi Economics.

 

Conclusion

Quasiment tous les pays de l’UE15 ont connu une augmentation du taux de pauvreté depuis le début de la crise de 2008. Toutefois, cette augmentation de la pauvreté n’a pas été subie de manière équivalente entre les membres d’un même pays. Si les personnes âgées semblent protégées des effets de la dégradation économique, les personnes d’âge actif et les enfants sont en première ligne. Cela est d’autant plus vrai pour la France que le nombre de pauvres a le plus augmenté pour les personnes de moins de 18 ans. Cette spécificité française est préoccupante lorsque l’on connait l’importance des conditions de vie à l’enfance sur les conditions de vie à l’âge adulte.

En 2013, le gouvernement a lancé un plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Ce plan comprend une soixantaine de mesures qui devraient permettre de réduire le niveau de pauvreté de la population global et donc in fine celui des enfants. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur le manque d’objectif clair concernant spécifiquement la pauvreté des enfants.

En effet, à l’instar du Royaume-Uni et de la Belgique qui ont clairement édicté des plans de lutte contre la pauvreté infantile, la France semble se voiler les yeux face à la situation qu’elle traverse. Par exemple, le vote sur l’instauration de la modulation des allocations familiales aurait dû être l’occasion de redistribuer davantage de prestations familiales aux familles modestes. En effet, les parlementaires ont voté en octobre 2014 l’instauration de la modulation des allocations familiales. Ainsi, les allocations familiales devraient être divisées par deux pour les ménages ayant des revenus supérieurs à 6 000 euros pour un foyer avec deux enfants et par quatre à partir de 8.000 euros de revenus. On aurait pu penser que l’argent économisé sur la baisse des allocations à destination des ménages aisés aurait permis de financer une augmentation des allocations pour les ménages les plus modestes. Une telle mesure aurait entrainé une réduction du taux de pauvreté monétaire des enfants. Toutefois, le gouvernement a utilisé les économies réaliser pour diminuer le déficit public. Il reste que la commission enfance, installée par le premier ministre en janvier 2014 à France Stratégie et qui doit rendre prochainement son rapport, saura proposer des pistes afin d’endiguer la pauvreté des enfants ou, au minimum, mettre en avant les difficultés de la France dans ce domaine[7].

 

 

Notes:

[1] Marguerit D. (2014), « Les effets d’une crise économique de longue durée », Rapport annuel de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 120 p.

[2] Lê, Le Minez et Rey (2014), « Chômage de longue durée : la crise a frappé plus durement ceux qui étaient déjà les plus exposés », France, portrait social, édition 2014, INSEE.

[3] Gibb S.J., Fergusson D.M & Horwood L.J. (2012), « Childhood family income and life outcomes in adulthood: Findings from a 30-year longitudinal study in New Zealand », Social Science & Medecin, vol. 74(2), pages 1979-1986.

[4] Dahl G.B. & Lochner L. (2012), « The Impact of Family Income on Child Achievement: Evidence from the Earned Income Tax Credit », American Economic Review, vol. 102(5), pages 1927-1956.

[5] Pour une revue de littérature voir : Mayer S. (2010), « Revisiting an old question: How much does parental income affect child outcomes? », Focus, vol. 2(2), p21-26.

[6] Pour une revue de littérature voir : Cooper K. & Stewart K. (2013), « Does money affect children’s outcomes : a systematic review », Joseph Rowntree Foundation.

 

Références:

Dahl G.B. & Lochner L. (2012), « The Impact of Family Income on Child Achievement: Evidence from the Earned Income Tax Credit», American Economic Review, vol. 102(5), pages 1927-56.

Cooper K. & Stewart K. (2013), « Does money affect children’s outcomes: a systematic review », Joseph Rowntree Foundation.

Gibb S.J., Fergusson D.M & Horwood L.J. (2012), « Childhood family income and life outcomes in adulthood: Findings from a 30-year longitudinal study in New Zealand», Social Science & Medecin, vol. 74(2), pages 1979-1986

Lê, Le Minez et Rey (2014), « Chômage de longue durée : la crise a frappé plus durement ceux qui étaient déjà les plus exposés », France, portrait social, édition 2014, INSEE.

Marguerit D. (2014), « Les effets d’une crise économique de longue durée », Rapport annuel de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Mayer S. (2010), « Revisiting an old question: How much does parental income affect child outcomes? », Focus, vol. 2(2), p21-26