L’économie Tunisienne post-Révolution: l’Ambition face aux défis (1/2)
Bilan économique
Résumé :
· Depuis la révolution tunisienne de la jeunesse en 2011, la Tunisie fait ses pas dans la transition démocratique, économique et sociale ;
· En 2016, la situation économique est au deçà des attentes. Une croissance ralentie, deux déficits jumeaux (public et courant) qui se creusent, un chômage et des inégalités qui persistent, une baisse des investissements, etc.Tous ces éléments traduisent l’ampleur des défis à relever ;
· La conférence internationale sur l’investissement « Tunisia 2020 », l’adoption d’un nouveau code d’investissement, la reprise du tourisme, le « contrat de la dignité » pour favoriser l’emploi des diplômés représentent autant d’efforts fournis pour permettre à la Tunisie de renouer avec la croissance ;
· La Tunisie a encore des défis à relever pour assurer une relance de l’économie et une paix sociale, notamment via des réformes des finances publiques, une amélioration du climat des affaires ou encore des mesures pour réduire les inégalités et le chômage
Six ans après la révolution, la Tunisie fait toujours parler d’elle. Des accords sur l’investissement, la reprise du tourisme, l’accroissement du déficit public, l’économie tunisienne oscille entre des défis à relever et un potentiel à valoriser. Même si la situation économique et financière actuelle de la Tunisie est caractérisée par une vulnérabilité, cette démocratie naissante présente quand même des signaux positifs lui permettant de partir sur le chemin de la croissance.
Une situation économique délicate
1- Croissance, Inflation et Chômage
Depuis le déclenchement de la révolution, la croissance économique n’a cessé de se dégrader (voir Graphique 1). Début 2016, les prévisions de la croissance économique étaient optimistes (de l’ordre de 2,5 % selon la Banque Mondiale). A la fin de l’année, une révision à la baisse a été enregistrée. La croissance économique en 2016 devrait se limiter à 1,5 % (selon le FMI). Cela est en partie dû à un repli du secteur agricole et une baisse de la valeur ajoutée des industries non manufacturières notamment celle du secteur des hydrocarbures et de l’extraction minière (de 3 % et de 3,3 % respectivement). La dégradation de l’activité du tourisme peut être aussi comme cause de la croissance modeste en 2016. L’instabilité sécuritaire et la série d’attentats qui ont frappé le pays en 2015 se sont traduites par une baisse des recettes du tourisme de 33 % entre 2014 et 2015 et encore de 4 % en 2016 (Graphique 2).
Graphique 1– Croissance Economique et Inflation 2005-2016
Graphique 2– Evolution des recettes du toursime en Tunisie 2010-2016 (en milliards de dinars tunisiens)
La baisse des investissements peut également expliquer les faibles performances en termes de croissance économique. Depuis 2011, l’instabilité et le climat sécuritaire et économique constituent des sources de réticence pour les investisseurs. Alors qu’ils représentaient plus de 23 % du PIB en 2011, les investissements ne comptent que pour 21,9 % du en 2015 et 21,7 % en 2016.
En ce qui concerne l’inflation, la tendance haussière, remarquée depuis la révolution, a commencé à baisser progressivement depuis 2014 (Graphique 1). Cependant, le niveau d’inflation connait un rebond en fin 2016. Selon la Banque Centrale de Tunisie (BCT), l’inflation devrait atteindre 4,6 %, et 5 % en 2017. La hausse des prix à la consommation constitue un frein à la consommation des ménages, ce qui affecte négativement la croissance. Le pouvoir d’achat des ménages se trouve aussi marqué par la dépréciation du dinar tunisien, qui fait augmenter le coût des importations.
La question du chômage reste particulièrement sensible pour la Tunisie Post-révolution. Après un pic du chômage en 2011 (18,3 % selon la Banque Mondiale), le taux de chômage baisse légèrement et se stabilise autour de 15,5 % en 2016. Selon l’Institut National de Statistiques tunisien, le chômage touche plus les femmes que les hommes, et il frappe particulièrement les diplômés de l’enseignement supérieur avec un taux aux alentours de 30 % en 2016. Ces statistiques illustrent les défis du gouvernement tunisien dans l’emploi et se traduisent par un besoin de réformer le système éducatif, notamment à travers une adaptation des cursus aux exigences du marché de travail (plus de proximité avec les entreprises, aides au secteur privé pour encourager l’emploi,…).
Le niveau de pauvreté[1] en Tunisie a baissé de 20,5 % en 2010 à 15,2 % en 2015. La pauvreté touche cependant plus les milieux non communaux, notamment les régions de l’intérieur, berceau de la révolution, avec un niveau de pauvreté de 26 % en 2015 selon l’INS. Ce constat est le reflet des inégalités qui persistent entre les différentes régions de la Tunisie. Le coefficient de Gini était de 36,1 % en 2013 en comparaison avec 35,8 % en 2010, ce qui illustre la persistance des inégalités[2].
2- Creusement des déficits jumeaux
Situation des finances publiques – En ce qui concerne les finances publiques, le déficit budgétaire continue à se creuser (Tableau 1). Selon la BCT, le déficit public n’a cessé d’augmenter depuis 2010. Les années 2014 et 2015 ont été marquées par une baisse de ce déficit (autour de 5 % du PIB). Il est cependant prévu que le déficit rebondisse en 2016 pour atteindre 5,7 % du PIB.
Le creusement du déficit budgétaire est lié à la baisse des recettes fiscales, en partie due à la baisse des investissements, et au besoin de financer des dépenses de fonctionnement, notamment la masse salariale du secteur public qui compte pour environ 14 % du PIB et qui est de l’ordre de 13 milliards de dinars, pour un budget global de 32 milliards de dinars.Les dépenses publiques, qui sont surtout des dépenses en infrastructure et en biens d’équipement, répondent à des besoins de fonctionnement difficiles à réduire, ce qui explique le creusement du déficit faisant progresser la dette publique.
L’endettement public ne cesse de s’accroitre. Il est passé de 40 % en 2010 à plus de 60 % du PIB en 2016. Cette dette se traduit particulièrement par des emprunts octroyés par des organisations internationales, notamment le FMI, à des conditions favorables (longues maturités et taux d’intérêt faibles). Malgré qu’elle soit jugée soutenable par le FMI, cette dette, libellée généralement en devises, reste une charge à contrôler surtout dans le contexte actuel de la Tunisie caractérisé par une baisse de la valeur du dinar, ce qui fait augmenter le coût de la dette (subir un risque de change défavorable).
Le gouvernement tunisien a adopté en fin 2016 l’imposition d’une contribution conjoncturelle exceptionnelle de 7,5 % sur les bénéfices des sociétés, dans le cadre de la loi des finances 2017- signe supplémentaire de détresse économique. Il s’agit en effet d’un impôt conjoncturel de 2017, dans le but d’alimenter le budget de l’Etat. Les entreprises françaises et allemandes installées en Tunisie ont montré leurs préoccupations suite à l’imposition d’une telle contribution.
Le commerce international : Le déficit courant se creuse- Le déficit de la balance des transactions courantes, continue à se creuser, indiquant donc que les dépenses en devises en dépassent les recettes. La part des exportations de biens et services dans le PIB a régressé ces dernières années pour atteindre 40.8 % du PIB en 2015.
Pourtant, les exportations des biens ne cessent d’augmenter depuis 2010. En 2016, elles atteignent 29145.6 millions de dinars (près de 13000 millions de dollars US), soit une hausse de 5,5 % par rapport à 2015. Cette hausse des exportations est liée aux performances de l’huile d’olive, une amélioration de la balance énergétique et une reprise des exportations manufacturières. En ce qui concerne les services, les exportations sont aussi en hausse (de 5 % entre 2015 et 2016). Les recettes du tourisme restent modestes depuis 2015, suite aux différents attentats qui ont frappé le pays.
En ce qui concerne les importations, les chiffres gouvernementaux indiquent une hausse de 5,3 % entre 2015 et 2016. Il s’agit particulièrement d’une hausse des importations des biens de consommation et des biens alimentaires. Cette catégorie des biens est aussi le reflet de la fragilité de la situation économique en Tunisie. Relativement à ce point, des réflexions sont en train de s’élaborer autour des importations de biens de consommation en provenance de Turquie et leurs effets sur la compétitivité des biens tunisiens.
En ce qui concerne les partenaires commerciaux, l’Europe reste le partenaire principal avec 76,4 % du total des exportations tunisiennes et 68 % des importations tunisiennes en 2015. La proximité de du marché européen est considérée comme un atout pour la Tunisie (Coface, 2017). Ainsi, avec le retour de perspectives plus positives pour la croissance (et donc la demande) en Europe, cela pourrait bénéficier à la Tunisie une augmentation des exportations vers l’Europe.
Quels signes positifs pour la suite ?
1- Conférence sur l’investissement « Tunisia 2020 »
Conscient de la nécessité d’actions pour assurer la transition économique, le gouvernement tunisien a annoncé en 2016 un plan de développement quinquennal 2016-2020 dans le but d’accélérer le rythme de croissance. Différentes réformes structurelles sont prévues notamment liées à la lutte contre la corruption, l’amélioration du climat des affaires, et l’inclusion sociale. Dans le cadre de ce plan, la conférence internationale de l’investissement « Tunisia 2020 », qui s’est déroulée à Tunis en fin Novembre 2016, a été organisée dans le but de promouvoir l’attractivité du pays en termes d’investissements directs à l’étranger (IDE). La conférence s’est achevée avec un montrant de 13 milliards d’euros de promesses d’investissements et d’aides financières d’organismes internationaux et de pays européens et d’autres du Golfe. La concrétisation de ces projets annoncés reste cependant tributaire de réformes structurelles et de la qualité du climat des affaires en Tunisie.
2- Tourisme : La reprise en 2017 ?
Les derniers mois de 2016 ont été marqué par un retour du tourisme, encore très modeste soit-il. Selon les dernières statistiques publiées par le ministère du Tourisme, près de 4,8 millions de touristes ont visité la Tunisie jusqu’au terme du mois d’octobre 2016, soit une hausse de 3,4 % par rapport à la même période 2015. Le retour progressif des touristes est en partie motivé par la levée progressive et partielle des restrictions ou des interdictions de se rendre en Tunisie formulées par les ministères des Affaires étrangères. Selon la BCT, les recettes touristiques ont cependant baissé de – 3,8 % par rapport à 2015 et de – 36 % par rapport à 2014, reflétant la fragilisation du secteur après les attentats de 2015.
Ces statistiques ne réduisent cependant pas l’optimise du gouvernement quant à la saison touristique de 2017. Sept millions de touristes sont attendus en Tunisie en 2017. Pour y parvenir, plusieurs évènements promotionnels sont prévus en Tunisie en 2017 dont l’organisation de la 23ème session du salon du tourisme M.I.T « Marché International du Tourisme » prévue en Avril 2017. Une attention particulière est portée aux marchés russes et algériens. La reprise de l’activité du tourisme permettra une entrée de devises, nécessaire pour réduire le déficit courant, une création d’emplois et une amélioration de la consommation ce qui se traduira par une relance de l’économie[3].
Recommandations pour réussir la transition
Au vu des différents éléments décrivant la situation économique du pays, certaines recommandations peuvent être formulées dans le but d’inscrire la Tunisie dans une dynamique de croissance économique et de paix sociale. Dans ce sens, le FMI a formulé un ensemble de réformes structurelles nécessaires conditionnant le versement de la seconde tranche des aides financières prévues dans le cadre du programme de Facilité élargie de crédit (2,9 milliards de dollars sur 48 mois) accordé en mai 2016. Ces réformes incluent une restructuration des finances publiques et des institutions publiques (notamment les banques publiques Société Tunisienne de Banque STB, Banque Nationale BN et Banque de l’Habitat BH), une adaptation du système de sécurité sociale et un renforcement du secteur financier et bancaire.
Il est aussi nécessaire d’avoir une meilleure visibilité et transparence de la part du gouvernement sur les actions à faire, notamment les plans de réformes structurelles, sur le moyen terme.
En ce qui concerne le secteur privé, l’adoption du nouveau code d’investissement dont l’application est prévue pour avril 2017 présenterait une motivation privilégiée pour attirer les capitaux étrangers, notamment au travers des avantages fiscaux et la simplification des procédures de rapatriement des bénéfices prévus pour les investisseurs étrangers. Ce code d’investissement présentera un atout pour concrétiser les projets conclus lors de la conférence internationale « Tunisia 2020 ».
La réussite de ces actions pour attirer les bailleurs de fonds et la création d’une activité économique pérenne sont cependant tributaires de la qualité de l’environnement des affaires en Tunisie. Dans ce sens, le programme de lutte contre la corruption, le nouveau code d’investissement et la réforme du secteur financier permettront à la Tunisie d’avoir une meilleure qualité de l’environnement des affaires et donc d’améliorer son niveau de compétitivité à l’international. En effet, la Tunisie n’est actuellement qu’à la 95ème position sur 138 pays selon le Global Competitiveness Report 2016[4].
Afin de favoriser la paix sociale, il est primordial de fournir des efforts pour réduire les inégalités qui persistent entre les régions. Cela pourrait se concrétiser par une meilleure répartition des richesses et des projets d’investissements publics, une décentralisation et surtout une maitrise de l’économie informelle[5] (et de l’emploi du secteur informel) par un meilleur contrôle et une meilleure exécution des lois en cas de dépassements.
Enfin, il est à rappeler que la réduction des inégalités et la maitrise de l’inflation constituent un véritable enjeu pour attirer des investisseurs étrangers : en réduisant les tensions sociales, le processus démocratique pourrait poursuivre son cours ce qui favorisera l’afflux d’IDE.
Conclusion
La Tunisie, engagée dans un processus démocratique depuis la révolution de 2011, oscille entre une situation économique difficile et une volonté de réussir une transition démocratique, économique et sociale durable.
Pourtant, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 n’ont cessé de fournir des efforts pour placer la Tunisie sur le chemin d’une croissance pérenne. Les mesures se multiplient même si les améliorations sont encore modestes.
La Tunisie a encore des défis à relever notamment en termes de réduction du chômage et des inégalités, de réformes du secteur public et de relance de l’économie. Les prévisions des organisations internationales pour 2017 restent optimistes[6]. Il y a une conscience internationale que malgré les challenges, la Tunisie arrivera à avancer sur le chemin de la croissance, soutenue par les aides des organisations internationales et par une proximité du marché européen.
Bibliographie
– Banque Centrale de Tunisie (BCT), 2017, https://www.bct.gov.tn/
– Global Democracy Rankings Report, 2017, http://democracyranking.org/wordpress/
– IMF (2016),“Tunisia : Fiscal Transparency Evaluation”, IMF Country Report No. 16/339.- IMF (2016),“Corruption : Costs and Mitigating Strategies”, Staff Discussion Note No. 16/05.
– Institut National de la Statistique tunisien INS (2017), www.ins.nat.tn/
– World Bank Group (2016), “Doing Business Economy Profile 2017: Tunisia”, World Bank, Washington, DC. © World Bank. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/25654 License: CC BY 3.0 IGO.
[1] En considérant le seuil de pauvreté globale (pas extrême) au niveau national qui est de l’ordre de 1206 dinars tunisiens par habitant par an en 2010 et 1706 dinars en 2015, d’après une enquête de l’INS.
[2] La répartition des richesses dans le pays montre aussi des inégalités. Selon les dernières statistiques de la Banque Mondiale, environ 43 % des revenus sont détenus par les 20 % les plus riches de la population.
[3] Toutes choses étant égales par ailleurs.
[4] Ce rapport fournit un indicateur de compétitivité globale basé dur l’évaluation de 12 piliers : la qualité des institutions, l’infrastructure, l’environnement macroéconomique, l’enseignement supérieur, l’efficience du marché des biens, l’efficience du marché du travail, le développement du marché financier, la flexibilité technologique, la taille du marché, la qualité de l’environnement des affaires et l’innovation.
[5] Dont le poids a augmenté depuis 2011 de 15% à 50% du PIB.
[6] Comme le confirme Christine Lagarde, Directrice du FMI, à la marge du forum économique de Davos, qui s’est tenu en Janvier 2017.