Grâce aux politiques monétaires accommodantes, les économies des pays avancés ont renoué avec la croissance et l’emploi. Cependant, l’inflation reste faible et bien en dessous des objectifs des banques centrales (Graphique 1). Ainsi, contrairement à la relation mise en évidence par Phillips en 1958, une baisse du chômage n’engendrerait plus une hausse des salaires. Ceci pose un problème aux banques centrales comme la Fed, qui utilise la relation de Phillips comme un de leur guide pour la conduite de leur politique monétaire. En principe, l’inflation devrait dépasser l’objectif de la banque centrale lorsque l’économie est en surchauffe, indiquant par ce biais que la politique monétaire est trop accommodante. Si la courbe de Phillips a disparu, comment s’assurer alors que la politique monétaire ne conduit pas l’économie dans une dynamique insoutenable ?
Graphique 1: L’inflation sous-jacente peine à atteindre l’objectif des banques centrales
Dans cette note, nous observons que la faiblesse de l’inflation est en partie liée à des tendances structurelles autres que l’activité économique. Ainsi, en dépit des taux d’intérêt historiquement bas, l’inflation restera probablement modérée à moyen-terme, invitant les banques centrales à repenser leur modèle économique à l’aube de la normalisation des politiques monétaires.
Comment expliquer une inflation faible alors que le chômage baisse ?
Depuis 2012, une baisse du chômage dans les pays avancés ne semble plus coïncider avec une accélération des salaires et de l’inflation. L’aplatissement de cette relation représentée par la courbe de Phillips est particulièrement visible aux Etats-Unis et en Zone Euro (Graphique 2.). A titre d’exemple, aux Etats-Unis pour une baisse d’un point de l’écart entre chômage conjoncturel et chômage structurel l’inflation n’augmente plus que de 0,2 % contre 0,4 % avant crise.Comment interpréter cette évolution ?
Graphique 2: L’aplatissement de la courbe de Phillips dans les pays avancés surtout visible aux Etats-Unis et en Zone Euro
Source : OCDE, Instituts statistiques nationaux et calculs de l’auteur
Note : l’écart de chômage désigne la déviation du chômage conjoncturel par rapport au chômage structurel (NAIRU). Un écart important indique un marché du travail plus tendu, qui selon la relation de Phillips, devrait ainsi se traduire par des pressions inflationnistes.
Ce phénomène est lié au fait que la courbe de Phillips fait abstraction des autres déterminants de la dynamique des prix et du chômage. Tout d’abord, les agents fixent de plus en plus leurs prix en fonction de leurs anticipations d’inflation (Graphique 3.1) lesquelles s’orientent vers l’objectif d’inflation de la banque centrale. Ainsi elles varient moins avec les évolutions du marché du travail.
Ensuite, la mondialisation influe davantage sur la dynamique des prix. Avec une part grandissante des produits importés, la compétition sur les prix et la concurrence des entreprises et des salariés se définit davantage au niveau international. Ainsi l’inflation domestique devient plus dépendante du cycle économique mondial. Depuis les années 90, les prix des importations augmentent en moyenne relativement moins vite que les prix intérieurs (Graphique 4) exerçant ainsi une pression à la baisse sur l’inflation.
Graphique 3 : Déterminants de la courbe de Phillips : un meilleur ancrage des anticipations et une faible réponse de l’inflation aux variations du chômage
Note de lecture : Nous étudions les déterminants de la courbe de Phillips en estimant l’inflation en fonction des anticipations d’inflation, de l’écart de chômage et des prix des importations relatifs aux prix intérieurs (une version simplifiée de celle utilisée par Blanchard 2016). Les graphiques ci-dessus montrent que les élasticités (ou coefficients) ont changés depuis les années 2000. L’élasticité plus élevée des anticipations aujourd’hui indique un impact plus fort sur le taux d’inflation observé.
Graphique 4 : Les prix des importations pèsent sur l’inflation domestique
Enfin sur le marché du travail, les salariés des pays avancés semblent être dans une position moins avantageuse pour négocier leur salaire. La mondialisation, les progrès technologiques, l’augmentation du travail à temps partiel et des contrats de travail précaires (CDD, intérim, etc.) ainsi qu’une baisse du taux de syndicalisation sont des facteurs qui pèsent sur de possibles augmentations des salaires (WEO FMI 2017). Par ailleurs, la réduction du taux de chômage ne suit pas une tendance inverse à la croissance économique. Ceci s’explique par une augmentation des taux d’activité avec le retour sur le marché du travail des personnes sorties en temps de crise et des départs la retraite repoussés.
L’aplatissement de la courbe de Phillips remet en cause les théories d’analyse prédominantes
Même si la relation de la courbe de Phillips semble exister lorsqu’on utilise d’autres mesures de l’inflation ou de l’écart de chômage (Borio 2017), le lien inflation-chômage reste faible. Il en résulte deux conclusions possibles :
1. Soit le déséquilibre entre l’offre et la demande reste trop élevé pour conduire à une hausse des prix ;
2. Soit la relation de la courbe de Phillips n’est plus à même d’identifier les déséquilibres économiques.
Pour parvenir à la première conclusion, il faut se situer dans le cadre de l’analyse néokeynésien aujourd’hui prédominante dans la pensée économique. Dans ce cadre, comme la politique monétaire ne peut influencer l’équilibre à long-terme, son rôle est de réduire les fluctuations des cycles économiques. Ainsi, la politique monétaire doit fixer son taux d’intérêt au plus près du taux neutre, celui qui équilibre l’épargne et l’investissement, afin de ramener l’économie au plus proche de sa tendance à long-terme. En conséquence, si l’inflation est faible, cela indique simplement que les taux d’intérêt pratiqués par les banques centrales sont plus élevés que les taux neutres d’équilibre. Quelques tendances structurelles communes aux pays avancés expliquent des taux de rendements d’équilibre faibles. Le vieillissement de la population, des inégalités croissantes, le prix relatif du capital et de faibles gains de productivité induiraient un déséquilibre persistant de la balance entre investissement et épargne (par exemple du a un surplus d’épargne selon Bernanke 2005 ou à un problème de stagnation séculaire selon Summers 2014). Il suffirait donc aux banques centrales de maintenir les taux bas plus longtemps pour inciter les agents de l’économie à désépargner. En d’autres termes, la sortie des politiques monétaires accommodantes devrait être lente et graduelle.
Cependant, alors que cette analyse théorique semble justifiée par les tendances récentes, elle ne l’est plus pour des données à long terme et semble même dépendre du régime monétaire (Borio et al. 2017). Ceci nous mène à notre deuxième conclusion : la courbe de Phillips ne serait pas un bon guide pour identifier les déséquilibres de l’économie et donc pour fixer les taux d’intérêt. Si les politiques à court terme influent sur l’équilibre à long-terme (Blanchard 2017), alors chercher à réduire les oscillations du cycle autour de l’équilibre à long-terme pourrait se révéler contre-productif, notamment en termes de stabilité financière (Borio 2017). Ce constat remet en cause le cadre d’analyse néokeynésien, la validité de la courbe de Phillips et aussi la neutralité de la politique monétaire à long-terme (Borio et al. 2017).
Conclusion : Une inflation faible nécessiterait l’introduction de nouvelles variables pour guider la politique monétaire
A première vue, la faiblesse de l’inflation dans les pays avancés suggère que le lien positif entre inflation et activité économique (la courbe de Phillips) serait rompu. Toutefois, on constate que des anticipations d’inflation mieux ancrées, la mondialisation et la baisse du pouvoir de négociation des salariés sont des facteurs qui ont contribué à une inflation faible ces dernières années. Ce constat pose un casse-tête aux banques centrales à l’heure de la normalisation des politiques monétaires. Faut-il s’attendre à un regain d’inflation alors que l’écart de production se réduit ou bien faut-il choisir une théorie autre que la courbe de Phillips pour justifier la politique monétaire ?
A l’heure actuelle, les banquiers centraux se réfèrent toujours à un objectif d’inflation, donc de manière plus ou moins directe à la courbe de Phillips, comme guide pour leur politique monétaire. L’aplatissement de la courbe de Phillips s’expliquerait ainsi par la position de l‘économie dans le cycle. Toutefois, même si la courbe de Phillips reste d’actualité, elle fait abstraction de la stabilité financière qui est pourtant une variable cruciale de la santé de l’économie. Comme à ce jour, le cycle financier parait plus avancé que le cycle économique, cela suggèrerait qu’il faut revoir les critères sur lesquels sont basés les politiques monétaires.
Bibliographie
Borio, C. (2017) « Through the Looking Glass », OMFIF City Lecture, London, 22 September 2017.
Blanchard, O. (2017) « Should We Reject the Natural Rate Hypothesis? », PIIE, Working Paper 17-14, November 2017.
Blanchard, O. (2016) « The US Phillips Curve: Back to the 60s? », PIIE, Policy Brief Nr PB16-1, January 2016.
IMF (2017) « Chapter 2 : Recent Wage Dynamics in Advanced Economics: Drivers and Implications », in World Economic Outlook, Seeking Sustainable Growth: Short-Term Recovery, Long-Term Challenges, IMF, October 2017.
Summers, L. (2014) « Reflections on the ‘new secular stagnation hypothesis’ », in C Teulings and R Baldwin (eds), Secular stagnation: facts, causes and cures, VoxEU.org eBook, CEPR Press.
Bernanke, B (2005): « The global saving glut and the US current account deficit », Sandridge Lecture, Richmond, 10 March.