Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Ajouter un objectif de stabilité financière à la politique monétaire : Pertinent ou pas pertinent ? (Note)

Utilité de l’article : cet article propose de mieux comprendre comment les banques centrales pourraient réduire le risque d’instabilité financière en utilisant leur instrument principal de politique monétaire : les taux d’intérêt directeurs. Les interrogations et limites autour de cette stratégie ainsi que les nouveaux développements possibles sont aussi présentés.

 

 

 

Résumé :

  • La vision de la politique monétaire consistant à se concentrer sur la stabilité des prix n’a pas permis d’éviter la crise financière de 2008, ce qui amène à repenser les objectifs de politique monétaire.
  • En adoptant une stratégie « Leaning Against the Wind », les banques centrales pourraient théoriquement réduire les vulnérabilités financières. Cependant, cette stratégie est critiquée et sa pertinence reste à déterminer au vu de la difficulté d’estimer son efficacité.  

 

Le mandat de nombreuses banques centrales, respecte le principe de « séparation » selon lequel elles doivent séparer les objectifs de stabilité des prix et stabilité financière en se concentrant seulement sur le premier. Ce principe a longtemps été soutenu par le postulat que maintenir la stabilité des prix était une condition suffisante pour assurer la stabilité financière.

Dans les années 2000, cette stratégie focalisée sur la stabilité des prix a pu favoriser un environnement durable de taux d’intérêt bas contribuant à la prise excessive de risque. L’éclatement de la crise financière de 2008 a remis en cause ce paradigme et poussé à débattre des objectifs de politique monétaire. En particulier, pour réduire la probabilité d’une nouvelle crise financière,la politique monétaire pourrait ouvertement cibler la stabilité financière au même titre que la stabilité des prix.

 

1) Comment cibler la stabilité financière

En vertu du principe de « séparation », la politique monétaire a vocation à réagir à l’instabilité financière seulement lors de l’éclatement des crises financières pour limiter les effets néfastes sur l’activité économique. Cette stratégie « cleaning up afterwards[i] » a été observée après la crise de 2008 avec les politiques monétaires ultra accommodantes et non-conventionnelles[ii].

Ajouter un objectif de stabilité financière à la politique monétaire implique une vision différente du rôle de la politique monétaire. Dans cette optique, la politique monétaire répondrait de façon systématique aux déséquilibres financiers identifiés afin de prévenir le risque de crise financière. En d’autres termes, par opposition au principe du « cleaning up afterwards », la politique monétaire agirait sur l’instabilité financière même en dehors des périodes de crise financière tout en continuant à viser la stabilité des prix. Plus précisément, l’objectif de la politique monétaire serait de « lisser » le cycle financier en limitant, par exemple, la croissance excessive du crédit ou des prix d’actifs, deux facteurs qui précèdent souvent une crise financière.

Concernant plus concrètement le mécanisme, la banque centrale réagirait systématiquement aux phases ascendantes du cycle financier[iii] en augmentant le taux d’intérêt même s’il n’y a pas de pressions inflationnistes. En principe, l’adoption d’un taux d’intérêt plus élevé devrait entrainer une réduction de la croissance du crédit et des prix d’actifs ce qui réduirait le risque d’endettement excessif et de bulles financières. En contrepartie, cette hausse du taux d’intérêt pourrait provoquer une réduction de l’inflation et de la croissance. Cette stratégie de politique monétaire visant à prévenir les risques financiers est appelée « Leaning Against the Wind [iv] » (LAW). Cependant, elle ne fait pas l’unanimité chez les économistes.

 

2) Les incertitudes autour de cette stratégie

Les bénéfices de cette stratégie restent principalement théoriques et sont soumis aux critiques. Borio et Lowe (2002), Levieuge (2018) ou Woodford (2012) synthétisent ces critiques :

  • Il n’existe pas d’indicateur simple et faisant consensus pour estimer une cible de stabilité financière. Ainsi, il est difficile d’identifier lorsque des déséquilibres financiers apparaissent. Il est donc possible d’adopter une stratégie « LAW » trop tôt ou trop tard.
  • L’efficacité du taux d’intérêt pour lisser le cycle financier est difficilement estimable. Ainsi, une hausse du taux d’intérêt pourrait être trop faible pour vraiment limiter l’instabilité financière ou trop forte ce qui réduirait l’inflation et la croissance de manière disproportionnée.
  • Politiquement, une hausse du taux d’intérêt pourrait être critiquée et incomprise du grand public surtout si elle réduit la croissance économique en l’absence d’un risque d’inflation.

De plus, les travaux académiques visant à estimer l’efficacité du « LAW » obtiennent des résultats contrastés. Svensson (2016) analyse le cas de la banque de Suède qui a mis en place cette stratégie pour réduire l’endettement à l’été 2010 en faisant passer le taux d’intérêt de 0,25 % à 2 % fin 2011. Ces estimations montrent des coûts supérieurs aux bénéfices. En effet, si le taux d’intérêt était resté à 0,25 % jusqu’en 2014, le chômage aurait été inférieur de 1,7 point de pourcentage et l’objectif d’inflation de 2 % aurait été quasiment atteint. Dans le même temps, la hausse du taux d’intérêt n’apparaît pas efficace pour améliorer la stabilité financière avec un effet faible sur l’endettement. Cependant, l’inefficacité du « LAW » ne fait pas pour autant consensus.  Woodford (2012) conclut que même si l’inflation et la croissance dévie de leurs objectifs temporairement, il reste opportun d’utiliser une politique « LAW » lorsque le risque de crise financière est jugé élevé.

En définitive, on comprend qu’ajouter un objectif de stabilité financière à la politique monétaire implique des arbitrages complexes. Des recherches sont encore nécessaires pour définir comment cette stratégie pourrait être utilisée de manière optimale.

 

Conclusion : vers d’autres alternatives ?

Pour conclure, deux points essentiels émergent de cette synthèse. Les politiques macroprudentielles participent aussi à limiter l’accumulation de déséquilibres financiers avec différents outils visant à réduire la vulnérabilité des emprunteurs[v] ou à renforcer les fonds propres des institutions financières. Cerutti et al (2017) montre que l’adoption de ces mesures permettent de réduire la croissance du crédit, notamment en phase ascendante du cycle financier. L’utilisation conjointe de certains de ces outils avec une politique « LAW » pourrait être profitable à la stabilité financière (Aspergis 2017). Cependant, la coordination des politiques monétaires et macroprudentielles n’est pas évidente. En effet, si les deux politiques peuvent être complémentaires, elles peuvent aussi rentrer en conflit (Beau et al 2012) en réduisant l’efficacité de chacune[vi].

Enfin, même si la tendance actuelle n’est pas à une modification des objectifs de politique monétaire, la politique monétaire pourrait considérer la stabilité financière différemment. Si nous savons qu’il n’existe pas un indicateur idéal de stabilité financière, Villeroy de Galhau (2021) propose que la BCE en suive plusieurs pour remplir l’objectif de stabilité des prix : endettement des entreprises et des ménages, informations au bilan des banques, prix des actions etc.

 

Bibliographie 

Allegret J-P. (2017). Le renouvellement de la politique monétaire (II)  : quelle place pour la stabilité financière dans les objectifs de la banque centrale ?.  ses.ens-lyon.  

Artus P. (2020). Politiques macroprudentielles ou « Leaning Against the Wind » ? « Vue séparable » ou « vue non séparable ». Natixis Flash Economie, 9 juillet 2019. 

Aspergis N. (2017). Monetary Policy and Macroprudential Policy: New Evidence from a World Panel of Countries. Oxford Bulletin of Economics and Statistics, Vol. 79, p 395-410. 

Beau D., Clerc L., Mojon B. (2012). Macro-Prudential Policy and the Conduct of Monetary Policy. Banque de France, Working papers 390.                                                                                                              

Borio C., Lowe P. (2002). Asset prices, financial and monetary stability: exploring the nexus. BIS working paper, No. 114. 

Levieuge G. (2018). La politique monétaire doit-elle être utilisée à des fins de stabilité financière. Revue française d’économie, Vol. XXXIII, p. 63-114.  

Smets F. (2014). Financial Stability and Monetary Policy: How Closely Interlinked?. International Journal of Central Banking, Vol. 10(2), pp. 263-300. 

Svensson L. (2014). Inflation targeting and « Leaning against the Wind ». International Journal of Central Banking, Vol. 10(2), p. 103-114.  

Villeroy de Galhau F. (2021). L’histoire des trois stabilités : stabilité des prix, stabilité financière et stabilité économique. Banque de France, Discours à la 24ème édition de la Revue de stabilité financière. 

Woodford M. (2012). Inflation targeting and financial stability. NBER 



[i] Traduction : « Nettoyage après coup ».

[ii]Pour plus de détails sur les politiques non-conventionnelles, voir les articles de Maelle Vaille sur le site de BSI : « Comment le quantitive easing stimule-t-il l’activité économique », « La politique ultra accommodante des banques centrales : un jeu dangereux pour les prix d’actifs ».

[iii]En suivant notre exemple, il s’agirait d’une période de boom du crédit et des prix d’actifs.

[iv]Traduction : « Se pencher contre le vent », « Naviguer à contre-courant ».

[v]Par exemple en imposant des limites aux ratios de dette sur revenu, ou de prêt sur revenu.

[vi]Exemple : si l’inflation est en dessous de la cible, une baisse du taux d’intérêt prolongée peut entraîner une hausse du crédit provoquant la constitution de déséquilibres financiers. De son côté, la politique macroprudentielle entraîne une baisse du crédit impliquant un risque de réduction des prix. En définitive, ni l’objectif de stabilité des prix et ou de stabilité financière sont atteints. Si l’inflation est au départ au-dessus de la cible, les politiques deviennent complémentaires (voir Beau et al 2012).