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Amérique latine : un espace économique fragmenté face au défi de la convergence (Note)

Résumé :

  • Le contexte international et régional plaide en faveur d’une plus grande intégration économique en Amérique latine ;
  • La région constitue un espace économique hétérogène et fragmenté ;
  • Une plus grande intégration génèrerait des bénéfices pour les pays latino-américains comme, par exemple, la diversification de leurs partenaires commerciaux, une moindre dépendance aux matières premières, l’ouverture de nouveaux marchés pour les PME exportatrices et l’émergence de chaînes de valeur régionales ;
  • Le programme de convergence mis en place entre le Mercosur et l’Alliance du Pacifique est donc plus que pertinent ;     
  • Cependant, compte tenu de la faiblesse des échanges entre ces deux blocs commerciaux, l’ampleur de la tâche est immense et nécessite de travailler sur des questions techniques complexes telles que la facilitation des échanges.        

 

Cetarticle présente l’état des relations commerciales et financières entre les pays d’Amérique latine et explore différentes pistes qui permettraient de renforcer l’intégration économique à l’échelle régionale. Pour ce faire, nous identifierons les avantages économiques d’un potentiel rapprochement entre les pays latino-américains. Nous ferons ensuite l’état des lieux des échanges intrarégionaux avant de formuler des recommandations qui pourraient servir de base pour une convergence progressive entre le Mercosur et l’Alliance du Pacifique.

 

 

Le contexte international et régional (tensions commerciales, retrait des Etats-Unis du TPP, etc.), relance aujourd’hui la réflexion sur l’intégration économique au sein de l’Amérique latine (AL) qui constitue un espace économique profondément fragmenté et hétérogène. C’est pourquoi la feuille de route de convergence, adoptée en 2017 entre le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Alliance du Pacifique (AP), suscite de grands espoirs. Pourtant, les relations entre les deux principaux blocs commerciaux de la région restent encore marginales. De plus, le rapprochement entre ces deux géants représente un véritable défi car il nécessite de mener des actions concrètes sur des sujets commerciaux complexes, bien au-delà de la simple diminution des tarifs douaniers.

 

 

1.Le contexte international et régional plaide en faveur d’une plus grande intégration économique en Amérique latine

Dans un contexte de tensions commerciales accrues et de remise en cause du multilatéralisme, l’intégration économique régionale apparaît plus que jamais comme un enjeu stratégique pour les pays d’Amérique latine.

En effet, le retour du protectionnisme aux États-Unis (« America First ») et les tensions qui en découlent font peser le risque d’une guerre commerciale au niveau mondial. Parallèlement, le multilatéralisme traverse une crise majeure symbolisée par les menaces de retrait des Etats-Unis de l’OMC et le blocage de D. Trump concernant le renouvellement des juges membres de l’organe d’appel de l’organisme de règlement des différends au sein de l’organisation mondiale du commerce.

Par ailleurs, ces dernières années ont été marquées par un regain d’intérêt pour les négociations commerciales entre les pays latino-américains comme le montre l’entrée en vigueur en 2015 de l’accord instituant l’AP (cf. encadré 1). L’arrivée de gouvernements plus favorables au libre-échange en Argentine ainsi qu’au Brésil avait également relancé la dynamique d’intégration régionale, bien que la tendance pourrait s’inverser lors des prochaines élections.

 

2.Le rapprochement entre le Mercosur et l’AP pourrait jouer un rôle clé dans le processus d’intégration économique régional mais représente un véritable défi

En Amérique latine et Caraïbes (ALC), le commerce intrarégional demeure particulièrement faible. Les exportations intrarégionales représentent seulement 16 % des exportations totales de l’ALC contre 64 % dans l’Union européenne et 50 % au sein de l’ALENA. Le constat est le même lorsque l’on s’intéresse aux relations commerciales entre les deux principaux blocs commerciaux de la région (Mercosur et AP (cf. encadré1)) dont les échanges restent anecdotiques (31 Mds USD en 2017 (cf. graphique 1)).

Graphique 1 : Evolution des échanges de biens entre l’Alliance du Pacifique et le Mercosur

Le manque d’intégration en Amérique latine se reflète également dans les flux d’investissements. Ainsi, en 2016, seulement 2,3 % des investissements directs à l’étranger (IDE) à destination du Mercosur provenaient du Mercosur (IDE intrablocs) et 3,2 % de l’AP. Quant aux IDE à destination de l’Alliance du Pacifique, 2,8 % provenaient du Mercosur et 2,8 % de l’AP[1].

De nombreux facteurs expliquent la faiblesse du commerce et des investissements intrarégionaux. On peut, par exemple, mettre en avant l’étendue géographique de la région, le déficit d’infrastructures de transport et de logistique ou encore l’influence économique des États-Unis sur le Mexique et l’Amérique centrale. Pourtant, la construction d’un espace économique intégré présenterait de nombreux avantages :

1/ Les échanges de biens entre les pays latino-américains sont plus diversifiés. Ainsi, 20 catégories de biens[2]concentrent 75 % des exportations régionales vers les États-Unis contre seulement 59 % des exportations intrarégionales. De plus, le secteur primaire occupe une place relativement moins importante dans le commerce intrarégional au profit des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée. Ainsi, l’automobile, la pharmacie et les produits dérivés du plastique sont plus importants dans les échanges Mercosur-AP.

2/ Les PME exportatrices latino-américaines dépendent du marché régional (proximité géographique, linguistique et culturelle). À titre d’exemple, 38 % des exportations des PME chiliennes sont destinées au reste de l’AP contre 5 % pour les exportations totales nationales.

3/ L’augmentation du commerce intrarégional est indispensable à l’émergence d’une chaîne de valeur régionale qui permettrait de fabriquer les éléments d’un produit final dans différents pays de la région. L’industrie régionale en sortirait renforcée et les pays latino-américains pourraient exploiter leurs avantages compétitifs avec à la clé, une meilleure insertion dans le commerce international.  

4/ Un espace économique régional intégré permettrait de donner plus de poids aux pays latino-américains dans le cadre de négociations commerciales avec des pays tiers.

 

 

3.Agenda et recommandations pour une convergence réussie entre le Mercosur et l’Alliance du Pacifique

A ce stade, au vu de la diversité des différents pays de la région, il est illusoire d’imaginer la conclusion d’un accord permettant la création d’un espace économique homogène en Amérique latine. En revanche, il est possible d’envisager une approche pragmatique fondée sur la convergence progressive entre les principaux acteurs économiques de la région. Bien que le Mercosur et l’Alliance du Pacifique n’aient pas conclu d’accord en tant que blocs, leurs pays membres, sont liés par des accords bilatéraux dont la portée et les sujets traités varient sensiblement :

1/Commerce de biens. Le Mercosur a conclu des accords commerciaux bilatéraux avec le Chili, le Pérou et la Colombie qui instaurent de fait, une immense zone de libre-échange pour le commerce de biens en Amérique du Sud. Le Mexique, quant à lui, a négocié des accords bilatéraux avec les différents membres du Mercosur mais dont la portée est relativement limitée (généralement des contingents tarifaires limités à certains types de biens).

Grâce à ces accords, en 2016, 70 % des importations du Mercosur en provenance de l’AP et 86 % des importations de l’AP en provenance du Mercosur étaient exemptées de droits de douane.

2/ Le Chili et le Pérou ont récemment conclu avec certains membres du Mercosur, des accords commerciaux de nouvelle génération. Ils couvrent notamment les services, la réglementation en matière d’achats publics, la facilitation des échanges, le commerce numérique, la protection de l’environnement, etc. Le Mexique pour sa part, renégocie actuellement les accords en vigueur avec le Brésil et l’Argentine afin d’y d’inclure de nouveaux thèmes et accroître l’éventail de produits bénéficiant de réduction de tarifs douaniers.

3/ De nombreux pays ont conclu des accords bilatéraux de coopération et de facilitation des investissements qui s’appuient notamment sur le principe de l’arbitrage[3].

L’ensemble de ces accords bilatéraux pourront servir de base pour la convergence entre les deux blocs. En revanche, à eux seuls, ils ne sont pas suffisants et pourraient même générer des effets pervers. Effectivement, la diversité des mécanismes d’intégration conduit à la fragmentation de l’espace économique régional en matière de réglementation (achats publics, normes sanitaires, etc.). Ces disparités représentent un obstacle majeur, plus particulièrement pour les PME et les ETI dont l’internationalisation est plus difficile que pour les grands groupes.

Conscients de ces lacunes, les deux blocs ont entamé un travail de convergence. Pour ce faire, leurs pays membres ont adopté en avril 2017 une feuille de route commune fondée sur 6 axes (cf encadré  2).

Pour aboutir à une convergence réussie, le Mercosur et l’AP devraient mener des actions concrètes et opérationnelles de réduction des coûts et des délais d’exportation, au-delà de la simple baisse des tarifs douaniers :

1/La facilitation des échanges, c’est-à-dire la simplification, la modernisation et l’harmonisation des processus d’exportation et d’importation via notamment, la mise en place d’un guichet unique du commerce extérieur[4]dans chacun des pays. Pour plus d’efficacité, il serait nécessaire de travailler sur l’interopérabilité[5]des guichets uniques nationaux.

2/ La reconnaissance mutuelle des opérateurs économiques agréés[6]et des signatures numériques, par exemple, pour les certificats sanitaires et phytosanitaires.

3/ L’harmonisation des normes techniques, des standards et des réglementations, afin de réduire les barrières administratives.

4/ Le développement des infrastructures de transport pour accroître l’intensité des échanges et permettre l’émergence d’une chaîne de valeur régionale.

5/ L’harmonisation des règles d’origine[7]. Le grand nombre d’accords commerciaux a entraîné la multiplication des régimes de règles d’origine (44 en Amérique latine et Caraïbes). La mise en place d’une règle unique serait donc un objectif de long terme. En revanche, il serait possible d’adopter, à plus brève échéance, un règlement d’accumulation d’origine. Ainsi, les intrants provenant de l’AL utilisés par une entreprise située au Mercosur seraient considérés comme originaires du Mercosur et bénéficieraient donc des préférences tarifaires octroyées entre les pays membres du Mercosur.

6/Certificats d’origine électroniques permettant de diminuer les délais d’application des droits de douane.

 

Conclusion

L’Amérique latine est encore loin de constituer une zone économique intégrée. Le processus de convergence entamé entre le Mercosur et l’Alliance du Pacifique pourrait à terme pallier ces défaillances. Il sera nécessaire de mettre en place des actions concrètes visant à réduire les coûts, les délais et la complexité des démarches en matière d’exportation. Compte tenu de la difficulté technique des réformes à mettre en œuvre, il s’agira d’un travail de long terme qui pourra s’appuyer sur les axes définis dans la feuille de route adoptée en avril 2017.

 

Bibliographie

“La convergencia entre la Alianza del Pacífico y el MERCOSUR Enfrentando juntos un escenario mundial desafiante”, 2018, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)

“MERCOSUR-Alianza del Pacífico: informe del Diálogo de Alto Nivel -Una agenda positiva para la integración”, mars 2018, banque interaméricaine de développement (BID)

“Interopérabilité des guichets uniques”, 2017, Centre des Nations Unies pour la facilitation du commerce et les transactions électroniques (CEFACT-ONU)

“Les règles d’origine”, site internet, OMC

“Facilitation des échanges”, site internet, OMC

“Règles d’origine”, site internet, OMC

“Réformer l’OMC pour sortir de la crise du multilatéralisme”, 3 septembre 2018, The conversation

“Roberto Azevêdo: «Beaucoup de gens ne comprennent pas ce que fait l’OMC»“, février 2018, Le temps

“Quand peut-on avoir recours à un arbitrage”, vie-publique.fr

 

 

 

 


[1]Sans tenir compte du Pérou et du Venezuela car ces deux pays ne publient pas de statistiques sur les IDE.

[2]Nomenclature douanière SH2

[3]“L’arbitrage désigne une justice privée et payante, chargée de trancher les litiges qui lui sont soumis par les parties dans le respect des principes du droit.” (Vie publique)

[4]“Instrument informatique permettant le traitement sous forme électronique des autorisations, permis, certificats ou autres documents douaniers par les organismes compétents de l’État, pour la réalisation des opérations spécifiques d’importations et d’exportations. “ (OMC).

[5]“Echanges d’informations spécifiques sur les transactions commerciales transfrontières entre deux ou plusieurs guichets uniques mis en place dans différents pays. » Centre des Nations Unies pour la facilitation du commerce et les transactions électroniques (CEFACT-ONU)

[6]Ce statut permet aux entreprises engagées dans le respect des normes douanières (bonnes pratiques, normes de sécurité etc.), d’obtenir certains avantages de la part de l’administration douanière. (OMC)

[7]Les règles d’origine sont les critères permettant de déterminer le pays d’origine d’un produit.Elles permettent entre autre, de déterminer si un produit peut bénéficier de préférences commerciales (réduction des droits de douane) dans le cadre d’accords commerciaux.