Résumé :
· Fin 2015, l’élection du Président Mauricio Macri inaugure un tournant dans la politique économique de l’Argentine ;
· Les réformes du nouveau gouvernement ont permis d’améliorer la compétitivité nationale et de créer un climat des affaires plus favorable aux investisseurs domestiques et étrangers ;
· La lutte contre l’inflation est désormais la priorité de la Banque centrale. L’objectif est d’atteindre un taux d’inflation compris entre 12 et 17 % en 2017 pour tendre vers 5 % à l’horizon 2019 contre environ 40 % en 2016 ;
· Néanmoins, le pays est retombé en récession en 2016 avec une croissance du PIB réel de l’ordre de -2,4 % et un déficit fiscal primaire qui s’est creusé à – 4,6 % du PIB. La transition économique génère à court terme des impacts négatifs qui nécessitent la mise en œuvre de mesures destinées à protéger les plus vulnérables.
Depuis l’élection du Président Mauricio Macri en novembre2015, l’Argentine est entrée dans une phase de restructuration économique profonde. Lutte contre l’inflation, rééquilibrage des comptes publics, restauration de la compétitivité … les défis sont multiples. Or, force est de constater que, dans un premier temps, les réformes destinées à redresser le pays ont un impact négatif sur l’économie (courbe en J). Le gouvernement est donc confronté à la problématique suivante : « Comment réaliser l’ajustement économique tout en minimisant l’effet récessif et les coûts sociaux à court terme ? »
1. Rétrospective de la situation économique de 2002 à 2015
Après avoir été frappée par une grave crise financière en 2002, l’Argentine a connu une phase de croissance très soutenue. De 2003 à 2012, le PIB réel a progressé en moyenne de 7,2 % par an permettant, notamment, de faire reculer significativement le taux de pauvreté (27,3 % fin 2015 contre 60,3% fin 2003). L’envolée des prix alimentaires à partir de 2003, a largement contribué au décollage économique de l’Argentine, sachant que les produits agricoles bruts et transformés représentent environ 60 % des exportations domestiques.
Cependant, les distorsions économiques se sont accumulées et les prix alimentaires ont chuté à partir de 2012. Ainsi, en 2015, l’économie argentine souffrait de nombreux déséquilibres caractérisés par un taux de consommation élevé, un phénomène de sous-investissement, une inflation croissante et une forte pression fiscale (cf. Figure 1). Le déficit budgétaire fédéral est passé de 2,6 % en 2011 à 6,6 % en 2015. Sur la même période, l’Argentine a connu deux années de récession. Entre 2009 et 2014, le taux de croissance annuel moyen en termes réels n’a pas dépassé pas 1,5 %.
Figure 1 : Les déséquilibres structurels de l’économie argentine en 2015
*Taux d’investissement moyen de l’Amérique latine en 2013
Source : FMI – CEPAL / Elaboration : BSI Economics
Parallèlement, l’Etat était omniprésent du fait de la mise en place du contrôle des prix, des taxes à l’exportation et à l’importation ou encore de l’encadrement des mouvements de capitaux. Le contrôle des changes avait quant à lui conduit à la surévaluation du peso argentin ainsi que l’émergence d’un marché parallèle sur lequel le taux de change était supérieur au taux officiel (environ +50 %).A noter également, une perte de la crédibilité des institutions telles que l’INDEC[1].
Le pays n’avait pas accès au marché des capitaux internationaux notamment à cause des contentieux qui l’opposaient aux « fonds vautours », c’est-à-dire, des créanciers n’ayant pas accepté la restructuration de la dette Argentine menée entre 2005 et 2010. Les fonds vautours avaient alors engagé des actions en justice et saisi le CIRDI[2] pour obtenir le remboursement de leurs créances ainsi que le versement d’intérêts et d’indemnités. La présidente Cristina de Kirchner se refusait à « dédommager » les fonds vautours alors que l’Argentine avait été condamnée. Le blocage des remboursements créanciers restructurés suite à la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis, l’Argentine s’était retrouvée dans une situation de défaut partiel sur sa dette souveraine.
Ce litige a notamment poussé l’Argentine a avoir recours à la monétisation de sa dette. La Banque centrale achetait les titres émis par le gouvernement en imprimant de la monnaie. C’est ce que l’on appelle le mécanisme de « la planche à billets » qui entrainait donc une augmentation de la masse monétaire et in fine une progression de l’inflation.
Nous avons assisté au déclin de la compétitivité de l’Argentine qui se place désormais aux 104ème et116ème rangs des classements Global Competitiveness Report et Ease of Doing Business (facilité de faire des affaires), respectivement. Par conséquent, les exportations ne représentaient en 2015 plus que 12 % du PIB contre 24 % en moyenne pour Amérique latine (cf. Figure 1).
2. Les réformes structurelles
Afin de rééquilibrer à moyen terme les comptes publics, le gouvernement a décidé de couper dans les dépenses publiques qui sont parmi les plus élevées d’Amérique latine (cf. Figure 1). Selon le FMI, la dette fédérale devrait progressivement diminué de 52% du PIB en 2015 à 50% en 2019 grâce aux réformes engagées par le nouveau gouvernement. En effet, dès son arrivée, Mauricio Macri a annulé l’embauche de 10 000 fonctionnaires dont le nombre n’a cessé de progresser pour atteindre 3,9 millions (+1,6 million entre 2001 et 2014). La réduction des subventions qui maintenaient les prix de l’énergie artificiellement bas, a également permis de réduire les dépenses. Il s’agit d’un enjeu majeur, car ces financements publics représentaient 4 % du PIB en 2015.
Par ailleurs, la restauration de la compétitivité nationale est devenue un objectif prioritaire. La suppression des taxes à l’exportation[3] ainsi que la dépréciation de 40 % du peso argentin provoquée par la levée du contrôle des changes, ont généré un regain de compétitivité-prix des exportations domestiques (+1,7 % en 2016). La chute de 6,6 % des exportations des manufactures d’origine industrielle a été plus que compensée par la hausse de 17,7 % des ventes de produits primaires argentins à l’étranger. Ainsi, en 2016, la balance commerciale est redevenue excédentaire (+2,1 Mds USD), malgré la levée partielle des restrictions aux importations.
Parallèlement, le nouveau gouvernement mène une politique pro-investissement. Sur les trois premiers trimestres de l’année 2016, les réductions d’impôts ont permis une diminution de la pression fiscale équivalente à 0,5 % du PIB. Parmi les nouvelles mesures, nous trouvons par exemple des déductions fiscales de 10 % pour tout nouvel investissement réalisé par une PME. Le contrôle des mouvements des capitaux a été assoupli car il décourageait les investisseurs étrangers en les empêchant de rapatrier librement les capitaux des filiales vers leurs maisons mères. Plus globalement, le gouvernement tente de regagner la confiance des investisseurs nationaux et internationaux en restaurant la crédibilité des institutions et en offrant des garanties de stabilité fiscale comme, par exemple, pour les investissements des TPE et PME, réalisés entre le 1er juillet 2016 et le 31 décembre 2018.
Cependant, ces ajustements structurels ainsi que la désinflation (sur laquelle nous reviendrons) se sont traduits en 2016 par une récession estimée à 2,4 % du PIB réel ainsi qu’une perte de pouvoir d’achat de 6 %, d’où la mise en place de mesures destinées à protéger les consommateurs et les classes sociales les plus vulnérables. Les autorités ont instauré une revalorisation des retraites et de l’assurance chômage. Le gouvernement envisage également une réforme fiscale intégrale qui permettrait de rétablir la progressivité de l’impôt. Avant 2016, les seuils d’imposition n’avaient pas été revalorisés proportionnellement à l’inflation, ce qui a entrainé une érosion de la progressivité de l’impôt[4].
3. Les mutations du système monétaire et financier
L’une des premières mesures adoptées par le gouvernement de M. Macri fut la suppression du contrôle des changes. A la mi-décembre 2016, le retour à un régime de change quasi flottant s’est immédiatement traduit par une violente dépréciation de 40 %.
Par ailleurs, le principal objectif de la politique monétaire est désormais la lutte contre l’inflation, ce qui passe nécessairement par l’arrêt progressif de la monétisation de la dette. Il a fallu alors chercher de nouvelles sources de financement. Le gouvernement a décidé de rembourser et dédommagerles fonds vautours afin de permettre le retour du pays sur les marchés financiers internationaux. D’ailleurs, en 2016, les émissions de bons du trésor argentin ont rencontré un grand succès auprès des créanciers internationaux.
De plus, la politique monétaire a été modernisée. La Banque centrale s’est fixée des objectifs d’inflation et s’est dotée d’un nouvel instrument introduit en 2016 appelé le taux LEBAC. Les autorités monétaires émettent chaque mois de la dette[5] achetée par les créanciers et rémunérée au taux LEBAC. Ce mécanisme permet de retirer de la monnaie en circulation afin de freiner l’inflation.
L’inflation à l’année t (TTt)dépend de l’inflation anticipée (TTet). En effet, plus TTe est important, plus les travailleurs demanderont des augmentations de salaires importantes et les price makers réviseront à la hausse les prix des produits qu’ils vendent. Supposons que la Banque centrale fixe un objectif d’inflation (TTt*) inférieur à l’inflation de l’année précédente(TTt-1). TTet dépendra donc de la crédibilité de la Banque centrale (cf. tableau ci-dessous).
Crédibilité de la Banque Centrale |
Inflation anticipée |
Totale |
TTet=TTt*(anticipations prospectives) |
Nulle |
TTet=TTt-1 (anticipations rétrospectives) |
Source : BSI Economics
Nous remarquons que lorsque les autorités monétaires sont crédibles, TTet est inférieur car TT*<TTt-1. La réussite et le coût d’un programme de désinflation dépendent donc de la crédibilité des autorités monétaires et de leur capacité à influencer les anticipations des agents. C’est pourquoi, la Banque centrale argentine cherche à démontrer sa détermination à lutter contre l’inflation. La mise en place d’un objectif d’inflation, la création du taux d’intérêt directeur (taux LEBAC) ou encore l’arrêt progressif du recours à la planche à billets semblent porter ses fruits à ce stade. Une part croissante des agents économiques adopte des « anticipations prospectives » car ils comprennent peu à peu que la Banque centrale ne déviera pas de son engagement.
Dans un premier temps, l’arrivée au pouvoir du nouveau Président s’est traduite par une forte augmentation de l’inflation. D’une part, la suppression du contrôle des changes a entrainé une dépréciation de la monnaie nationale renchérissant ainsi le coût des biens importés (inflation importée). D’autre part, la diminution des subventions dans le domaine des énergies a provoqué une hausse des tarifs de l’eau, du gaz et de l’électricité (e.q. : le prix de l’électricité a bondi de 245 % en février 2016 par rapport à septembre 2015.)
Néanmoins, les réformes de la politique monétaire ont conduit à une diminution progressive du taux d’inflation mensuel qui est passé de 4,2 % en mai 2016 à 1,2 % en décembre dernier. Afin d’éviter une explosion du taux d’intérêt réel due à la baisse de l’inflation[6], la Banque centrale a diminué son taux d’intérêt directeur afin de tirer à la baisse les taux d’intérêts nominaux. Ainsi, le taux d’intérêt LEBAC sur 35 jours est passé de 38 % à la fin du mois de février 2016 à 23,2 % en janvier 2016 (cf. Figure 2).
Figure 2 : Evolution du taux d’intérêt directeur (taux LEBAC sur 35 jours[7])
Sources : Banque Centrale de la République Argentine, BSI Economics
Par ailleurs,La Fed a annoncé 3 hausses des taux Fed funds aux Etats-Unis pour l’année 2017. Le risque est donc d’observer en Argentine une sortie nette des capitaux, attirés par des rendements plus élevés aux Etats-Unis. La baisse de la demande du peso argentin engendrerait alors une dépréciation qui alimenterait l’inflation importée
Conclusion
Le nouveau gouvernement a hérité d’une situation économique marquée par de profonds déséquilibres structurels. Le nouveau gouvernement a entrepris un vaste programme de réformes aux niveaux budgétaire, réglementaire et monétaire. Le pays est donc entré depuis la fin de l’année 2015 dans un processus de transformation économique, dont la phase de transition génère à court terme des impacts négatifs qui nécessitent de protéger les classes sociales les plus vulnérables.
Néanmoins, ces mesures semblent indispensables et auraient déjà permis d’améliorer considérablement les perspectives économiques de l’Argentine dont le potentiel de croissance de long terme s’établit désormais à 3 % d’après le FMI.
[1] l’Institut National de la Statistique
[2] Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
[3]Sauf pour les produits issus du soja et le cuir.
[4]Exemple : les revenus d’un individu X s’élèvent à 1 000 EUR, soit une hausse de 10% par rapport à l’année précédente alors que dans le même temps l’inflation a progressé de 10%. Le pouvoir d’achat de X n’a donc pas changé. En revanche, si les seuils d’imposition sur le revenu n’ont pas été revalorisés de 10%, l’individu X risque de passer dans une tranche d’imposition supérieure uniquement parce que son revenu nominal a augmenté. L’impôt perd alors de sa progressivité.
[5]L’émission de dette (LEBAC) est mensuelle depuis février 2017. De janvier 2016 à janvier 2017, elle était hebdomadaire.
[6]Taux d’intérêt réel = taux d’intérêt nominal – inflation
[7]Le taux reporté sur ce graphique est celui de la dernière émission hebdomadaire de chaque mois.