Dans cet article nous mettons en avant le fait que des taux d’intérêt bas, s’ils augmentent la demande d’immobilier, semblent être insuffisants pour créer des booms immobiliers au vu des faits observés aux États-Unis ces vingt-cinq dernières années.
Une logique simple
Un mécanisme souvent mis en avant lorsqu’on parle de l’influence des taux d’intérêt sur la demande d’immobilier est le suivant : des taux d’intérêt bas (dus notamment à une politique trop laxiste de la banque centrale) diminuent le coût du crédit pour les ménages, ces derniers demandent plus de biens immobiliers, ce qui pousse les prix à la hausse. Cette logique semble bien s’accorder avec ce qui a récemment été observé avec le boom immobilier aux États-Unis. Par exemple, les taux d’intérêt à 3 mois sur les bons du trésor américain ont diminué (ceux-ci passant de 5 à 1 % entre 2001 et 2004) et les prix immobiliers se sont envolés (l’indice Case-Shiller des prix immobiliers augmentant de 34% environ sur la même période). Pourtant sur une période plus longue la corrélation entre taux d’intérêt et prix immobiliers est beaucoup moins évidente. Si on se réfère à l’analyse faite par Glaeser, Gottlieb et Gyourko (2011), la baisse des taux d’intérêt ne serait capable d’expliquer qu’un cinquième de la hausse des prix immobiliers entre 1996 et 2006, soit une dizaine de pourcent d’appréciation sur la période. Ceci n’est certes pas rien mais on est loin de la bulle massive qu’on a pu observer. Ceci veut-il dire que la politique monétaire a peu influé sur la bulle immobilière américaine ? Pas forcément comme nous le verrons par la suite. Mais dans un premier temps reprenons le mécanisme précédent et essayons de comprendre en quoi celui-ci est peut-être moins important quantitativement qu’on a tendance à le croire.
Prenons le cas le plus simple d’un individu (ou d’un ménage) qui souhaiterait acquérir un bien immobilier. Si cet individu n’a pas les fonds nécessaires pour l’acheter sans crédit, alors une composante importante de sa décision sera le montant des échéances de remboursement qu’il aura à verser. Si celles-ci sont trop élevées du fait de taux d’intérêt hauts alors il préférera louer qu’acheter. Une baisse des taux entraîne mécaniquement une diminution du coût d’emprunt qui pousse certains locataires à acheter. Cependant, au moins trois éléments diminuent l’effet d’une baisse des taux d’intérêt sur la demande d’immobilier :
-tout d’abord, on a raisonné à taux fixes. Or des taux d’intérêt courants anormalement faibles ont un impact relativement faible quand l’emprunt se fait à taux variables. En effet, le coût de l’emprunt dans ce cas dépend également des taux d’intérêt futurs.
– il faut également prendre en compte la mobilité des ménages pour raisons professionnelles ou modifications de la structure familiale. En effet, celle-ci peut entraîner la vente du bien immobilier. Or dans un environnement où les prix immobiliers fluctuent, ceci peut contraindre le ménage à vendre en période de prix bas, ce qui augmente le coût réel de l’achat immobilier.
– enfin, et c’est sans doute l’élément le plus important, si les prix augmentent alors cela renchérit le coût de l’achat immobilier. Or des ménages qui ne pouvaient emprunter du fait de revenus trop faibles ou d’apports insuffisants risquent de ne guère profiter d’une détente des taux d’intérêt.
Ce dernier point est particulièrement important quand on observe le cas américain. En effet, une composante principale de la bulle immobilière est l’expansion du crédit hypothécaire aux ménages « subprime » (ménages à faibles revenus ayant eu des retard ou des absences de paiements dans le passé).
Dans une étude de 2009, Atif Mian et Amir Sufi tendent à montrer que c’est bien la détente des conditions d’accès au crédit qui semble expliquer l’essentiel de l’appréciation des prix immobiliers aux États-Unis (et non le fait que les individus observent une baisse des taux d’intérêt). Le principal fait marquant dans leur étude est qu’entre 2002 et 2005, en effectuant un découpage géographique, on observe une corrélation négative entre croissance du revenu et croissance du crédit. Dans les régions à forte densité de ménages « subprime » la croissance du revenu est faible (voir parfois négative) tandis que la croissance de crédit est élevée. En revanche, dans les zones où les ménages sont a priori plus solvables la croissance du revenu est plus forte et la croissance du crédit plus faible. Ce phénomène est unique dans les vingt-cinq dernières années.
De plus ce sont également ces zones « subprime » qui ont vu la plus forte appréciation des prix immobiliers. Or, comme on l’a noté précédemment, on s’attendrait à ce que l’effet d’une baisse des taux d’intérêt soit relativement faible sur la demande d’immobilier des ménages à faibles revenus quand les prix augmentent fortement. Ceux-ci sont, en effet, plus contraints et donc a priori moins sensibles à une baisse des taux d’intérêt. Or on a observé l’inverse.
De plus, lors de la période 1990-1994 on a constaté une baisse des taux d’intérêt comparable en magnitude à celle de 2001-2004 (même si les taux de 2004 étaient plus bas que ceux de 1994) mais il n’y a alors pas eu de boom immobilier et, si le crédit immobilier a augmenté, il a plus augmenté dans les zones « prime » que « subprime ». On a donc deux périodes proches dans le temps, des taux d’intérêts qui baissent dans les mêmes proportions et deux observations complètement différentes alors que, si le mécanisme décrit plus haut jouait un rôle prépondérant, on s’attendrait à deux observations similaires.
La politique monétaire n’a-t-elle alors aucun impact significatif ?
Dire que le mécanisme décrit plus haut joue un rôle plus marginal qu’on ne le pense ne signifie pas pour autant que la politique monétaire n’a pas joué de rôle important. En effet, on a seulement évoqué un mécanisme alors que d’autres peuvent jouer. En particulier, une liquidité abondante peut pousser les agents financiers à chercher des rendements élevés. S’il existe des mécanismes (comme la titrisation qui semble avoir joué un rôle prépondérant) qui peuvent permettre d’obtenir à court-terme des rendements élevés via des emprunts hypothécaires à des ménages peu solvables, alors une politique monétaire laxiste peut amplifier la dynamique menant à un boom immobilier. Cependant, il est important de toujours identifier les mécanismes qui jouent un rôle important à ceux qui ont un rôle plus marginal.
Références
Atif Mian et Amir Sufi, “The consequences of mortgage credit expansion: evidence from the US Mortgage default crisis”, Quaterly Journal of Economics, 2009
Edward L. Glaeser, Joshua D. Gottlieb et Joseph Gyourko, “Can cheap credit explain the housing boom?”, National Bureau of Economic Research, 2011