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Les politiques de développement du travail des femmes, sources de développement

Résumé:

– La participation des femmes au monde du travail demeure largement inférieure à celle des hommes, et s’accompagne de différences notables en matière de rémunération.

Il existe un consensus chez les économistes pour affirmer que la promotion de l’égalité hommes femmes, et plus particulièrement, l’émancipation économique des femmes est favorable à la croissance et au développement.

– La mise en œuvre de politiques de genre ou de promotion de la parité hommes femmes constitue une source de développement. Mais sous quelle(s) condition(s) ces dernières se montrent-elles efficaces ?

 

La question du rôle des femmes dans le développement et la croissance continue d’occuper une place centrale du débat sur les politiques économiques. Pour preuve, la publication par le FMI, en septembre 2013, d’une étude intitulée « L’emploi des femmes et l’économie : les avantages macroéconomiques de l’égalité des sexes ». Cette étude nous rappelle que, alors que les femmes constituent plus de la moitié de la population mondiale, leur contribution à l’activité économique et à la croissance est nettement inférieure à leur potentiel.

En effet, la participation des femmes au monde du travail (dans le secteur formel) demeure inférieure à celle des hommes avec des différences notables en matière de rémunération. Or l’émancipation économique des femmes est une condition essentielle de l’avènement d’un développement durable, entendu comme un développement répondant aux besoins des générations actuelles sans entraver la capacité des générations futures à satisfaire les leurs.

En supprimant les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder aux mêmes opportunités économiques que les hommes, les politiques de genre ou de parité permettent d’améliorer les performances économiques et les résultats obtenus en termes de développement. Mais au-delà de la théorie, sous quelles conditions une politique d’égalité de genre est-elle favorable au développement ?

 

L’allocation du temps, source de disparités économiques entre hommes et femmes

Un premier élément de réponse nous est donné dans le « Rapport sur le développement dans le monde 2012 » de la Banque mondiale. Les auteurs y soulignent avec intérêt le fait que les disparités entre les genres en matière de productivité et de gains tiennent en partie aux différences d’emploi du temps des hommes et des femmes, résultat de normes sociales profondément ancrées.

Les travaux des économistes Pierre-Richard Agénor et Otaviano Canuto sont également fondés sur cette hypothèse centrale. Pour eux, la différence d’allocation du temps des hommes et des femmes explique les disparités existantes. Ainsi, une politique de genre sera efficace si une politique visant à dégager du temps dans l’emploi du temps des femmes (politique d’investissement dans les infrastructures par exemple) est mise en place en parallèle.

En effet, les femmes allouent leur temps entre quatre alternatives : la participation au marché du travail, l’éducation des enfants, l’accumulation du capital humain et la production domestique. Or ces dernières consacrent une part considérable de leur temps aux activités domestiques. Une réallocation du temps leur permettrait de se consacrer davantage à l’activité économique, l’accumulation du capital humain et les soins apportés aux enfants, permettant une hausse de la croissance économique de long terme.

 

Interaction entre accès aux infrastructures, allocation du temps des femmes et croissance

La question de l’accès aux infrastructures au sens large (infrastructures de transport – routes, rail, port, aéroport –, d’approvisionnement en eau et en électricité, de télécommunications) est centrale en économie du développement. En effet, le déficit en infrastructures des PED est vu comme un frein à la croissance et à la réduction de la pauvreté. Ainsi, investir dans les infrastructures doit permettre de stimuler l’activité économique : investir dans les routes ou autres infrastructures logistiques permet de réduire les coûts du transport, investir dans les infrastructures d’approvisionnement en eau et en électricité permet d’une part une hausse de la productivité des entreprises, une baisse de leur coûts de production et donc une hausse de leur compétitivité, et d’autre part, une accumulation du capital humain (santé et éducation), source de productivité et de croissance.

La question de l’accès aux infrastructures est essentielle pour Agénor et Canuto. Aussi, les deux économistes ont développé un modèle à « générations imbriquées » [1], qu’ils ont appliqué aux disparités de genre, dont le but est de mesurer les interactions entre accès aux infrastructures,  allocation du temps des femmes et croissance économique.

D’après leur scénario central, les dépenses en infrastructures auront d’une part un impact positif direct sur la croissance en ce qu’elles constituent un investissement public, composant de la demande, et produiront, d’autre part, des externalités positives via la réallocation du temps des femmes (effets indirects). En effet, ces dernières pourront dégager davantage de temps pour l’activité économique, l’accumulation du capital humain et les soins apportés aux enfants. L’accumulation de capital humain supplémentaire se traduira par une hausse du pouvoir de négociation des femmes au sein du ménage, et donc une hausse des dépenses en faveur de l’éducation et de la santé des enfants, les femmes ayant une préférence plus faible que les hommes pour les dépenses de consommation et étant plus enclines à réaliser des dépenses au profit de leurs enfants.

Ainsi, la hausse du temps alloué aux soins apportés aux enfants se traduira par une amélioration de la santé dans l’enfance et à l’âge adulte. Il existe, en effet, une santé inter et intra générationnelle, c’est-à-dire que la santé des femmes affecte la santé de leurs enfants, et la santé dans l’enfance affecte la santé à l’âge adulte (modèle à générations imbriquées). En outre, l’augmentation du temps alloué aux soins apporté aux enfants aura pour effet une hausse de la capacité à apprendre des enfants, augmentant d’autant leur productivité à l’âge adulte et leur potentiel de rémunération. A noter, que les différences de rémunération sur le marché du travail entre hommes et femmes dépendent largement des disparités vécues dans l’enfance au sein du ménage. Une politique permettant de réduire les disparités filles/garçons au sein du ménage sera donc favorable à la croissance de long terme.

 

Politiques de genre et d’investissements dans les infrastructures appliquées au cas brésilien

Dans une étude intitulée « Gender equality and economic growth in Brazil – a long run analysis», les deux économistes ont appliqué leurmodèle au cas brésilien et conduit deux expériences : une hausse des investissements en infrastructures (dans les routes de campagnes ou le réseau d’électrification, etc.) et une politique de réduction des disparités sur le marché du travail par le versement d’un salaire égal (politique de genre). Le choix du pays tient au fait que, bien que la participation des femmes brésiliennes au marché du travail ait augmenté de plus de 15% au cours des deux dernières décennies (pour atteindre 60%) [2], les disparités hommes femmes demeurent élevées, à 21 points de pourcentage [3]. A titre d’exemple, alors que la proportion de femmes occupant un emploi formel s’établissait à 48,8% en 2009, ce chiffre atteignait 53,2% pour les hommes. En outre, les femmes brésiliennes consacrent encore aujourd’hui plus de temps que les hommes aux activités domestiques. En 2008, ces dernières ont alloué 25,1 heures par semaine aux activités ménagères contre 10 heures pour les hommes [4].

Si l’on s’intéresse tout d’abord à une politique d’augmentation des dépenses du gouvernement tournées vers les investissements dans les infrastructures (dépenses neutres du point de vue de l’équilibre budgétaire et passant de 2,1% à 3,1% du PIB), l’expérimentation montre qu’une telle politique pourrait ajouter entre 0,5 et 0,9 point de pourcentage au taux de croissance annuel brésilien, en tenant compte à la fois des effets directs et indirects (à travers la réallocation du temps des femmes et leur nouveau pouvoir de négociation au sein du ménage).

Supposons maintenant que le gouvernement introduise une politique de genre du type « à travail égal, salaire égal » destinée à éradiquer les disparités hommes femmes sur le marché du travail. Cette politique aura pour effet direct d’augmenter le revenu du ménage, et par conséquent, son niveau d’épargne et d’investissement privé, mais conduira également à une hausse des prélèvements au titre de l’impôt sur le revenu. Ce dernier effet permettra ainsi d’augmenter les dépenses publiques de santé, et donc d’améliorer la santé des enfants et des femmes à l’âge adulte. En termes quantitatifs, le modèle prouve que cette politique pourrait ajouter 0,2 point de pourcentage à la croissance annuelle du pays. Sur le long terme, cette politique aura un impact significatif sur le niveau de vie de la population.

 

Conclusion

Comme nous le montre les travaux d’Agénor et Canuto, en supprimant les obstacles qui entravent l’accès des femmes aux opportunités économiques et aux dotations en capital humain, les politiques de promotion de la parité permettent d’enregistrer de meilleures performances économiques et d’améliorer les résultats obtenus sur le plan du développement.

Sur 865 millions de femmes dans le monde qui ont le potentiel de contribuer significativement à l’activité économique de leur pays, 812 millions vivent dans les pays émergents et en développement [5] [6], nous montrant l’urgence et l’utilité de promouvoir la mise en place dans ces pays de politiques de genre, motivées aussi bien par des considérations d’équité que d’efficacité économique.

Un large éventail de politiques d’égalité hommes femmes sont à la disposition des pouvoirs publics et ont montré leur efficacité, que ce soit la mise en place comme en Afrique du Sud d’un programme d’électrification en milieu rurale, qui a permis d’augmenter la participation des femmes au marché du travail (via le gain de temps dans la réalisation des tâches domestiques et la réallocation du temps des femmes) ou encore l’adoption de programmes de microfinance comme au Brésil visant à améliorer l’accès des femmes au crédit et à accroître leur productivité. Reste donc aux autorités de ces pays à choisir la politique la plus adaptée à leur contexte économique et social.

 

 

Références

– Agénor and Canuto (2013), « Gender equality and economic growth in Brazil, a long run analysis »

– Aguirre and others (2012), « Empowering the Third billion. Women and the world of work in 2012.

– Barros and others (2011), « The impact of access to free childcare on women’s labour market outcome: evidence from a randomized trial in low-income neighbourhoods of Rio de Janeiro ».

– IMF Staff Discussion Note (2013), Women, Work, and the economy : macroeconomic gains from gender equity.

– Luxembourg income study database, Wave VI 2011.

 

Notes

[1] LLe modèle à générations imbriquées, que l’on attribue à Maurice Allais, Paul Samuelson (1947) et Peter Diamond (1965) est un modèle économique dans lequel les agents vivent entre deux et trois périodes (enfance, âge adulte et vieillesse). Il permet de comprendre les interactions et les transferts de ressources entre ces générations qui cohabitent en permanence : les enfants, qui accumulent du capital humain, les adultes qui travaillent, et les retraités qui consomment leur épargne.

[2] Barros and others (2011), « The impact of access to free childcare on women’s labour market outcome: evidence from a randomized trial in low-income neighbourhoods of Rio de Janeiro ».

[3] Luxembourg income study database, Wave VI 2011.

[4] Agénor et Canuto (2013), « Gender equality and economic growth in Brazil, a long run analysis ».

[5] Aguirre and others (2012), « Empowering the Third billion. Women and the world of work in 2012 ».

[6] Etude réalisée à partir des données de l’Organisation Internationale du travail. Les femmes qui ont le potentiel de participer au marché du travail sont, d’après les auteurs, celles ayant reçues un niveau d’éducation suffisant (« prepared ») et ayant suffisamment de soutien social et politique pour s’engager sur le marché du travail (« enabled »).