Utilité de l’article : Les activités économiques qui réutilisent les matériaux, les produits et leurs composants, ou encore « l’économie circulaire », sont scrutées de près par les chercheurs et les entreprises qui s’intéressent à l’atténuation des émissions dans l’industrie. L’enjeu de cet article est de comprendre quelle pourrait être la contribution de l’économie circulaire à la lutte contre le changement climatique pour l’industrie des matériaux de base, et les points qu’il reste à éclaircir.
Résumé :
- L’industrie des matériaux de base représente une part importante des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Europe.
- Cependant, cette industrie est considérée comme difficile à décarboner, du fait de la nature de ses techniques de production et des conditions d’innovation du secteur.
- Compte tenu de ces difficultés et du temps imparti pour respecter les objectifs climatiques, l’option de réduction de la demande de ces matériaux via des pratiques d’économie circulaire est de plus en plus étudiée.
- Des chiffres de grande ampleur sont estimés : près de la moitié des émissions de l’industrie européenne pourraient être atténuées grâce aux pratiques d’économie circulaire selon Material Economics.
- Certains points restent à éclaircir afin que l’amplitude de cette option soit crédible. En effet, le nombre d’estimations sur le sujet restent insuffisantes. En outre, il est crucial de se concentrer sur l’effet rebond et les interactions avec le commerce international.
Dans cette note, nous allons nous intéresser tout particulièrement à ce qu’on appelle l’industrie des « matériaux de base ». Ce terme se rapporte aux activités industrielles transformant les matières premières (les minerais comme la bauxite, les matières carbonées comme le bois ou le pétrole) en matériaux de base (aluminium, fer et acier, plastiques, ciment, verre et papier).
Ces procédés de transformation nécessitent des apports énergétiques élevés. Cette industrie est donc particulièrement scrutée dans le cadre de la lutte contre le changement climatique[1]. Cependant, la décarbonation des processus de production de ces industries apparaît actuellement comme difficile. Ainsi, les trajectoires de réduction des émissions proposent une réduction de l’utilisation de ces matériaux, via des pratiques d’économie circulaire, en plus des investissements nécessaires pour la décarbonation de la production.
1. L’industrie des matériaux de base
1.a) L’industrie des matériaux de base représente un poste d’émissions important
Les gaz à effet de serre (GES) des matériaux de base représentent environ 62 % des émissions mondiales directes de GES de l’industrie (déchets exclus) et 70 % des émissions industrielles mondiales directes de CO2, avec en tête le fer et l’acier, le ciment, les produits chimiques et les métaux non ferreux[2](émissions 2019-2020). Au niveau de l’Union Européenne (UE), la production des principaux matériaux et produits chimiques (acier, plastiques, ammoniac et ciment) émet environ 500 millions de tonnes de CO2 par an, soit 14 % des émissions totales de CO2 de l’UE, selon Material Economics (2019). Cela représente 75 % des émissions industrielles de l’UE (McKinsey, 2022).
1.b) L’industrie des matériaux de base est un marché international, relativement homogène, très compétitif, avec d’importantes dépenses d’investissement
D’un point de vue économique et stratégique, cette industrie est clef puisqu’elle se situe à la base de la chaine de production. Selon Wesseling et al. (2017) ce marché peut être considéré comme oligopolistique, avec de fortes barrières à l’entrée dues aux coûts fixes. Le marché des matériaux de base est un marché de masse mondial, avec une demande cyclique. Le secteur est hautement compétitif, avec un effet de pression à la baisse sur les prix, ce qui produit, de manière générale, de faibles marges bénéficiaires sur ces matériaux. Il existe de plus petits marchés pour des matériaux spécialisés, où la concurrence se fait sur la qualité et où les marges sont plus élevées.
1.c) L’industrie des matériaux de base est considérée comme « difficile à décarboner »
Est-il possible de décarboner l’offre, via l’innovation ?
- D’un point de vue technique, les émissions des processus de production de ces matériaux sont considérées comme difficiles à réduire. D’une part, la production de matériaux de base est très énergivore et nécessite de grandes quantités de chaleur et d’électricité. D’autre part, le carbone est également utilisé dans les procédés chimiques nécessaires à la production de matériaux. Par exemple, lors de la calcination du calcaire pour obtenir du ciment, une grande quantité de carbone est libérée à partir de la roche. Dans le cas de l’acier, le carbone est utilisé pour éliminer l’oxygène présent dans le minerai de fer. Afin de réduire ces émissions, il faudrait donc modifier ces procédés de base (Material Economics, 2019).
- D’un point de vue économique, le secteur se caractérise par un faible taux d’innovation en raison des risques et des coûts élevés, du peu de capitaux disponibles et des longs cycles d’investissement, selon Wesseling et al. (2017). Les industries innovent plutôt de manière incrémentale, c’est-à-dire qu’elles améliorent leur productivité sur les mêmes trajectoires technologiques globales, sans transformation radicale du secteur. Notons que, plus récemment, au niveau technologique, Material Economics (2019) a listé des solutions émergentes telles que la transition du carbone à l’hydrogène pour la production d’acier, de nouveaux matériaux cimentaires, et l’utilisation de la biomasse pour la production de plastiques. Cependant, l’accès à un hydrogène à faible coût et respectueux du climat demeure une variable d’incertitude (Chiappinelli et al, 2021).
S’agit-il alors de réduire la production, via une baisse de la demande ?
Cela ne se fait pas automatiquement. Actuellement, les besoins en matériaux sont toujours en croissance, et les émissions pour 2050 sont attendues au quasi même niveau qu’aujourd’hui si la tendance se poursuit (Material Economics, 2018 & 2019). Sans changement profond, la production de matériaux de base pourrait épuiser à elle seule le « budget carbone » disponible pour un objectif de 2°C (ibidem).
Étant donné la complexité de la décarbonation de l’offre, un nombre croissant de recherches et d’articles d’opinion met en avant l’économie circulaire comme option d’atténuation (McKinsey 2022, Ellen Mac Arthur Foundation, 2021, Wessling et al., 2017 ; GIEC, 2022). Elle est classifiée comme mesure de demande, c’est-à-dire qu’elle permettrait de réduire les besoins en matériaux. Pour McKinsey (2022), c’est une véritable transition des matériaux qui doit s’opérer si nous voulons avoir une chance d’atteindre les objectifs climatiques. Ainsi, dans cette note, nous étudions cette stratégie d’une « diminution provoquée »[3]de la demande en matériaux de base dans le cadre de l’économie circulaire.
2. Economie circulaire : une option pour atteindre la neutralité carbone dans l’Union Européenne
L’Union Européenne a pour objectif d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, avec l’objectif intermédiaire d’une réduction nette d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport au niveau des années 1990. La neutralité climatique ou carbone correspond à la « situation dans laquelle les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère sont compensées par les éliminations anthropiques au cours d’une période donnée »[4].
2.a) Différentes options d’atténuation, dont l’économie circulaire
Pour atteindre les objectifs climatiques, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met avant plusieurs options d’atténuation pour l’industrie : l’efficacité énergétique, la gestion de la demande de matériaux, l’amélioration de l’efficacité des matériaux, des flux de matériaux circulaires, l’électrification, ainsi que le CCU (Captage du Carbone et Utilisation) et le CSC (Captage et Stockage du Carbone) (GIEC, 2022). Le rapport conclut que pour la décarbonation de l’industrie, il n’y a pas de « solution miracle ». Toutes les options disponibles, technologiques comme comportementales, doivent être mobilisées si nous souhaitons atteindre les objectifs climatiques (GIEC, 2022). Reste à savoir quelle sera la contribution de chaque option, majoritaire ou non. A noter que le GIEC n’émet pas de directive politique, mais se contente d’énoncer les différentes alternatives qui s’offrent à la population dans le cadre de la lutte pour le climat.
2.b) À quoi correspondent les mesures d’économie circulaire concrètement ?
Les études de Material Economics(2018) et (2019), et celle de Ellen Mac Arthur (2021), étudient différents scénarios permettant d’atteindre des émissions nettes nulles pour la production européenne des principaux matériaux de base. Ces scénarios combinent les différentes options d’économie circulaire (efficacité matérielle et recyclage), avec les options d’innovation des processus de production et de captation du carbone.
Dans le cadre de l’économie circulaire, l’efficacité matérielle correspond à la production de produits aux fonctionnalités économiques identiques mais utilisant moins de matière (Material Economics, 2019).
En pratique, l’efficacité matérielle correspond à des techniques qui réduisent le poids des produits et des structures de construction, limitent les déchets lors de la production, encouragent la recirculation des produits et de leurs composants à travers une organisation circulaire de la chaîne de valeur, et favorisent des modèles économiques basés sur les services tels que la location et le partage. Par exemple, de nombreux projets de construction utilisent jusqu’à 50% de ciment et d’acier en excès par rapport à ce qui est réellement nécessaire avec une optimisation de la chaîne de valeur. Les modèles de transport basés sur le partage pourraient également réduire de plus de 50 % le besoin en matériaux par passager et réduire les coûts de déplacement (Material Economics, 2018 et 2019; Ellen MacArthur, 2021).
S’agissant de l’option du recyclage (la réinsertion des matériaux issus des déchets dans de nouveaux biens), les étudesmettent en avant le besoin d’augmenter la qualité de ce dernier ; en augmentant la qualité des intrants (les produits à recycler) et des sortants (les matériaux recyclés ; Ellen Mac Arthur, 2021). Pour l’acier, le challenge sera d’éviter la contamination par d’autres métaux, notamment celle par le cuivre ; et pour les plastiques qui ne peuvent pas être recyclés mécaniquement, de développer le recyclage chimique[5](Material Economics, 2019 ; McKinsey, 2022). Ceci demandera également la coordination des acteurs de la chaîne de valeur, et l’organisation des systèmes de collecte et de tri efficaces.
2.c) Les attentes en chiffres de l’option « économie circulaire »
Dans cette partie, nous nous concentrons sur quelques études qui analysent les scénarios d’économie circulaire au niveau de l’industrie.
Selon Material Economics (2018), à l’échelle européenne, les mesures de circularité pourraient réduire les émissions de l’industrie des matériaux de 56 % d’ici à 2050 (dans les secteurs de l’acier, du ciment, de l’aluminium et du plastique). Au niveau mondial, selon la fondation Ellen Mac Arthur (2021), cette contribution s’établirait à 40 % d’ici à 2050 pour ces même quatre matériaux.
L’étude de Material Economics (2019) distingue les mesures d’efficacité matérielle de l’utilisation de nouveaux matériaux (recyclés ou bas-carbone). Ils estiment que les options d’économie circulaire permettant une augmentation de l’efficacité matérielle pourraient réduire les émissions de 31 % d’ici à 2050, tandis que le recyclage et l’utilisation de nouveaux matériaux (ex : bioplastiques) pourraient réduire les émissions de 33 % dans le secteur des plastiques, du ciment et de l’acier.Pour les plastiques, le scénario « circulaire » (où l’option circulaire est majoritaire[6]), le volume de production serait réduit à 52 millions de tonnes (Mt) en 2050, avec 62 % de production par recyclage (mécanique et chimique), et les 38 % restants à partir de la biomasse (Material Economics, 2019). Le recyclage mécanique pourrait répondre à 26 % de la demande, et le recyclage chimique à 47 % (Material Economics, 2019). Actuellement, le recyclage (chimique et mécanique) ne représente qu’environ 10 % des plastiques mis sur le marché (Material Economics, 2018). Pour le ciment,dans le scénario favorisant l’option « économie circulaire » le besoin de production de matériaux cimentaires serait réduit de 44 %, grâce à l’adoption des mesures d’efficacité et de recirculation des matériaux, via une coordination et l’adoption généralisée de nouvelles pratiques par les acteurs de la chaîne de valeur de la construction (producteurs de bétons, architectes, constructeurs, démolition et autres acteurs ; Material Economics 2019). Quant à l’acier, toujours dans le scénario économie circulaire, la demande européenne s’élèverait à 139 millions de tonnes en 2050 (contre plus de 150 Mt actuellement), grâce aux mesures d’efficacité matérielle ; et 70 % des besoins en fer seraient fournis à partir de déchets.
A l’échelle mondiale, Saygin et Gielen étudient les trajectoires de décarbonation pour le secteur mondial de la chimie et la pétrochimie (engrais, plastiques). Dans leur scénario, l’économie circulaire (réduction, réutilisation, recyclage) représente 16% de la réduction. Les taux de recyclage sont multipliés par six et la demande de produits est réduite d’un tiers.
3. Ce qu’il reste à comprendre et à évaluer
L’économie circulaire n’est jamais brandie comme l’unique option et fait partie d’un mix de différentes stratégies d’atténuation. Mais elle prend tout de même de plus en plus de place dans les débats et la littérature sur le changement climatique. En plus du chemin à parcourir pour respecter les scénarios proposés (ex : forte hausse des taux de recyclage), certains aspects doivent être plus étudiés pour confirmer le potentiel de l’économie circulaire.
3.a) Le manque de littérature sur l’option « économie circulaire » cause une absence de consensus sur l’ampleur potentielle de l’économie circulaire
Malgré l’importance accordée dans les débats aux stratégies circulaires à la lutte contre le changement climatique, le GIEC relève que ces options d’atténuation restent sous-représentées dans les modèles de scénarios de changement climatique et les modèles d’évaluation intégrée[7](GIEC, 2022). Ce sujet est encore relativement naissant dans la littérature académique en raison de la nature complexe et interdisciplinaire du concept, de l’absence de mesures et de méthodologies normalisées et de la mise en œuvre limitées des pratiques de l’économie circulaire par l’industrie, causant un manque de preuves empiriques. Il y a donc encore trop peu d’études pour qu’un consensus émerge concernant l’ampleur d’un scénario économie circulaire (Aguilar-Hernandez et al., 2021). Par ailleurs, le rapport déplore que certaines études ne reflètent pas l’évolution de la demande de matériaux de base. En outre, certaines études émettent des attentes peu justifiées : Cantzler et al. (2020) ont passé en revue 341 études de la littérature académique liant économie circulaire et atténuation du changement climatique. La majorité des études portent sur des mesures incrémentales prétendant l’atténuation du changement climatique, sans le démontrer.[8]
3.b) La possibilité d’un effet rebond demeure la principale menace d’incertitude concernant l’efficacité de l’économie circulaire
L’effet rebond est un phénomène économique, aussi appelé « Paradoxe de Jevons ». Il illustre le fait qu’une politique ou une action visant à réduire l’utilisation d’une ressource, en passant par une amélioration de son efficacité, peut au final conduire à une augmentation de l’utilisation de la ressource, et annuler les gains d’efficacité[9].
Zink et Geyer (2017) s’intéressent au rebond de l’économie circulaire et identifient deux mécanismes principaux. Si le recyclage ne vient pas réduire l’extraction, mais simplement s’additionner, l’environnement se retrouve avec les impacts de la production primaire (extraction et transformation) en plus de la production secondaire (le recyclage). Au-delà du risque de l’effet rebond, les deux mécanismes identifiés par les auteurs peuvent simplement venir réduire l’efficacité des mesures circulaires, sans pour autant complétement en annuler les bénéfices. Par exemple, dans leur étude, Material Economics (2018) ont intégré la possibilité d’un effet rebond partiel pour les plastiques recyclés de moindre qualité et la mobilité partagée.
Le premier mécanisme (l’effet prix) correspond au cas où les matériaux recyclés (ou les biens de seconde main) sont suffisamment proches en termes de caractéristiques des matériaux vierges (resp. biens neufs). Le développement du recyclage, sans contrainte sur la production des matériaux vierges[10], vient alors ajouter une pression concurrentielle sur le marché des matériaux, augmenter l’offre, réduire les prix et stimuler la demande.
Dans le deuxième cas, le matériau recyclé (ou le bien à réutiliser) est de moins bonne qualité et ne concurrence pas le matériau vierge (ou le nouveau bien) sur le même marché. Le recyclage peut alors ouvrir la porte à de nouveaux marchés en répondant à une nouvelle demande. Par exemple, on va trouver des applications pour un plastique recyclé de moindre qualité, comme l’étaler pour de nouvelles routes ou en faire de l’isolant. Dans ce cas, le matériau recyclé (par exemple, le plastique) peut aussi venir remplacer d’autres matériaux (Zink et Geyer, 2017 ; Material Economics, 2019) : l’effet rebond concernera alors les plastiques tandis qu’une réduction peut éventuellement s’opérer sur d’autres matériaux. Le raisonnement peut également se faire sur la réutilisation : l’achat de l’objet d’occasion remplace peut-être une situation où l’on n’aurait rien acheté, plutôt qu’une situation où l’on aurait acheté du neuf.
Zink et Geyer (2017) réfléchissent aux moyens d’éviter l’effet rebond (produire de meilleurs substituts tout en limitant l’effet prix), et concluent qu’il est probablement impossible d’établir des conditions théoriques robustes (nécessaires et suffisantes) d’évitement d’un rebond. Mais naturellement, l’effet rebond devrait être limité dans le cadre d’une extraction restreinte et d’une demande saturée, par exemple, pour des biens très durables et encombrants (ex : meubles) ; ou au niveau macroéconomique, quand le pays a un niveau d’urbanisation élevé et des infrastructures efficaces[11].
Notons que l’effet rebond est difficile à quantifier et à prévoir avec certitude. Son ampleur peut varier en fonction de nombreux facteurs. Ainsi, il conviendrait d’identifier le mix de politiques publiques qui permettrait d’empêcher ou tout du moins d’atténuer cet effet de rebond, afin de rester dans la trajectoire que prévoient les scénarios.
3.d) La désidérabilité ou l’« ordre » des options circulaires n’est pas toujours évidente
L’impact environnemental d’un produit et l’organisation économique d’une industrie intègrent beaucoup de dimensions environnementales et il est parfois difficile de trancher sur « la meilleure option ». En particulier, les stratégies d’économie circulaires sont souvent répertoriées suivant un ordre hiérarchique à respecter, par exemple, dans le cadre des « 3R » (Réduire, Réutiliser, Recycler), tels que présentées dans Ghisellini et al. (2016) ou la hiérarchie des déchets définie par la Directive cadre européenne sur les déchets.
Par exemple, il est attendu beaucoup du recyclage chimique pour les plastiques, notamment, parce que pour limiter le risque de rebond, les matières secondaires doivent être de bons substituts aux matériaux vierges (pour ne se retrouver qu’avec un risque sur deux ; Zink et Geyer, 2017). Cependant, le bilan environnemental de cette technologie est critiqué car elle peut être très énergivore (Marty et co., 2019 ; Euractiv, 2020). Dans leur étude, Saygin et Gielen (2021) soulignent également l’importance de prendre en compte le carbone stocké dans les plastiques lors de l’évaluation des options circulaires.
En outre, selon la hiérarchie, la priorité serait d’augmenter systématiquement la durée de vie des produits (réduire les déchets à la source). Pourtant, Hummen et Desing (2021) recommandent d’étudier ceci au cas par cas, et concluent qu’allonger « toujours plus » n’est pas nécessairement la meilleure option. Ils prennent l’exemple d’un produit à fort impact environnemental lors de son fonctionnement et perdant de ses performances avec l’usure. Ils montrent que remplacer le produit avant qu’il n’atteigne sa fin de vie par une alternative évoluée (par ex., moins énergivore) peut permettre un meilleur bilan environnemental qu’une utilisation prolongée.
3.e) Stratégie industrielle, commerce international et autres questionnements
Comme évoqué, l’industrie des matériaux de base est une industrie stratégique pour un pays, car située à la base de la chaîne de production. En outre, elle est soumise à une concurrence internationale forte. Cela pourrait expliquer que les réglementations nationales de contrôle des émissions de GES soient généralement plus indulgentes pour ces industries (Wesseling et al., 2017). Dans de nombreux pays, elles paient des taxes sur l’énergie moins élevées que les autres utilisateurs d’énergie.
Ainsi, quelques questionnements demeurent : Alors que ces industries sont protégées depuis de nombreuses années, les États seront-t-il prêts à engager par une politique climatique ambitieuse une décroissance de la production de ces industries et de favoriser les industriels du recyclage ? En outre, la consommation, pouvant être sujettes à des phases cycliques, peut-elle représenter un approvisionnement sécurisé pour l’économie ?
Enfin, quels peuvent être les effets du commerce international ? À présent, l’UE exporte 14 % de sa production d’acier et 29 % de sa production de plastique, et importe des quantités comparables (Material Economics, 2019). Une baisse de la demande locale, dues à des stratégies d’économie circulaire, pourrait être compensée par les exportations de matériaux de l’industrie européenne, à condition qu’ils puissent concurrencer les producteurs étrangers en termes de prix, et notamment les producteurs chinois d’acier. En outre, une restriction sur l’offre de matériaux de base européen, ou un recyclage insuffisamment qualitatif, pourrait être contourné par l’importation de matières premières étrangères.
Conclusion
Les émissions de l’industrie de base représentent 75 % des émissions industrielles de l’UE. Cette industrie a longtemps été considérée comme difficile à décarboner du fait des techniques de production pour produire les matériaux de base et des dynamiques d’innovation lentes. Ainsi, un nombre croissant de recherches et d’articles d’opinion met en avant la nécessité de réduire la demande, via des pratiques d’économie circulaire. Ces pratiques d’économie circulaire visent par exemple à alléger les produits et les structures de construction, réduire les déchets dans la production, favoriser la réutilisation des produits et de leurs composants, et augmenter le recyclage d’un point de vue quantitatif et qualitatif.
Quelques études estiment une contribution majeure de l’économie circulaire pour l’industrie : plus de la moitié des émissions de l’industrie européenne pourraient être réduites d’ici à 2050 (Material Economics, 2018, 2019). Cependant, il y a encore trop peu d’études pour que ces chiffres soient arrêtés. Pour que l’ampleur de cette option soit crédible, il faudra, entre autres, étudier les possibles effets rebond des mesures d’efficacité matérielle, intégrer la demande croissante en matériaux, considérer les arbitrages des stratégies circulaires avec d’autres paramètres environnementaux et anticiper les interactions des politiques régionales avec le commerce international des matières premières et secondaires.
Bibliographie
Aguilar-Hernandez, G. A., Dias Rodrigues, J. F., & Tukker, A. (2021). Macroeconomic, social and environmental impacts of a circular economy up to 2050: A meta-analysis of prospective studies. Journal of Cleaner Production, 278. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2020.123421
Cantzler, J., Creutzig, F., Ayargarnchanakul, E., Javaid, A., Wong, L., & Haas, W. (2020). Saving resources and the climate? A systematic review of the circular economy and its mitigation potential. Environmental Research Letters, 15(12). https://doi.org/10.1088/1748-9326/abbeb7
Chiappinelli, O., Gerres, T., Neuhoff, K., Lettow, F., de Coninck, H., Felsmann, B., … Zetterberg, L. (2021). A green COVID-19 recovery of the EU basic materials sector: identifying potentials, barriers and policy solutions. Climate Policy, 21(10), 1328–1346. https://doi.org/10.1080/14693062.2021.192234
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Euractiv, (2020), article de Kira Taylor, édité par Frédéric Simon, « EU defines sustainable plastic manufacturing in draft green finance rules », consulté le 25/02/2020, disponible au lien suivant : https://www.euractiv.com/section/energy-environment/news/chemical-recycling-must-have-lower-emissions-than-manufacturing-virgin-material-to-be-green/
Ghisellini, P., C. Cialani, and S. Ulgiati (2016). A review on circular economy: The expected transition to a balanced interplay of environmental and economic systems. Journal of Cleaner Production 114, 11–32.
Hummen, T., & Desing, H. (2021). When to replace products with which (circular) strategy? An optimization approach and lifespan indicator. Resources, Conservation and Recycling, 174(June), 105704. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2021.105704
Joltreau, E. (2021) « Développer une économie circulaire : politiques publiques et réponses des acteurs économiques » Thèse de doctorat en Sciences Economiques, Université Paris-Dauphine, PSL
Marty, A., et V. Tournier, S. Duquesne, I. André (2019) “Addressing the problem of plastic waste: Development of an enzymatic process for PET recycling”, in ECI Symposium Series, [En ligne] Disponible au lien: https://dc.engconfintl.org/enzyme_xxv/113
Material Economics. (2018). The Circular Economy – A powerful force for climate mitigation – Full Report. Material Economics
Material Economics. (2019). Industrial Transformation 2050 – Pathways to Net-Zero Emissions from EU Heavy Industry.
Saygin, D.; Gielen, D. Zero-Emission Pathway for the Global Chemical and Petrochemical Sector. Energies 2021, 14, 3772. https://doi.org/10.3390/en14133772
Wesseling, J. H., Lechtenböhmer, S., Åhman, M., Nilsson, L. J., Worrell, E., & Coenen, L. (2017). The transition of energy intensive processing industries towards deep decarbonization: Characteristics and implications for future research. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 79(August 2016), 1303–1313. https://doi.org/10.1016/j.rser.2017.05.156
Zink, T., & Geyer, R. (2017). Circular Economy Rebound. Journal of Industrial Ecology, 21(3), 593–602. https://doi.org/10.1111/jiec.12545
Glossaire
-
Emissions anthropiques : Emissions de gaz à effet de serre (GES), d’aérosols et de précurseurs de gaz à effet de serre ou d’aérosols dues aux activités humaines. Au nombre de ces activités figurent l’utilisation de combustibles fossiles, le déboisement, les changements d’affectation des terres, la production animale, la fertilisation, la gestion des déchets et les processus industriels. Définition issue du glossaire du GIEC :https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/AR5_WG3_glossary_FR.pdf
[1]L’industrie des matériaux de base fait l’objet d’un chapitre entier dans le groupe de travail 3 du sixième rapport d’évaluation du GIEC étant donné l’importante quantité d’émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’elle génère. Le GIEC est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui synthétise l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique et le rôle de l’activité humaine. Le groupe de travail 3 a pour responsabilité d’évaluer les options de réduction de GES et solutions d’atténuer le changement climatique.
[2]IPCC AR6 WGIII, chapitre “Industry”, p. 17
[3]Par « provoquée » nous entendons une baisse de la consommation de matière non subie et non causée par les fluctuations du cycle économique (c’est-à-dire, différent d’une crise), mais une baisse de la consommation via une réorganisation des flux de matière (réutilisation, recyclage) et via la conception de nouveaux modèles économiques d’entreprises (par exemple, basés sur les services et le partage).
[4]Glossaire du GIEC : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/10/SR15_Glossary_french.pdf
[5]Pour plus d’information, se référer à la note sur l’« économie des plastiques » BSI
[6]L’étude estime plusieurs scénarios avec trois options co-existantes : « nouveaux procédés », « économie circulaire » et « captation du carbone ». Pour chaque matériau, elle propose trois scénarios au sein desquels une des options est majoritaire. Dans cette note, nous nous concentrons sur le scénario « économie circulaire », c’est-à-dire le scénario où les attentes envers l’économie circulaire sont les plus hautes.
[7]L’évaluation intégrée combine des modules de l’énergie, de l’économie, et du système terrestre.
[8]Seul 10% des études analysées apportent des arguments sur comment l’EC peut soutenir l’atténuation.
[9]Imaginons un secteur qui investit dans une technologie permettant de réduire l’utilisation énergétique, entraînant une baisse du coût marginal de production. Dans un marché compétitif et homogène, cela se traduira par une baisse des prix, incitant à plus demande et, donc, in fine à une augmentation de l’utilisation énergétique – parfois allant jusqu’à compenser ou dépasser les gains d’efficacité.
[10]Non issus du recyclage
[11]Particulièrement, dans le cadre du ciment et de l’acier