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Education privée, l’avenir pour les pays en développement ?

Résumé :

– Depuis la fin des années 1990, l’éducation privée s’est fortement développée dans de nombreux pays en développement.

– Ce développement des écoles privées, notamment à bas coûts, s’explique à la fois par les déficiences en termes de quantité et de qualité des écoles publiques.

– Si par certains aspects l’essor de l’éducation privée permet de pallier certains déficits du secteur public, il n’en demeure pas moins qu’il est aussi un facteur important d’inégalités socio-économiques.

– Il est donc essentiel que les politiques publiques cherchent à jouer sur la complémentarité entre le secteur privé et le secteur publique afin d’assurer une Education Pour Tous de qualité.

 

 

Améliorer l’accès à l’éducation et la qualité de l’enseignement est devenu un des objectifs clés dans les pays en développement (voir l’article Le défi de l’accès et de la qualité de l’éducation dans les pays en développement). Cet impératif a été reconnu au niveau international (Déclaration Universel des Droits de l’Homme, 1948 ; Conférence Mondiale pour L’Education Pour Tous, 1990 ; Objectifs du Millénaire pour le Développement, 2000) et tous les pays se sont engagés à prendre des mesures pour donner à tout individu, quelle que soit son origine sociale, la chance d’aller à l’école.

Cela s’est traduit par des mesures très diverses touchant tant l’offre (construction de nouvelles écoles, distribution de manuels scolaires,…) que la demande (campagnes de sensibilisation, transferts conditionnés,…). Malheureusement, malgré quelques progrès significatifs, le résultat escompté n’est pas encore là. Dans les pays à faibles ou moyens revenus, 55 millions d’enfants en âge d’être scolarisés dans une école primaire ne l’étaient pas en 2012. Face à ces échecs et à la persistance des inégalités scolaires, certains acteurs politiques et économistes considèrent l’éducation privée comme une opportunité pour pallier les défaillances des systèmes scolaires actuels qui caractérisent aujourd’hui beaucoup de pays en développement. L’expansion de l’éducation privée peut-elle arriver à améliorer l’accès à l’éducation ou ne fait-elle qu’aggraver les inégalités ?

Dans cet article, nous revenons sur l’essor du secteur éducatif privé dans les pays en développement tout en expliquant pourquoi les écoles privées séduisent de plus en plus de parents. Ensuite, nous verrons dans quelle mesure cette expansion permet d’optimiser les systèmes éducatifs ou alors si elle favorise au contraire la persistance des inégalités scolaires et sur le marché du travail.

 

Définition et état des lieux du secteur privé

Une définition globale consiste à considérer comme école privée toute école formelle qui ne fait pas partie du système éducatif gouvernemental. Il s’agit notamment de la définition retenue par l’UNESCO. Cependant, les frontières entre enseignement privé et public sont souvent floues. Premièrement, il arrive que des écoles publiques pratiquent parfois d’importants frais d’inscription (Kitaev, 1999 ; Lewis et Patrinos, 2012). De plus, dans beaucoup de pays, les écoles privées reçoivent des financements publics pour leur permettre de couvrir leurs coûts d’opération (Kitaev, 1999 ; Lewis et Patrinos, 2012). Enfin, l’Etat peut aussi exercer un certain contrôle sur ces institutions en leur imposant par exemple des règles strictes en termes de curriculum, d’accréditation ou de qualification des professeurs (Rose, 2006).

Non seulement, il est difficile de différencier clairement une école privée d’une école publique, mais en plus, les écoles privées sont très diverses et forment un groupe particulièrement hétérogène. Elles n’ont pas les mêmes objectifs. Certaines opèrent comme des entreprises cherchant à maximiser leur profit et d’autres sont des institutions non gouvernementales à but non lucratif ou des écoles à vocation religieuse.

Le paysage éducatif a fortement changé ces dernières décennies dans de nombreux pays en développement. Il est cependant difficile de rendre compte précisément de leur importance du fait des difficultés à définir le concept d’éducation privée. [1]Néanmoins, tout le monde s’accorde pour reconnaître que depuis la fin des années 1990, le nombre d’écoles privées, notamment celles avec des coûts d’inscription faibles, ont cru de façon impressionnante (Kitaev, 1999 ; Kingdon, 1996 ; Latham, 2002 : Tooley and Dixon, 2003). La hausse du nombre d’écoles s’est accompagnée par une augmentation de la scolarisation dans le privé suggérant que ces écoles répondent à une certaine demande. Le graphique 1 montre par exemple que dans les pays à faible revenu, 16% des enfants scolarisés au primaire sont inscrits dans une école privée contre 9% en 1975. Cette hausse a particulièrement été marquée dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et dans les pays à faible revenus.

 

Graphique 1 : Evolution du pourcentage d’élèves scolarisés au primaire inscrits dans des écoles privées

Source : Auteur utilisant des statistiques de l’UNESCO et le classement de la Banque Mondiale, BSI Economics

 

Dans certains pays en développement, la part du privé atteint des sommets. Ainsi, au Mali, 35% des élèves inscrits dans une école primaire ont choisi une institution privée alors qu’ils n’étaient que 6% en 1973.

 

Comprendre les raisons de l’expansion du secteur éducatif privé

Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer l’essor de ces écoles privées. Les deux premières explications évoquées relèvent d’une insuffisance de l’offre publique alors que les deux dernières sont dues à une inadaptation de ces écoles face à la demande. Premièrement, il est possible qu’elles aient été créées dans des zones reculées où il n’existait pas d’écoles publiques. Elles attirent alors une population nouvelle et leur développement peut avoir des effets bénéfiques sur la scolarisation totale. Des enfants qui n’étaient pas scolarisés faute d’école à proximité le sont dorénavant. C’est souvent le cas des écoles dirigées par les ONG.

Deuxièmement, dans de nombreuses régions en développement, le nombre d’écoles publiques est insuffisant pour faire face à la demande de scolarisation (Colclough, 1997). Pour des raisons de contraintes budgétaires et de financement public restreint, certains gouvernements ne peuvent pas augmenter l’offre scolaire. Les écoles privées viennent alors compenser ce manque. Ainsi, Nishimura et Yamano (2013) ont montré que dans le cas du Kenya, les parents choisissaient d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées car les classes des écoles publiques étaient surchargées.

La troisième raison principale avancée tient de l’inefficacité en termes de qualité des systèmes publics. Les performances scolaires et la qualité de l’éducation délivrées dans les écoles gouvernementales sont relativement faibles en comparaison avec celles du privé. Les parents, déçus par la qualité des institutions publiques, choisiraient alors d’inscrire ceux-ci dans des écoles privées en espérant qu’ils sortiront du système scolaire avec davantage de compétences et de connaissances (Andrabi et al., 2002 ; Aslam, 2009 ; Heyneman et Stern, 2013 ; Rose, 2006). Glick et Sahn (2006) ont ainsi montré que, dans le cas de Madagascar, les parents tendaient à choisir l’option privée quand les services disponibles dans les écoles publiques étaient de mauvaise qualité. Une étude récente de la Banque Mondiale (Tsimpo et Wodon, 2013), utilisant des données issues des enquêtes ménages montre bien que dans 6 pays d’Afrique Subsaharienne, les parents sont en moyenne plus satisfaits par les écoles privées que par les écoles publiques (Tableau 1).

 

Tableau 1 : Taux de satisfaction moyen des parents concernant les écoles primaires publiques et privées dans 6 pays d’Afrique subsaharienne

Source : Tsimpo et Wodon, 2013

Note : Moyenne pour 7 pays d’Afrique subsaharienne obtenue en utilisant des enquêtes ménages : Burkina Faso (2007), Burundi (2006), Ghana (2003), Sénégal (2005), République du Congo (2005), Niger (2007) et Mali (2006).

 

Enfin, la dernière raison, qui rejoint quelque peu la précédente, serait due à des différences dans les cursus de formation entre les deux types d’institution. Les parents valorisant davantage la religion par exemple pourraient choisir de placer leurs enfants dans une Madrasa (école coranique) ou dans une école chrétienne. Les différences en termes de langue d’enseignement peuvent aussi expliquer pourquoi les parents préféreraient le privé. 

S’il est indéniable, que dans de nombreux pays, en Asie comme en Afrique, l’éducation privée joue un rôle de plus en plus important dans la délivrance du savoir, il existe un débat sur les effets de cette évolution.

 

Impacts et enjeux de l’éducation privée

Les partisans de l’éducation privée arguent que compte tenu des ressources gouvernementales limitées, le système scolaire public serait incapable à lui seul de parvenir à atteindre l’objectif de l’Education pour Tous (Banque Mondiale, 2002). De plus, la qualité de l’éducation délivrée dans les institutions publiques a décrue et est souvent bien inférieure à la qualité de l’enseignement dans les écoles privées (Aslam, 2009 ; French et Kingdon, 2010 ; Kingdon, 2008, Tooley et Dixon, 2007) [2]. Ces différences de performance seraient notamment dues aux professeurs qui seraient plus présents (Kingdon et Banerji, 2009 ; Andrabi et al. (2008) ; Tooley et al., 2011) et auraient des méthodes pédagogiques plus efficaces dans les institutions privées (Kremer et Muralidharan, 2008 ; Muralidharan et Sundararaman, 2013 ; Kingdon et Banerji ; 2009, Singh et Sarkar, 2012). La littérature sur cette question explique cela par le fait que, dans les écoles privées, les professeurs doivent rendre des comptes à leurs employeurs et auraient plus d’incitation à avoir de bonnes performances (Aslam et Kingdon, 2011, Kremer et Muralidharan, 2008). Les écoles privées, surtout si elles ont des coûts d’inscription faibles, pourraient alors s’adresser à plus d’enfants et leur donner une éducation de meilleure qualité. (Tooley et Dixon, 2003). Enfin, avec l’émergence des écoles privées, la concurrence est accrue dans le secteur éducatif ce qui aurait un effet positif sur la qualité des écoles publiques puisque ces dernières doivent augmenter leurs standards si elles veulent continuer d’attirer une certaine demande (Friedman, 1955 ; Holmes et al., 2003).

Cependant, certains ont émis des doutes par rapport à l’efficacité et l’équité de ces politiques visant à privatiser l’éducation. L’accès à l’éducation est un droit universel et le remettre entre les mains d’acteurs privés pourrait avoir des effets néfastes. Ainsi, en Inde, les écoles privées ont tendance à s’installer dans les régions les plus riches et restent inatteignables pour les élèves les plus désavantagés (Pal, 2010). Si les écoles privées ne se démocratisent pas et attirent seulement certaines tranches spécifiques de la population cela aurait des conséquences importantes en termes d’inégalités. Les élèves issus des ménages les plus pauvres et les moins éduqués resteraient dans les écoles publiques et seraient condamnés à accéder à des postes moins prestigieux.

L’éducation privée pourrait alors être un vecteur de reproduction sociale et favoriserait la persistance des inégalités au niveau scolaire et plus tard sur le marché du travail. Une étude récente de la Banque Mondiale (Tsimpo et Wodon, 2013) permet d’estimer si les écoles privées arrivent à attirer des élèves venant des milieux défavorisés en Afrique Subsaharienne (Tableau 2). Dans les 16 pays étudiés, les élèves scolarisés dans une école privée sont majoritairement issus des foyers les plus riches. Au niveau du primaire, 21,7% des élèves du public appartiennent au quintile de richesse le plus faible contre seulement 8,5% des élèves du secteur privé séculaire.

 

Tableau 2 : Répartition par quintile de richesse et par type d’institutions des élèves en Afrique Subsaharienne

Note : Moyenne pour 16 pays d’Afrique subsaharienne obtenue en utilisant des enquêtes ménages : Burkina Faso (2007), Burundi (2006), Cameroun (2007), République Démocratique du Congo (2005) ; Ghana (2003 et 2005-06), Sénégal (2005), Sierra Leone (2003/04), Swatziland (2009/10), Kenya (2005), Zambie (2004), Malawi (2004), République du Congo (2005), Nigéria (2003-04), Niger (2007), Mali (2006) et Ouganda (2010)

Il existe néanmoins des différences entre pays (Tableau 3). La répartition semble en effet plus égalitaire en Sierra Leone qu’au Burkina Faso où seulement les enfants issus des milieux les plus favorisés sont inscrits dans une école privée.

 

Tableau 3 : Répartition des élèves inscrits dans une école primaire privée non religieuse selon le quintile de richesse de leur ménage (%)

Ces différences peuvent s’expliquer par les différences de coûts des écoles privées entre les pays (Tableau 4). Par exemple en Sierra Leone, les frais de scolarisation dans les écoles privées sont relativement accessibles, représentant moins de 5% du PIB par tête,  ce qui explique pourquoi une plus grande part des élèves issus de milieux défavorisés arrivent à s’inscrire dans une école privée au contraire du Malawi.

 

Tableau 4: Frais de scolarisation des écoles privées non religieuse au primaire

Source : Auteur, utilisant Tsimpo et Wodon, 2013 et le PIB par tête ($ constant de 2005) issu des statistiques de la Banque Mondiale, pour l’année de l’étude

 

Note : Pour le Nigéria, Malawi et la Sierra Leone il s’agit du PIB par tête de 2005, les données en 2003 et 2004 n’étant pas renseignées.

 

Outre des inégalités en termes de ressources économiques, le secteur privé est également souvent marqué par des inégalités de genre. Les écoles privées restent souvent inaccessibles pour les filles (Aslam, 2009 ; Härma, 2011 ; Härma et Rose, 2012 ; Nishimura et Yamano, 2013). En effet, parmi les ménages les plus pauvres, la rareté des ressources implique que les parents ne peuvent pas scolariser tous leurs enfants dans une école privée. Ils font donc souvent le choix d’inscrire plutôt les garçons car ceux-ci bénéficieront davantage de retour sur l’investissement éducatif sur le marché du travail (Härma, 2011). Si aucune mesure n’est prise pour réformer ce système, le développement des écoles privées tel qu’il a lieu aujourd’hui, ne pourra donc pas permettre de diminuer les écarts de genre en termes d’accès à l’éducation.

 

Conclusion

Malgré quelques progrès notables, beaucoup de pays sont loin d’avoir atteint l’objectif d’Education Pour Tous. Les écoles publiques dans de nombreux pays n’arrivent pas à satisfaire la demande tant en termes de quantité que de qualité ce qui explique la montée du secteur privé.

Si théoriquement, le développement des écoles privées pourrait permettre de pallier certaines déficiences du secteur public, il n’en demeure pas moins que dans de nombreux pays, notamment en Afrique subsaharienne, les écoles privées sont encore réservées à une élite. Sans politique adaptée, cette situation se traduira dans les prochaines décennies par un accroissement des inégalités.

Il est donc nécessaire de réformer les écoles publiques pour ne pas aggraver les inégalités et s’assurer que tous les enfants reçoivent une éducation de qualité (EFA Global Monitoring Report, 2009, 2013). Il serait bénéfique pour tous de réfléchir à créer des partenariats entre le gouvernement et les institutions privées (Dyer et Rose, 2005 ; Rose, 2006). 

 

Notes:

[1]  De plus, certaines écoles privées n’étant pas enregistrées et n’apparaissent donc pas dans les statistiques officielles.

[2] French et Kingdon (2010) comparent les différences en termes de résultats académiques entre deux ou plusieurs enfants appartenant au même ménage mais scolarisés dans le privé ou dans le public. Après avoir contrôlé pour de multiples caractéristiques non observables, ils estiment qu’en moyenne, les enfants scolarisés dans une école privée ont des résultats aux examens supérieurs à ceux du public de 0.33 écart-type.

 

Références :

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– Andrabi T., Das J., Khwaja AI. (2008), A dime a day: the possibilities and limits of private schooling in Pakistan., Comparative Education Review 52: 329–355.

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– Dyer C., Rose P. (2005), Decentralisation for educational development? An editorial introduction. Compare: A Journal of Comparative and International Education 35(2): 105–113.

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