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Quels sont les enjeux actuels et futurs de l’outre-mer ?

 

Résumé :

·         La France d’outre-mer comprend les territoires et régions d’outre-mer (DROM) : Guadeloupe, Martinique, Guyane et Mayotte ; les collectivités d’outre-mer (COM) : Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna ; et deux territoires au statut particulier : la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ;

·         Les caractéristiques naturelles (insularité, éloignement de la métropole) et historique (passé esclavagiste et colonial) de l’outre-mer expliquent en partie le retard structurel par rapport à la métropole et les difficultés économiques et sociales que connaissent certains de ces territoires ;

·         Pour remédier à ces handicaps, l’intervention publique prend la forme d’aides directes, de mesures fiscales avantageuses ou encore d’une production publique pour certains secteurs. Néanmoins, le développement économique demeure un enjeu de taille pour ces territoires stratégiques où vivent plus de 2,7 M d’habitants.

 

 

La France d’outre-mer est relativement méconnue et de fait, les médias s’y intéressent généralement qu’à l’occasion de crises sociales ou de catastrophes naturelles comme l’ouragan Irma, qui a dévasté Saint-Martin et Saint-Barthélemy en septembre 2017. Pourtant la France ultramarine, où vivent 2,7 M d’habitants, regroupent des territoires stratégiques pour le pays (zone économique exclusive, secteur du nickel en Nouvelle-Calédonie, industrie spatiale en Guyane…).

La majorité des outre-mer fait face à des difficultés économiques et sociales très fortes, en grande partie liées à des caractéristiques naturelles et historique. Le développement d’une économie locale et intégrée régionalement est le principal enjeu pour ces territoires dans les années à venir.

 

1.     Des territoires marqués par des difficultés économiques et sociales      

Les territoires d’outre-mer relèvent de statuts différents définis en 2003 dans le cadre de la réforme du cadre constitutionnel de l’outre-mer :

·         Les départements et régions d’outre-mer (DROM, anciennement DOM) sont régis par l’article 73 de la Constitution. Les lois et règlements nationaux s’appliquent de plein droit dans ces territoires mais « ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Les DROM sont au nombre de cinq : la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte.

·         Les collectivités d’outre-mer (COM anciennement TOM) sont régies quant à elles par l’article 74 de la Constitution. Les COM disposent d’un statut et d’institutions spécifiques. Contrairement aux DROM, le statut des COM est régi par une loi organique qui précise les compétences et les conditions dans lesquelles les lois et les règlements de la métropole s’y appliquent. Ce statut concerne la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.

·         Le régime institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est fixé par la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999. Le territoire est administré par un Congrès de la Nouvelle-Calédonie qui peut adopter des lois du pays à valeur quasi-législative et qui élit un gouvernement. Ce statut est temporaire dans l’attente de l’organisation d’un référendum d’autodétermination sur la possible indépendance de la Nouvelle Calédonie qui doit avoir lieu en novembre 2018. Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ont également un statut « sur mesure ».

La majorité des territoires d’outre-mer connait un retard économique structurel et des difficultés sociales qui s’expliquent en partie par les spécificités naturelles et historiques. Les contraintes naturelles liées à l’insularité (à l’exception de la Guyane) et à l’éloignement avec les principaux centres économiques engendrent des coûts d’exploitation plus élevés et une concurrence moindre. Cet isolement est renforcé par la taille réduite des marchés et la faible intégration régionale. En effet, pour bon nombre de ces territoires, la métropole est le premier partenaire commercial. Cette situation est héritée du principe de l’Exclusif qui interdisait aux colonies françaises toute relation commerciale avec l’étranger, laissant à la métropole un monopole commercial vis-à-vis de ses colonies. Vestige de la période coloniale, les outre-mer affichent aujourd’hui un important déséquilibre des échanges, mesuré par un taux de couverture moyen des importations par les exportations extrêmement faible (7,4 % en moyenne dans les DROM en 2015 contre 94 % en métropole). Le passé esclavagiste et colonial de certains territoires d’outre-mer est également à l’origine de l’hyperspécialisation de l’économie dans des productions comme la canne, la banane, le coton ou le cacao qui se retrouvent aujourd’hui en concurrence avec les pays voisins à faible coût de main d’œuvre.

Les conditions de vie dans ces territoires sont plus difficiles qu’en métropole. L’outre-mer accuse un retard vis-à-vis de la métropole en ce qui concerne le PIB par habitant (Saint-Barthélemy fait figure d’exception) et affiche des taux de chômage en moyenne plus élevés. Par ailleurs, le manque de concurrence et l’éloignement font pression à la hausse sur le niveau des prix et exacerbe les tensions à l’image du mouvement social qui a agité la Guadeloupe pendant plusieurs mois en 2009.

L’économie de l’outre-mer repose sur un nombre restreint de secteurs économiques. L’île de la Réunion apparait comme le territoire le plus prospère de l’outre-mer, soutenu par les secteurs du tourisme et de de l’agroalimentaire. Ce dernier représente 32 % des emplois de l’île et près de 42 % du chiffre d’affaires. Les revenus de ce secteur ont augmenté ces dernières années du fait de la baisse du prix des matières premières.

La Martinique et la Guadeloupe sont des économies relativement similaires.  Elles sont axées sur l’agriculture, qui repose en grande partie sur la culture de la banane et de la canne, et le tourisme. Le secteur public y est très développé et représente près de 42 % des salariés dans les deux îles.

L’industrie spatiale est l’un des principaux moteurs de la croissance guyanaise. Elle représente 15 % du PIB et emploie directement ou indirectement 15 % de la population active occupée. En dehors du secteur spatial, la Guyane dispose de richesses naturelles importantes (or, pétrole, forêts).

De la même manière que pour la Guyane, l’économie de la Nouvelle-Calédonie est fortement dépendante d’une activité : le nickel. Le poids de ce secteur dans l’économie est ainsi corrélé aux prix des matières premières (entre 2 % et 12 % du PIB depuis 2000, 3 % en 2016). Le secteur nickel représente 90 % des exportations et près de deux emplois salariés sur dix. Depuis 2012, les cours du nickel sont bas et jouent donc défavorablement sur la croissance calédonienne.

Les économies de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (le nord de l’île est français) sont essentiellement basées sur le tourisme et particulièrement le tourisme de luxe pour Saint-Barthélemy qui accueille de nombreux riches résidents étrangers attirés par les avantages fiscaux. L’économie polynésienne est également dépendante du tourisme et de la perliculture.

Wallis-et-Futuna possède une économie encore traditionnelle, faiblement monétarisée (l’autoconsommation est pratiquée par 80 % des ménages) et soutenue essentiellement par la dépense publique à travers les salaires distribués. L’administration est le premier poste de création de richesse (54 % du PIB et plus de 60 % des salariés) suivie de l’agriculture, du BTP et du commerce.

Mayotte est également une économie extrêmement fragile où la pêche et l’agriculture sont les principales activités économiques. La plupart des exploitations agricoles et pêcheries sont familiales et assurent en premier lieu l’autoconsommation.

LesTAAF n’ont pas de population permanente. Les trois seules activités sur ces territoires sont la pêche, la recherche et de manière marginale le tourisme. Trois pêcheries sont gérées par les TAAF et peuvent exploiter plus de 2,3 millions de km² de zone économique exclusive (ZEE), soit plus de 20 % des ZEE de la France. Ces ZEE donnent un droit souverain en ce qui concerne l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles.

A des difficultés économiques que connaissent ces territoires s’ajoutent également des difficultés sociales très importantes. Mayotte, la Guyane et Saint-Martin sont confrontés à de fortes pressions migratoires. En Guyane, 35 % de la population n’a pas la nationalité française et la Guyane peine à réguler les flux migratoires importants venant du Surinam, du Brésil et de Haïti. De même 20 000 migrants venus des Comores arrivent à Mayotte chaque année, soit un dixième de la population de l’île.

 

2. Des territoires stratégiques qui nécessitent une intervention publique spécifique

Les outre-mer bénéficient de transferts de l’Etat et de l’Union européenne sous forme d’aides diverses et de prestations sociales (transferts au sens large incluant les transferts courants, les services de l’Etat ainsi que les rémunérations versées). Ces transferts ont pour but de compenser les handicaps structurels liés aux contraintes naturelles et historiques précédemment évoquées.

Les pouvoirs publics ont mis en place des mesures et outils spécifiques pour aider les outre-mer. Ces territoires bénéficient tout d’abord de financements publics de l’Union européenne. Les DROM peuvent recourir en tant que région ultrapériphérique au Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) et au Fonds social européen (FSE) avec un taux de cofinancement plus élevé qu’en métropole. Les DROM peuvent du point de vue de l’Union européenne (UE), bénéficier de « mesures spécifiques » portant notamment sur « les politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans les domaines de l’agriculture et de la pêche, les conditions d’approvisionnement en matières premières et en biens de consommation de première nécessité, les aides d’Etat, et les conditions d’accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux de l’Union ». Les territoires d’outre-mer hors DROM, ne font pas partie de l’Union européenne mais sont néanmoins éligibles à des aides de l’Union européenne dans le cadre notamment du Fonds européen de développement (FED).

Une politique de défiscalisation existe depuis 1952 et a pour objectif d’inciter à l’investissement métropolitain en outre-mer en abaissant le coût de celui-ci. Cette politique vise à pallier le surcoût du matériel et les difficultés d’accès au crédit dans ces territoires. Le dispositif actuel est issu de la loi dite « Loi Pons » de 1986, modifiée notamment par la « loi Girardin » de 2003. Le dispositif permet aux contribuables de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu lorsqu’ils investissent dans les secteurs productifs et dans les logements sociaux en outre-mer. La loi sur l’égalité réelle outre-mer adoptée au début de l’année 2017 prévoit le renforcement de ces dispositifs.

A ces mécanismes de défiscalisation s’ajoutent d’autres mesures prises localement d’incitations fiscales ou de diminution de charges sociales, comme les lois dites « Frogier » et « Martin » en Nouvelle-Calédonie. Des dispositifs d’exonérations de cotisations sociales patronales sont également en vigueur depuis 1994 dans les DROM et à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ces mesures ont pour objectif de favoriser l’emploi et la compétitivité dans les outre-mer en abaissant le coût de travail, principalement dans les secteurs exposés à la concurrence. La Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM) note que ces exonérations qui portent principalement sur les bas salaires ont contribué à créer des emplois peu qualifiés, ce qui expliquerait la diminution du poids relatif de l’emploi en R&D depuis une vingtaine d’années. De nouveaux seuils d’exonération ont été introduits dans le cadre de la loi pour le développement économique de l’outre-mer (LODEOM) à destination de secteurs prioritaires (R&D, Tourisme, ENR, NTIC, Agro, Environnement).

Les mesures de soutien aux produits locaux passent par des mécanismes qui réduisent les coûts de production ou qui renchérissent le prix des biens importés.  L’octroi de mer est l’outil principal de développement économique à destination des DROM, c’est une taxe indirecte sur les produits importés et les produits locaux. Les conseils régionaux peuvent en exonérer certaines productions locales ou certaines importations. D’autres outils ont été instaurées dans certains territoires : la Nouvelle-Calédonie s’est par exemple dotée d’une taxe « conjoncturelle de protection » (TCPPL) pour l’industrie qui concerne des catégories de produits qui entrent en concurrence avec la production locale, de même que la Polynésie française a instauré une taxe de développement local.

La taille extrêmement réduite de certains marchés nécessite parfois la prise en charge de la production de biens et de services par des structures publiques ou parapubliques. Il existe 81 SEM (société d’économie mixte) en outre-mer, qui sont en charge de fournir des services dans plusieurs secteurs comme le logement, la banque, le transport, etc… Il y a ainsi en Polynésie française, des entités parapubliques dans les secteurs locaux comme la pêche.

 

3.     Les perspectives et plans d’action pour le futur

La position de l’Etat vis-à-vis de l’outre-mer a longtemps été de compenser financièrement sous formes de transferts divers les handicaps liés aux spécificités de ces territoires qui génèrent des coûts d’exploitation plus élevés. Cette stratégie n’a cependant pas permis le développement d’une industrie à forte valeur ajoutée et de nombreux acteurs appellent de leurs vœux à un plan d’action pour l’outre-mer en vue de développer l’économie locale.

Dans cette optique, une loi relative à l’égalité réelle outre-mer a été promulguée en février 2017 qui vise à réduire les écarts de développement entre l’outre-mer et la métropole en instaurant un instrument de planification sur 10 à 20 ans. La loi prévoit la convergence des droits sociaux vers les standards nationaux mais également des dispositions pour renforcer la concurrence, l’investissement dans le capital humain ou encore lutter contre la vie chère. La loi autorise également – à titre expérimental et pour une durée de 5 ans – les pouvoirs adjudicateurs à réserver un tiers des marchés publics aux PME locales, dans la limite de 15 % du montant annuel moyen des marchés dans un secteur économique donné. Cette disposition doit rendre plus facile l’accès des petites entreprises aux marchés publics qui représentent une part importante de l’activité de certains secteurs. A titre d’exemple, la commande publique représente 90 % du chiffre d’affaires du BTP à la Réunion.

Par ailleurs, le nouveau gouvernement a lancé une consultation début octobre 2017 dans le cadre des « assises de l’outre-mer » pour instaurer un dialogue avec tous les territoires ultramarins. Ces consultations doivent aboutir à la rédaction d’un Livre bleu Outre-mer fin avril 2018 « pour mettre en avant des projets expérimentaux et structurants ».

Il existe des enjeux propres à chaque territoire. Saint-Barthélemy et Saint-Martin, très fortement touchés par l’ouragan Irma, dont les dégâts sont estimés à 1,2 Md €, seront dans une phase de reconstruction dans les années à venir. Le gouvernement a affiché son souhait de développer un plan d’action pour la reconstruction pour faire de Saint-Martin un modèle en matière de développement durable en reconstruisant un habitat raisonné.

Au mois de mars 2017, la Guyane a connu une situation de paralysie à la suite d’un mouvement social de grande ampleur qui a débouché sur la signature d’un accord pour débloquer 3 Mds . L’accord prévoit la mise en place d’un « plan d’urgence » qui porte entre autres sur la construction de lycées et collèges, d’infrastructures routières, la hausse des effectifs de policiers et de gendarmes, une hausse des montants alloués pour le financement des hôpitaux et la rétrocession de 250 000 hectares de terres aux collectivités locales et à la Collectivité territoriale de Guyane (CTG). Par ailleurs, l’accord marque la réouverture du débat sur l’évolution statutaire de la Guyane.

Le passage de Mayotte au statut de département d’outre-mer en 2011 continue de soulever de nombreuses inquiétudes. La Cour des Comptes a critiqué dans un rapport de 2016, le manque de préparation et de pilotage de la départementalisation pour prendre en charge les nouvelles compétences comme le RSA et s’aligner sur le droit métropolitain. De ce fait, l’Etat a des difficultés à recouvrer l’impôt dans ce territoire et la plupart des communes sont en déséquilibre financier, situation que l’on retrouve dans d’autres communes de DROM et COM. Le gouvernement précédent a convenu d’un accord pour un montant de 200 M € d’investissements d’ici 2020 pour répondre à des priorités en matières d’accès à l’eau, d’assainissement, de logement et de santé.

En mars 2017, un accord pour le développement de la Polynésie française a été signé. Celui-ci prévoit une amélioration des conditions d’indemnisation des victimes des essais nucléaires qui ont eu lieu entre 1966 et 1996. Des dispositions sont également prévues pour développer les infrastructures publiques, accompagner le développement des communes et valoriser les secteurs d’avenir comme l’économie bleue.

Le passage à l’euro en Polynésie française, Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna est également un enjeu pour le futur. Ces territoires utilisent actuellement le franc CFP qui est en parité fixe avec l’euro. Cette décision devrait être prise après le référendum de novembre 2018 sur l’accession à la pleine souveraineté en Nouvelle-Calédonie (voir note avenir FCFP de Audrey Berthet).

 

Conclusion

Il existe des enjeux propres à chaque territoire mais la plupart des outre-mer partagent des difficultés communes, héritées du passé esclavagiste et de la situation géographique. Pour pallier ces handicaps, les outre-mer bénéficient de transferts de l’Etat et de l’Union européenne sous formes d’aides diverses et de prestations sociales mais également de mesures et outils spécifiques comme la politique de défiscalisation pour inciter à l’investissement.

Pour autant, l’intervention publique n’a pas toujours permis le développement d’une économique locale dynamique. La vaste consultation de la population ultramarine qui s’étend d’octobre 2017 à mai 2018 dans le cadre des « assises de l’outre-mer » laisse espérer que des propositions concrètes répondant au problème des populations seront formulées.

 

Références :

La France d’outre-mer, la Documentation française (2009)

L’outre-mer en mouvement, Jean-Christophe Gay (2004)

Fiches du CEROM (comptes économiques rapides pour l’outre-mer).

Interventionnisme public et développement économique des COM françaises du Pacifique Sud, Florent Venayre.

Rapports de l’institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM)

Projet de développement économique des DOM, voies et moyens, FEDOM

La départementalisation de Mayotte, Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire. Cour des comptes (2016)