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Evolution des prix d’électricité dans le secteur résidentiel en France (Note)

Utilité de l’article : La hausse des tarifs électriques en France ces dernières années conduit à s’interroger sur la précarité énergétique des ménages français. Cet article s’attache à analyser l’évolution des prix d’électricité dans le secteur résidentiel afin de mieux comprendre les facteurs qui ont influencé leur évolution au cours des dernières décennies.

 

Résumé :

  • Le prix  du  kWh  en  France est resté sensiblement inférieur au prix moyen européen sur la période 2000 – 2018, mais demeure aujourd’hui parmi les plus élevés ;
  • Il est demeuré à un niveau relativement bas et stable jusqu’en 2009, grâce à l’efficacité du parc de production basé sur l’énergie nucléaire et hydraulique, ainsi que grâce à une volonté de restriction du prix par le gouvernement français ;
  • Depuis 2009, le prix a connu une évolution à la hausse, dû à une hausse de la taxe supportée principalement par les ménages pour financer le coût supplémentaire des énergies renouvelables. Ce phénomène est commun dans presque tous les pays européens qui soutiennent la politique de transition énergétique.

 

Selon les données de l’INSEE et de SDES en 2018, l’énergie est un poste important de consommation des ménages puisqu’il représente en moyenne 8,5 % de leurs dépenses : 4,4 % pour leur résidence (principalement pour les factures du gaz et de l’électricité) et 4,1 % pour leur moyen de transport individuel. Selon l’ADEME, 5 millions de ménages français les plus modestes consacrent 15 % de leurs revenus à ces dépenses énergétiques (en situation de précarité énergétique), contre seulement 6 % pour les plus aisés.

Dans le contexte de tendance de  l’augmentation générale de prix des énergies, en particulier  ceux de l’électricité, et de la hausse de consommation électrique due à des logements de plus en plus grands et équipés[1], l’on peut s’attendre à ce que la facture électrique représente une part de plus en plus élevée dans les dépenses des ménages français, particulièrement ceux en situation de précarité énergétique. Il apparaît donc légitime d’analyser les prix de l’électricité dans le secteur résidentiel en France et de se pencher sur les éléments qui ont pesé sur leur évolution au cours des dernières décennies.

 

Les prix de l’électricité en France sont aujourd’hui parmi les plus élevés en Europe (UE-27)

En 2012, le prix de l’électricité pour les ménages de taille moyenne en France représentait le niveau le plus bas en Europe (Figure 1). Cinq ans plus tard, sous l’effet d’un ensemble de facteurs économiques et politiques (détaillés ci-dessous), la France se place parmi les pays où le prix de l’électricité est le plus élevé dans l’UE-27 (après la Danemark, l’Allemagne, la Belgique, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal), selon les données de l’Eurostat en 2018.  

Figure 1. Prix de l’électricité pour les ménages de taille moyenne (€/kWh) en 2012 et 2017

Cette évolution du prix français de l’électricité et la disparité entre les pays européens sont la conséquence d’une diversité de facteurs économiques et réglementaires, tant communs à l’UE que, pour certains, propres au contexte politico-économique français.

 

Les prix de l’électricité français, quasiment stables et bas durant une décennie, ont connu une évolution très significative ces dernières années

Afin de comprendre l’évolution du prix de l’électricité dans le secteur résidentiel en France, il est nécessaire de souligner que ce prix est distingué de celui issudu marché de gros, qui, en théorie, est déterminé principalement par le coût marginal de la production – donc quasiment aligné avec celui du gaz ou du charbon (voir plus de détail ici). Le prix de gros pour les distributeurs et les grands consommateurs, pour une grande partie, suit les mécanismes de marché tandis que le prix pour les particuliers est majoritairement régulé par le gouvernement. Ce dernier est en effet composé de coûts moyens de production, de coûts d’acheminement et de taxes, qui représentent respectivement 37 %, 30 % et 33 % de la facture électrique en 2018 selon la Commission de régulation de l’énergie.  

La figure 2 montre que le prix de l’électricité français, lors des deux dernières décennies, est demeuré inférieur au prix moyen européen[2], aussi bien pour la part hors taxes que pour le prix TTC. Le prix du kWh en Europe, comme en France, est resté quasiment stable jusqu’en 2005, avant de connaitre une hausse significative. Le prix du kWh en France, quant à lui, n’a débuté son augmentation qu’à partir de 2009.

Figure 2. Prix du kWh pour les clients domestiques en France et en Europe (EU-15)

Source : Eurostat (2018)

En effet, le prix du kWh en France entre 1994 et 2009 n’a évolué qu’à la marge en valeur nominale (autour de 0.9 €/kWh), malgré les tensions autour des prix des carburants sur la même période (tel que le prix du pétrole, qui  a augmenté de 20 USD le baril en 1999 jusqu’à environ à 140 USD en 2008). Deux raisons principales peuvent être mises en exergue :

  • Le coût de production de l’électricité est relativement bas en France, grâce aux composantes nucléaires et hydrauliques -l’électricité d’origine nucléaire et hydraulique représentant en effet 90 % du mix électrique français. D’une part, ces énergies permettent vraisemblablement un bas coût de production puisque leurs coûts moyens ont été considérés  moins élevés que ceux du gaz ou du charbon[3]. En particulier, l’exploitation de centrales nucléaires existantes permet un prix  peu élevé, étant donné qu’une grande partie des coûts fixes ont été amortis. D’autre part, ces coûts sont été peu atteints par l’augmentation des prix des combustibles fossiles, et quasiment peu touchés par l’intégration des prix de carbone depuis 2005, puisque le nucléaire est une source d’énergie bas-carbone.
  • Le prix du kWh a été volontairement bloqué : dans les faits, les prix de vente de l’électricité ont été réglementés et fixés par arrêté ministériel jusqu’à 2007, au nom de la compétitivité du parc nucléaire, mais sans être ajustés par les coûts réels de production et d’acheminement.

Depuis le 1er juillet 2007, la concurrence émerge dans les offres aux clients domestiques : aussi, l’ensemble des consommateurs sont devenus « éligibles » et libres de choisir leur fournisseur, bien qu’ils puissent conserver un tarif réglementé (ou y revenir après une période de six mois après avoir opté pour une offre commerciale).  Malgré l’ouverture de la concurrence, le tarif réglementé est demeuré inférieur au prix de marché, expliquant que 97,7 % de clients domestiques sont restés  sous  le  régime  des  tarifs  réglementés en 2009. 

Depuis 2009, le prix du kWh dans le marché des particuliers en France a commencé à augmenter, aussi bien pour le prix hors taxes que pour le prix TTC. Toutefois, l’écart entre ces deux prix a également augmenté, signifiant que si le prix a été ajusté très légèrement à la hausse pour la fraction de fourniture et d’acheminement (de 0.91 €/kWh en 2009 à 0.11 €/kWh en 2018), l’augmentation de la part des taxes étant le facteur principal de hausse du prix de l’électricité livrée en France depuis 2009.

 

La part de taxes dans la facture électrique des particuliers en France a été plus que doublée depuis 2009

Aux coûts de production, d’acheminement, et de commercialisation de l’électricité, s’ajoute une série de quatre taxes dans la facture des consommateurs finaux, qui s’appliquent de façon identique à l’ensemble des fournisseurs d’électricité. Si certaines s’appliquent aux abonnements – la partie fixe de la facture (la CTA, la TVA), d’autres s’appliquent à la consommation -la partie variable (la CSPE, la TVA et la TCFE).

  • La TVA : 20 % sur le prix du kWh et 5,5 % sur l’abonnement. En 2018, cette taxe représente environ 40 % de la taxe totale et 15 % de la facture finale.
  • La CTA (ou contribution tarifaire d’acheminement), qui représente seulement 5,4 % de la taxe totale et 1,9 % de la facture. Permettant de financer les droits spécifiques relatifs à l’assurance vieillesse des employés des industries électriques et gazières, elle est calculée à partir de la part fixe de tarif de cheminement de l’électricité, qui a connu une légère croissance depuis 2000.
  • La TCFE (ou la taxe sur la consommation finale de l’électricité) est une taxe locale reversée aux communes. Si l’Etat fixe une fourchette sur cette taxe, les communes appliquent un coefficient selon leurs besoins. En 2018, la TCFE (max.) représente environ 15 % de la taxe totale et 5,6 % de la facture finale.
  • La CSPE (ou la contribution au service public de l’électricité) est la taxe la plus complexe. Elle représente en effet 36,86 de la taxe totale et 13,26 % du prix du kWh en 2018. Elle assure le financement des charges induites par le service public de l’électricité :
  • Le coût des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables (ENR), dont la production est achetée par un tarif garanti plus élevé que le prix de marché. La différence entre le prix de marché et le tarif payé aux producteurs des énergies renouvelables est financé par la CSPE.
  • La péréquation tarifaire vise à soutenir les consommateurs en Corse et dans les territoires d’outre-mer, où le prix du kWh est cher en raison du coût de production élevé. Ce mécanisme permet l’application de tarifs égaux sur l’ensemble du territoire français.
  • Le tarif de première nécessité, à savoir une subvention forfaitaire accordée aux ménages en situation de précarité énergétique[4].

 

La question des énergies renouvelables

Parmi les taxes variables, à noter que la TCFE est ajustée chaque année au rythme de l’inflation, soit un rythme aujourd’hui modéré, tandis que la CSPE connait une hausse régulière depuis 2010 sous l’effet de développement des ENR (et devrait continuer de croître au cours des prochaines années). La CSPE et sa composante liée au soutien aux ENR est ainsi un facteur majeur expliquant l’évolution du prix électrique français. Il est toutefois important de souligner que cette hausse de prix liée au financement des ENR demeure également phénomène commun aux pays européens déployant une politique de transition énergétique en vue de subventionner les producteurs des énergies renouvelables. L’évolution de cette taxe dans la facture électrique en Europe (EU-15) a été encore plus remarquable, notamment en Allemagne.

En effet, l’électricité produite par les sources d’énergies renouvelables est payée hors marché par des prix garantis élevés, avec des conditions d’accès au réseau prioritaires. Elle entraine également des prix électriques plus bas pour les consommateurs industriels sur le marché de l’électricité de gros, grâce à un coût marginal nul. Tenant compte de l’interconnexion très forte entre la France et l’Allemagne, un effet similaire pourrait se produire à l’échelle transfrontalière. Cela signifie que l’intégration massive d’électricité renouvelable à un coût marginal nul dans le marché électrique allemand pourrait également conduire à un prix électrique plus bas sur le marché de l’électricité de gros français.

Aussi, les producteurs d’électricité conventionnels demeurent perdants, en ce qu’ils vendent moins d’électricité,  à un prix inférieur. Les consommateurs finaux achetant l’électricité à un prix qui n’est pas indexé sur le prix de gros (tarif électrique dans le secteur résidentiel) sont perdants, en ce qu’ils supportent le coût supplémentaire des subventions accordées aux énergies renouvelables (la CSPE en France ou la taxe « EEG-Umlage » en Allemagne).

Les consommateurs industriels achetant l’électricité à un prix de marché sont gagnants, d’autant qu’ils sont souvent exonérés des taxes destinées à financer le coût supplémentaire des énergies renouvelables. Si l’exemption de taxes pour les grandes entreprises est un outil politique important pour soutenir la compétitivité des entreprises françaises, cette taxe aurait également pu tenir compte de la baisse de prix de marché grâce à l’injection d’ENR, subventionnée par les consommateurs finaux.

 

Conclusion

Le prix de l’électricité dans le secteur résidentiel en France a été quasiment inchangé durant deux décennies (1990-2010), à un niveau remarquablement bas et inférieur au prix moyen européen. D’une part, le coût de production de l’électricité est relativement bas en France grâce à la compétitivité de l’électricité d’origine nucléaire et hydraulique (représentant en effet 90 % du mix électrique français). D’autre part, le prix du kWh, ayant été politiquement bloqué pour préserver les consommateurs des tensions du monde énergétique, ne reflète pas la réalité de marché.

Le prix TTC de l’électricité français dans le secteur résidentiel a néanmoins connu une évolution significative ces dernières années, liée notamment à une hausse de taxe, destinée à financer le coût supplémentaire des énergies renouvelables.  La hausse des ENR dans le mix électrique dans les années à venir va aller de pair avec la hausse de la facture finale et serait probablement continue si la subvention aux ENR n’est pas fixée de manière équitable entre différent types de consommateurs et producteurs.

 

 


[1] Selon INSEE, entre 1985 et 2006, la surface des logements a augmenté en France de  9 m² en moyenne (environ 11 %) et les ménages ont eu également tendance à multiplier le nombre d’équipement électrique.

[2] Les pays dans l’EU-15 : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal, Autriche, Finlande, Suède.

[3] En effet, selon le rapport de la Cour des Comptes publié en 2014 suite à l’accident nucléaire de Fukushima, les coûts de production nucléaire diffèrent sensiblement en fonction des différentes approches du calcul (les prises en compte de l’amortissement du parc et de la rémunération du capital) et des charges futures (démantèlement et de gestion à long terme de déchets). 

[4] Cela a été remplacé, depuis janvier 2019 par le « cheque énergie »