Résumé :
– Contrairement aux idées reçues, le lien entre immigration et baisse des salaires ou hausse du chômage est loin d’être avéré.
– Si les immigrés reçoivent en moyenne plus de prestations sociales, leur contribution nette globale sur le budget national reste positive.
– Si la politique migratoire ne permet pas de régler à elle seule les problèmes liés au vieillissement de la population, elle permet d’en alléger le fardeau fiscal temporairement.
L’immigration alimente les débats publics même si l’ampleur de ce phénomène est souvent mal connue (voir l’article du même auteur sur le site de BSI Economics « Immigration en France, quelle réalité ? »).
L’immigration est souvent perçue comme une source de maux pour les populations des pays d’accueil. Ainsi, en 2013, 50 % des français pensaient que l’immigration représentait davantage une source de problèmes que d’opportunités (Transatlantic Trends on Immigration, 2014). Les peurs se cristallisent généralement sur deux aspects principaux : les effets de l’immigration sur le marché du travail et sur le budget national.
Immigration et marché du travail
L’immigration est souvent accusée d’être en partie responsable de la baisse des salaires et de la hausse du chômage. Ces relations sont cependant loin d’être évidentes.
Immigration et salaires
Qui dit flux migratoires, dit flux de main d’œuvre, d’autant plus que les immigrés sont surreprésentés dans les classes d’âge considérées comme actives (cf. article « Immigration en France, quelle réalité ?» sur le site de BSI Economics). L’immigration a donc pour effet d’augmenter l’offre de travail. Si l’on se place dans un modèle de concurrence pure et parfaite, où le salaire se fixe librement à l’intersection entre l’offre et la demande de travail (aucune rigidité), toutes choses étant égales par ailleurs, cette hausse de l’offre de travail entraîne une baisse des salaires. Cette vision est cependant un peu simpliste et il convient de distinguer plusieurs cas.
Tout d’abord, dans de nombreux pays développés, il existe des rigidités salariales, comme l’existence d’un salaire minimum, qui empêche le salaire de varier selon les simples lois du marché. Si l’offre de travail supplémentaire, suite à l’afflux des migrants, suppose un salaire d’équilibre en dessous du salaire minimum, l’ajustement ne se fera pas par le prix du travail (le salaire est rigide) mais par les quantités. Les salaires ne diminuent dès lors pas mais le risque est de voir le chômage augmenter. Nous reviendrons sur le lien entre immigration et chômage ci-dessous.
Un second problème tient au fait que le raisonnement exposé précédemment se fait toutes choses étant égales par ailleurs. Or, les flux migratoires vont affecter non seulement l’offre de travail mais aussi les autres variables macroéconomiques. Ainsi, le capital devenant plus rare relativement au travail, son rendement devrait augmenter, ce qui génère un accroissement de capitaux (Chojnicki et Ragot, 2012). Cet investissement génère une augmentation des capacités de production qui s’adaptent au surplus de main d’œuvre. La baisse des salaires ne serait dans ce contexte que temporaire.
Enfin, troisième critique, le raisonnement en concurrence pure et parfaite suppose également que les travailleurs natifs et immigrés sont homogènes et substituables, ce qui n’est évidemment pas le cas. Nous l’avons vu, les travailleurs issus des flux migratoires sont notamment, en moyenne, moins éduqués or les travailleurs non qualifiés ne sont pas substituables aux qualifiés. Ainsi, l’afflux de migrants non qualifiés entraîne une hausse de la main d’œuvre non qualifiée et donc bien une baisse des salaires des non qualifiés (Chojnicki et Ragot, 2012). Parallèlement, le facteur travail qualifié se faisant relativement plus rare, les salaires des travailleurs qualifiés vont augmenter. Il est donc possible que l’immigration aille de pair avec une augmentation des inégalités salariales.
Même à qualification similaire, les travailleurs immigrés et natifs ne sont pas forcément substituables. En effet, le marché du travail est très segmenté et nombre d’immigrés occupent des emplois non pourvus par des natifs. Ainsi, en 2012, Les immigrés de pays tiers (hors Union Européenne) étaient surreprésentés dans l’hôtellerie-restauration, dans les activités de soutien et dans la construction (Graphique 1). L’immigration permet dès lors d’apaiser certaines tensions sur le marché du travail. Dans ce cas, d’après l’hypothèse de complémentarité, l’arrivée de nouveaux migrants n’aura pas d’effet sur les salaires des autochtones mais par contre entraînerait une baisse des salaires des migrants déjà présents.
Graphique 1 : Secteurs d’activités des actifs
Sources : Auteur, données de la DSED (2014), BSI Economics
La théorie met donc en avant plusieurs liens qui peuvent être contradictoires et qui ne permettent pas de conclure directement quel est le véritable impact de l’immigration sur les salaires. Il est donc nécessaire de se pencher du côté empirique. Les études les plus complètes sur le sujet infirment l’existence potentielle d’un lien entre immigration et baisse des salaires (Docquier et al., 2010 ; Ortega et Verdugo, 2011 ; Ottaviano et Peri, 2012). Ces études tendent au contraire à démontrer que l’immigration a entraîné une hausse des salaires des natifs. Ainsi Ortega et Verdugo (2011) estiment qu’un accroissement de 10 % de l’immigration entraîne une hausse du salaire des non-migrants de 3 %.
Immigration et emploi
Toujours en rapport avec le marché du travail, l’immigration est aussi souvent accusée d’être responsable du chômage. Cependant, le lien entre chômage et immigration est loin d’être évident (Graphique 2).
Graphique 2 : Immigration et taux de chômage
Sources : Auteur, données de l’OCDE, BSI Economics
Plusieurs phénomènes remettent en cause le lien entre immigration et chômage. Tout d’abord, les flux migratoires augmentent non seulement l’offre de travail mais aussi la demande via la consommation, ce qui stimule l’activité et crée potentiellement des emplois (Ortega et Peri, 2009).
Comme souligné précédemment, les migrants et les natifs ne sont pas parfaitement substituables et ils n’occupent pas les mêmes métiers (Graphique 1). Les immigrés ne seraient donc pas en concurrence avec les natifs mais permettraient de répondre à une demande de travail différente et donc d’apaiser certaines tensions sur le marché du travail (Chojnicki et Ragot, 2012).
Ces considérations théoriques ont été confirmées par plusieurs travaux empiriques. Ainsi, que ce soit Card (1990) dans son étude sur l’arrivée massive de Cubains en Floride en 1980, Hunt (1992) sur le rapatriement des pieds noirs d’Algérie en 1962 ou encore Friedberd (2001) sur l’immigration des juifs de l’Union Soviétique en Israël entre 1990 et 1991, tous ces auteurs montrent que l’immigration n’aurait aucun effet sur le chômage ou que cet effet n’est que transitoire et très faible.
Immigration et fiscalité
Outre les peurs relatives au marché du travail, l’immigration est souvent perçue comme un facteur aggravant le déficit public, l’argument étant que les immigrés perçoivent plus de prestations sociales qu’ils ne cotisent. Une première analyse mettant en lien le déficit des administrations publiques et le pourcentage de la population née à l’étranger montre que cette peur n’est pas forcément fondée (Graphique 3).
Graphique 3 : Déficit des administrations publiques et pourcentage de la population née à l’étranger
Sources : Auteur, données de l’OCDE, BSI Economics
En moyenne, en France, les immigrés ont pourtant davantage recours aux prestations sociales notamment le RMI et les allocations chômage même après avoir pris en compte les différences de caractéristiques individuelles (âge, genre, éducation, …) (Chojnicki et Ragot, 2012). Ce résultat peut être expliqué par une exclusion plus forte du marché du travail ou par un comportement rationnel de l’immigré qui se satisfait des simples aides car elles représentent un revenu conséquent comparativement à ses revenus dans le pays d’origine. Cependant, si les immigrés reçoivent davantage de transferts sociaux, ils contribuent également au système en cotisant. Il est donc important de ne pas s’arrêter à cette vision simpliste mais de regarder la contribution nette des immigrés. Chojnicki et Ragot (2012) montrent, en prenant en compte la structure par âge de la population immigrée qui est plus jeune, que la contribution nette globale des immigrés aux budgets publics est positive même si elle reste relativement faible (0,5 % du PIB). Pour un âge donné, la contribution nette d’un immigré est inférieure à celle d’un natif mais, les immigrés étant plus jeunes, l’effet global est positif.
Immigration et vieillissement de la population
Les pays développés connaissent aujourd’hui un phénomène de vieillissement de la population. En France, d’après les projections de l’INSEE, si la tendance actuelle se maintient, une personne sur trois aura plus de 60 ans en 2060. Ce vieillissement de la population pose de multiples questions notamment en termes de financement des systèmes de retraite à répartition. La population immigrée étant relativement jeune, l’immigration pourrait donc permettre de répondre, temporairement, à ce problème en augmentant la part de la population en âge de travailler.
Cependant, il est difficile d’imaginer qu’une politique migratoire seule pourrait permettre de répondre au vieillissement de la population. Ainsi, Chojnicki et Ragot (2012) montrent que maintenir le ratio de dépendance[1] à sa valeur de 2010 par la seule politique migratoire conduirait à des flux annuels migratoires de plusieurs millions ce qui aboutirait à un doublement de la population en 2050 et à une part des immigrés dans la population totale de 41 %. De plus, les immigrés finiront eux-aussi par vieillir et donc sur le long terme le vieillissement de la population ne sera nullement réglé.
A défaut d’être la solution miracle au vieillissement, une politique migratoire éclairée pourrait alléger temporairement le fardeau fiscal lié au vieillissement. Au contraire, réduire les flux migratoires ne ferait qu’augmenter le coût fiscal. Chojnicki et Ragot (2012) comparent deux scénarios. Le premier scénario est basé sur les flux migratoires observés (scénario de base), tandis que le deuxième repose sur des flux migratoires nuls. Le résultat est sans appel. Sans flux migratoire, la population totale estimée baisse de 10 % en 2050 par rapport au scénario de base générant une baisse de PIB et le ratio de dépendance augmente de 3,8 points. Ces deux effets entraînent un accroissement des dépenses de 1,3 point du PIB.
Conclusion
L’immigration est un phénomène alimentant nombre de débats sans que les effets de l’immigration soient bien compris et appréhendés. L’idée selon laquelle l’immigration serait responsable d’une baisse des salaires ou d’une hausse du chômage repose sur des hypothèses fortes, notamment celle d’homogénéité du facteur travail. Il n’a été nullement prouvé que les flux migratoires entraînent une baisse des salaires ou une hausse du chômage des natifs.
Concernant le budget national, même si les immigrés perçoivent plus de prestations sociales, la population immigrée a une contribution nette globale positive du fait de sa structure par âge. Si l’immigration ne peut à elle seule résoudre le problème du vieillissement de la population, elle permet tout de même d’en alléger le coût fiscal.
Références:
– Card, D. (1990). The impact of the Mariel boatlift on the Miami labor market. Industrial & Labor Relations Review, 43(2), 245-257.
– Chojnicki, X., & Ragot, L. (2012). On entend dire que l‘immigration coûte cher à la France. Editions Eyrolles.
– Docquier, F., Özden, Ç.,&Peri, G. (2010). The wage effects of immigration and emigration (No. w16646). National Bureau of Economic Research.
– DSED (Département des Statistiques, des Etudes et de la Documentation) (2014), “Activités des immigrés en 2012”, Info migrations, no60
– Friedberg, R. M. (2001). The impact of mass migration on the Israeli labor market. Quarterly Journal of Economics, 1373-1408.
– Hunt, J. (1992). The impact of the 1962 repatriates from Algeria on the French labor market. Industrial & Labor Relations Review, 45(3), 556-572.
– Ortega, J., & Verdugo, G. (2011). Immigration and the occupational choice of natives: A factor proportions approach.
– Ortega, F., &Peri, G. (2009). The causes and effects of international migrations: Evidence from OECD countries 1980-2005 (No. w14833). National Bureau of Economic Research.
– Ottaviano, G. I., &Peri, G. (2012). Rethinking the effect of immigration on wages. Journal of the European economic association, 10(1), 152-197.
– Transatlantic Trends : Mobility, Migration and Integration, 2014