Résumé:
– Les variations, notamment la hausse, des prix du pétrole ont un impact sur la croissance du PIB français. Une augmentation du prix du baril constitue à la fois un choc négatif d’offre, via une hausse du prix des consommations intermédiaires, et de demande, via une baisse du pouvoir d’achat des ménages et une diminution de la demande étrangère.
– La conjonction d’une évolution structurelle favorable de l’économie française et le rôle du taux de change et des taxes ont abouti à un affaiblissement du lien entre prix du baril et taux de croissance depuis les années 1980.
– Une hausse de 20 % du prix du pétrole aurait un impact cumulé négatif sur l’activité française évalué à 0,2 point au bout de 2 ans. Ce chiffre peut sembler relativement peu important, mais reste non négligeable en période de croissance faible voire nulle.
Le prix du baril de pétrole connaît, depuis les années 1970, un certain nombre de fluctuations et de chocs, porteurs de conséquences économiques importantes. Ainsi, à l’occasion des chocs pétroliers de 1973 et 1979, les hausses importantes du baril de brut sont allées de pair avec une baisse généralisée des taux de croissance de la plupart des pays développés importateurs de pétrole, et notamment de la France.
Si le débat sur le prix du pétrole et son potentiel impact sur la croissance n’était plus au centre des préoccupations au cours des années 1990, les hausses récentes du cours du baril entre 2004 et 2008, et depuis 2009, ont ravivé la problématique sur le lien entre le prix de cette matière première, dont l’usage est central dans le fonctionnement des économies industrielles contemporaines, et le taux de croissance économique.
1 – Les mécanismes de transmission d’une variation du prix du pétrole sur la croissance du PIB
Tout d’abord, dans le cas de la France, une hausse du prix du pétrole constitue un choc d’offre négatif pour l’économie,au sens où elle réduit sa capacité à créer et à distribuer des richesses. La hausse du prix du pétrole augmente en effet le prix des consommations intermédiaires et affecte négativement la production.
La hausse du prix du pétrole se traduit par ailleurs par une amplification des conséquences inflationnistes de la boucle prix-salaires qui existe sur le marché du travail. Des effets de second tour sont observables du fait des réactions des producteurs pour maintenir leurs marges (augmentation des prix finaux) et des salariés pour conserver leur pouvoir d’achat (demande de salaires plus élevés). La hausse du prix du pétrole peut ainsi se traduire par une hausse du taux d’inflation dans l’économie du pays importateur.
La transmission des chocs pétroliers peut ainsi provoquer une réaction des autorités monétaires dans une situation de hausse des prix, au titre de la stabilisation de l’inflation, comme en témoignent les hausses de 0.25 point de base du taux directeur de la BCE de juillet 2008 et avril 2011.
Ce resserrement monétaire peut aggraver l’impact récessif d’un choc pétrolier. Au contraire, en cas de choc à la baisse sur les prix, les banques centrales ne modifient généralement pas leurs politiques ou leurs comportements, les anticipations d’inflation restant bien ancrées.
Au choc d’offre induit par la hausse du prix du pétrole s’ajoute un choc de demande, lui aussi négatif, prenant la forme d’une réduction de la demande pour les produits nationaux. Ces produits sont devenus plus chers mais ils font face, en outre, à une demande structurellement plus faible car nos principaux partenaires commerciaux, importateurs net de pétrole, réduisent leur demande adressée à la France.
Enfin, de manière plus générale, la volatilité élevée et les hausses fréquentes des prix du baril ont un impact global sur l’économie en contribuant à l’affaiblissement du revenu disponible des ménages, la demande de pétrole étant quasi-inélastique, et à l’appréhension d’un environnement incertain de la part des agents économiques. Cette appréhension et cette incertitude ont des conséquences sur les anticipations des ménages et des entreprises. Elles contribuent d’une part à une contraction de la consommation de biens durables, et d’autre part à une diminution de l’investissement en raison de l’évaluation d’une demande anticipée revue à la baisse de la part des producteurs.
2 – L’évolution de la structure de l’économie française a augmenté sa résilience à une variation des prix du pétrole
Alors que les chocs de 1973 et 1979 avaient eu de fortes conséquences en matière de croissance, d’emploi et d’inflation, il en va différemment dans les années 2000. La croissance française s’est raffermie sur la fin de la précédente décennie et a été particulièrement créatrice d’emplois, notamment dans le secteur public. La baisse du taux de chômage n’a pas été freinée par la hausse du prix du brut et l’inflation est restée limitée.
L’évolution des caractéristiques structurelles de l’économie française, peut justifier que les variations des prix du pétrole ont un impact moindre sur la croissance par rapport aux situations observées dans les années 1970.
Depuis le premier choc pétrolier, les pays développés ont su réduire l’intensité énergétique et pétrolière de leur production. Selon l’INSEE, il faut aujourd’hui en France, un tiers de baril de pétrole pour produire mille euros de PIB, alors qu’il en fallait trois fois plus en 1973 pour produire la même valeur réelle. La réduction de la consommation des ménages, grâce à l’adoption de technologies plus économes en énergie et à la substitution au pétrole d’autres sources d’énergie comme le gaz, l’électricité d’origine nucléaire ou les énergies renouvelables ont permis de diminuer la dépendance au pétrole. La facture énergétique nationale est en effet évaluée à 2,3% du PIB en 2012 contre 5% du PIB environ en 1981.
En matière de formation des prix, certains phénomènes de rigidités nominales ont eu pour effet une neutralisation partielle de l’effet de l’augmentation des prix du pétrole sur l’économie. Du côté du marché du travail français, la désindexation des salaires sur l’inflation en 1983[1]a limité les effets indirects et de second tour étudiés plus haut. Selon Bousharain et Ménard (2000) cette désindexation des salaires en France est à l’origine de l’affaiblissement du lien entre le prix du pétrole et la croissance du PIB. D’après leurs calculs, une hausse de 100% du prix du pétrole entraine après deux ans une augmentation du salaire de 1% entre 1985 et 1998, contre 6% entre 1974 et 1986.
Enfin, l’évolution du change et le rôle protecteur des taxes ont rendu la hausse du prix du brut moins perceptible en France que dans d’autres pays. Ainsi, entre janvier 2004 et juillet 2008, les consommateurs français ont vu le prix du super à la pompe passer de 1 euro à près d’1,5 euro. Dans le même temps, les Américains voyaient le prix du gallon passer de 1,5 à 4 dollars. Cette très nette différence de traitement a une double explication. D’une part, l’appréciation de l’euro a permis aux Français d’acheter moins cher un pétrole facturé en dollars ; d’autre part, la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, même si elle ne flotte plus, introduit beaucoup d’inertie dans l’évolution du prix à la pompe.
3 – Analyse empirique et économétrique
L’INSEE a publié dans l’Économie française 2009 une étude évaluant l’impact de la hausse du prix du pétrole sur la croissance française entre 2002 et 2009. Le prix du baril est alors passé de 21 à 89 dollars, ce qui représente une multiplication par 2,5 du prix en euros. Cette hausse importante aurait réduit le taux de croissance de 0,3 point par an en moyenne. Les trois principaux canaux de transmission du prix du pétrole au PIB sont la baisse des importations en volume du fait d’une hausse de l’énergie, l’impact sur le prix des consommations intermédiaires et surtout une variation de la demande mondiale, qui diminue si le prix du pétrole augmente.
Le Centre d’Analyse Économique (CAE) a développé quant à lui une évaluation de l’impact macroéconomique d’une hausse du prix du baril de 20 % (tableau 3), court et moyen terme en France ainsi qu’en zone euro à l’aide de deux modèles économétriques : le modèle MÉSANGE[2]et le modèle NIGEM[3]. L’utilisation simultanée de ces deux modèles permet de prendre en compte à la fois la réaction directe de l’économie française à cette hausse et les effets indirects sur la France liés à la réaction du reste du monde. Les résultats sont les suivants : une hausse de 20 % du prix du pétrole conduirait à une baisse du PIB français de 0,1 point la première et la deuxième année, en lien avec les effets indirects liés à la variation de la demande mondiale. Lors de la quatrième année, l’activité serait réduite de 0,2 point.
Ces chiffres peuvent sembler relativement faibles, cependant il convient d’ajouter que les effets d’une hausse du prix du pétrole semblent avoir un impact plus important lorsque l’économie est en phase de croissance faible ou en situation de récession. En phase expansive, le fait de dégager une valeur ajoutée plus importante permet d’amortir la hausse des prix des matières premières, alors qu’en phase récessive, une hausse se traduit par une réduction de la valeur ajoutée à partager, ayant des conséquences sur les prix finaux et sur les salaires réels et/ou sur le chômage en fonction des rigidités sur le marché de l’emploi.
Conclusion
Les variations des prix du pétrole ont un impact sur la croissance française du fait de plusieurs facteurs et canaux de transmission. Ainsi, une hausse du prix du pétrole entraine une baisse des importations en volume, une augmentation du prix des consommations intermédiaires et surtout une diminution de la demande mondiale adressée à la France.
L’évolution des caractéristiques structurelles de l’économie française, peut justifier que les variations des prix du pétrole ont un impact moindre sur la croissance par rapport aux situations observées dans les années 1970.
Selon le CAE, une hausse de 20 % du prix du pétrole aurait un impact négatif cumulé sur l’activité française évalué à 0,2 point au bout de 2 ans. Ce chiffre peut sembler relativement faible, cependant les effets d’une hausse du prix du pétrole semblent avoir un impact plus important lorsque l’économie est en phase de croissance faible ou en situation de récession.
Bien que l’économie française semble aujourd’hui plus résiliente aux variations du prix du pétrole, l’atonie actuelle de la croissance pourrait donc, si elle se prolonge, peser sur l’emploi en cas de hausse substantielle du prix du baril.
Notes
[1] Des dispositifs d’indexation demeurent cependant : ainsi, le SMIC est revalorisé lorsque l’inflation atteint un niveau correspondant à une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du salaire minimum immédiatement antérieur.
[2] Le modèle MÉSANGE, construit par l’INSEE et la Direction générale du Trésor, est également un modèle macro-économétrique d’inspiration néo-keynésienne.
[3] Le modèle NiGEM (du National Institute of Economic and Social Research) est un modèle macro-économétrique caractérisé par une dynamique keynésienne à court terme et un équilibre de long terme déterminé par des facteurs d’offre.
Références
– Bouscharain et Ménard 2000, « L’inflation européenne est-elle moins sensible aux variations du prix du pétrole ? », INSEE – Notes de conjoncture, Juin 2000
– B.S. Bernanke, M. Gertler, M. Watson, (1997), « Systematic Monetary Policy and the Effects of Oil Price Shocks, » BrookingsPapers on Economic Activity
– Centre d’Analyse Economique, Les effets du prix du pétrole élevé et volatil, 2010
– Direction générale de l’énergie et du climat, Rapport « Panorama énergies – climat », Juillet 2013.
– Flash économique Natixis, Mars 2012, Croissance et prix du pétrole (P.Artus)
– INSEE, 2007, Documents de travail : Quel impact des variations du prix du pétrole sur la croissance française ? (Muriel Barlet, Laure Crusson)
– J. Hamilton, (1983), « Oil and the macroeconomy since World War II », Journal of Political Economy
– J. Hamilton, 2009, « Understanding crude oil prices », Energy Journal
– L. Kilian, (2008), « The Economic Effects of Energy Price Shocks, » Journal of Economic Literature
– Nathan S. Balke & Stephen P. A. Brown & Mine Yücel, « Oil price shocks and the US economy : where does the asymmetry originate ? », Working Papers Federal Reserve Bank of Dallas, 1998
– Fondation Robert Schuman, Questions d’Europe n°85 : L’impact de la hausse du prix du pétrole sur la croissance de la zone euro (JF Jamet), 2008