Résumé :
– L’Irlande est officiellement sortie du programme d’aide (Memorandum of Understanding) de la Troïka (Commission européenne, FMI, BCE), après le versement de la dernière tranche d’aide financière de 648 Mn EUR de la part du FMI.
– Le succès du retour le l’Irlande au financement de marché dépendra de sa capacité à tenir ses engagements d’ajustement budgétaire et à continuer d’assainir les bilans de ses banques, en particulier dans la gestion des créances douteuses.
– Enfin, une partie non négligeable de son succès dépendra de l’aversion pour le risque des investisseurs à l’approche du ralentissement des achats d’actifs de la Réserve fédérale américaine.
Ce weekend, l’Irlande est officiellement sortie du programme d’aide (Memorandum of Understanding) de la Troïka (Commission européenne, FMI, BCE), après le versement de la dernière tranche d’aide financière de 648 Mn EUR de la part du FMI. Sur les quatre pays de la zone (Grèce, Portugal, l’Espagne et Irlande) euro bénéficiant du programme de la Troïka, il s’agit du premier à se libérer de la tutelle internationale. Durant ces trois années de programme, le gouvernement irlandais a reçu 85 Mds EUR, dont 67,5 Mds EUR de la part des créanciers internationaux. Toutefois, l’Irlande restera sous haute la surveillance de la Troïka tant que 75%, des prêts accordés depuis son entrée sous programme en novembre 2010 ne seront pas remboursés.
Le retour au financement de marchés suggère que l’Irlande entre dans la phase de remboursement, qui doit logiquement faire suite à la phase d’assainissement de ses finances publiques et surtout de son système bancaire. Cependant, si l’Irlande a été « un exemple sur le plan des réformes structurelles » pour l’ensemble des pays de la zone euro notamment en termes d’ajustements budgétaires, a précisé Christine Lagarde, le système bancaire reste fragile : le taux de prêts non performants détenus par les banques est toujours élevé (24,8% du total des prêts) et la dynamique des crédits à l’économie reste faible. De plus, le ratio des prêts non performants irlandais exclut les transferts à l’agence de gestion d’actifs nationale (NAMA), or celle-ci a acquis 12 000 prêts hypothécaires toxiques qu’elle a revendus en mai avec un escompte de 75,3%.
En novembre dernier, le premier ministre irlandais, Enda Kenny, a surpris en déclarant que l’Irlande ferait son retour au financement de marchés sans faire appel à une ligne de crédit de précaution, insistant sur sa volonté de faire une « sortie propre ». Selon le Trésor irlandais (NTMA), le refinancement de la dette et les besoins en financement du Ministère des Finances atteindraient 16,6 Mds EUR en 2014 et 10 Mds EUR en 2015, et le NTMA prévoirait l’adjudication de 6 à 10 Mds EUR en 2014. De plus, Enda Kenny a expliqué que l’Irlande avait préparé son retour au marché durant ses trois dernières années, faisant référence au fait que sur les 35 Mds EUR alloués à la recapitalisation des banques, seulement la moitié a été nécessaire, laissant un capital non négligeable de liquidité pour couvrir environ un an de besoins de financement.
Par ailleurs, la décision de l’Irlande de sortir du programme sans ligne de crédit de précaution est un signal positif envoyé aux investisseurs. Cette confiance est soutenue par une amélioration récente des perspectives économiques, bien que les indicateurs conjoncturels restent soumis à une forte volatilité. En 2013, le PIB a progressé de 0,4% t/t au deuxième trimestre après une contraction de 0,6% t/t au premier trimestre. En revanche, le taux de chômage reste élevé à 12,5% en novembre même s’il a diminué relativement à son point haut de début 2012 (15,1%). Les enquêtes ont montré une amélioration du sentiment économique en novembre, proche de ses niveaux de pré-crise. Les indices PMI dans le secteur manufacturier et dans le secteur des services sont repassés en territoire d’expansion, et la production industrielle a rebondi en novembre 2013 (11,7% par rapport à novembre 2012) malgré l’impact négatif de la perte de l’exclusivité de nombreux brevets dans l’industrie pharmaceutique.
L’Irlande a réussi à résorber son déficit public de près de 6 points en un an, passant de 13,4% du PIB en 2011 à 7,6% du PIB en 2013. Cependant, il reste toujoursle plus élevé de la zone euro. La croissance irlandaise est principalement tirée par les exportations nettes, majoritairement à destination de la zone euro. La solidité du commerce extérieur irlandais est notamment due à une fiscalité très attractive pour les firmes internationales (12,5% contre 23,5% en moyenne dans l’Union européenne), une localisation stratégique des firmes américaines pour le marché européen et à une main d’œuvre qualifiée, anglophone et relativement peu coûteuse. La principale faiblesse de l’économie irlandaise reste bien entendu son système bancaire encore fragile: les deux banques principales du pays, l’Allied Irish Banks et la Bank of Ireland ont encore aujourd’hui le plus faible ratio de fonds propres des banques de la zone euro.
Le risque d’un nouveau stress sur le marché de la dette souveraine irlandaise pourrait donc survenir après la publication en novembre 2014 des résultats des tests de résistance et de l’évaluation de la qualité des actifs bancaires (AQR) que va mener la BCE dès le début de l’année prochaine. Dans ce cas, l’Irlande pourrait de nouveau avoir besoin d’assistance financière. Cependant, en refusant de souscrire à une ligne de crédit de précaution avec un mandat d’achat prioritaire (ECCL1) et en n’étant plus sous programme de la Troïka, l’Irlande n’est plus directement éligible au programme d’achats d’actifs massifs (OMT) sur le marché secondaire de la BCE. Pour en bénéficier, le gouvernement devrait en faire la demande auprès de la BCE, ce qui ralentirait la procédure d’intervention.
Toutefois, d’autres aides de l’Union européenne pourraient être envisagées, comme éventuellement la recapitalisation rétroactive directe des banques via le Mécanisme européen de stabilité (MES). En juin dernier, l’Eurogroupe a donné son accord, sur la base du cas par cas, en dépit des oppositions de la Chancelière allemande Angela Merkel. L’Irlande pourrait ainsi récupérer une partie des fonds qui ont servis à la recapitalisation d’Allied Irish Banks et de Bank of Ireland durant la crise financière de 2008. En revanche, les dispositions légales autour de la recapitalisation directe via le MES sont rédigées actuellement et, dans le contexte de l’AQR et des stress tests organisés en vue de l’Union bancaire, il est probable qu’aucune décision ne soit prise avant l’automne 2014.
Cependant, il ne s’agirait pas d’une prise de participation en actions par le MES dans les banques irlandaises mais plutôt d’un financement structuré par lequel le MES garantirait les prêts hypothécaires (NPL) détenus par les banques irlandaises. En effet, le principal sujet d’inquiétude est la gestion des arriérés de paiement sur les prêts hypothécaires détenus principalement par les banques AIG et Permanent TSB. Toutefois, selon le ministère des Finances irlandais, les arriérés hypothécaires résidentiels douteux à 90 jours ont baissé pour la première fois depuis le début de la crise au troisième trimestre 2013 et l’agence de notation Moody’s a noté une stabilisation du marché immobilier irlandais.
La sortie de l’Irlande du programme d’assistance de la Troïka est un symbole fort pour les pays périphériques de la zone euro, et pourrait insuffler d’autres vocations à sortir « proprement », i.e. sans ligne de crédit de précaution. A ce titre, le Portugal s’apprêterait à retourner au financement de marchés dès le début 2014, a annoncé son premier ministre Pedro Passos Coehlo. Par ailleurs, le retour imminent de l’Irlande sur les marchés financiers arrive au moment même où les investisseurs se préparent au ralentissement des achats d’actifs de la Réserve Fédérale (tapering), dont l’impact pourrait être potentiellement déstabilisant pour les marchés de la dette souveraine européenne. En effet, le tapering pourrait susciter une recrudescence de l’aversion pour le risque, impliquant des pressions à la hausse sur les coûts de financement de la dette souveraine irlandaise. Par conséquent le succès du retour de l’Irlande au financement de marchés dépendra de la confiance des investisseurs dans les engagements du pays en termes d’ajustements structurels et budgétaires, et sur la résilience des banques irlandaises aux tests de résistance menés par la BCE l’année prochaine. Sur ce dernier point, le FMI a émis pour dernière recommandation dans la 11èmerevue de la Troïka sur l’Irlande, « qu’une recapitalisation directe des banques via l’ESM avant les tests de résistance de 2014 serait souhaitable pour de protéger la confiance des marchés et la stabilité financière ».