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La COP21 : Entre réalités et illusions (Etude)

 

 

 

Résumé :

· L’accord de Paris est sans doute un grand succès diplomatique mais peut paraitre illusoire sur certains aspects.

· L’objectif de réduction de la consommation d’énergies fossiles pour limiter l’augmentation de la température mondiale de 2°C serait difficile à atteindre au vu des prix actuels du pétrole et du charbon.

· L’objectif serait encore atteignable avec un mécanisme de prix international du carbone, qui permettrait aussi de crédibiliser la promesse de transférer une valeur plancher de 100 milliards de dollars par an vers les pays moins avancés.

· Cependant, les délais liés à ces transferts n’ont été qu’insuffisamment abordés.

 

L’accord de Paris a été approuvé le 12 Décembre 2015, à l’issu de la COP 21, par les dirigeants du monde entier dans un effort de lutter contre le changement climatique. « Historique », cet accord ? Il est indéniable que l’accord de Paris a été un grand succès diplomatique. Pour la première fois, les États Unis, qui ont boycotté l’accord de Kyoto en 1997 et la Chine, qui refusait l’imposition d’un « pic de carbone » identique pour les pays les plus avancés et les pays en développement lors de la COP de Copenhague en 2009, ont participé activement aux négociations. Aussi pour la première fois, un accord de ce genre est le symbole que le monde entier a pris conscience du réchauffement climatique. Il crée ainsi un sentiment d’urgence à réagir à tous les niveaux et dans tous les pays.

Mais, il est encore trop tôt pour affirmer que la COP 21 à Paris est vraiment un accord « historique » parce que contrairement à son grand éclat diplomatique, ce que l’accord peut concrètement changer sur la catastrophique trajectoire d’un réchauffement climatique mondial est beaucoup moins clair.  Il faudrait attendre quelques années avant de pouvoir évaluer la crédibilité de la transformation de ces intentions politiques en engagements effectifs. Il est, à ce stade, essentiel de remettre en question de nombreux éléments qui n’ont pas été abordés dans l’accord de Paris et / ou qui risquent de provoquer des faux semblants.

 

Objectif de « – 2 °C » : Quel futur pour les énergies fossiles ?

L’Article 2 de l’accord fixe comme objectif de limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à moins de 2°C au-dessus des niveaux pré-industriels et poursuivre un effort de 1,5°C pour le long terme. Cela implique une nécessité de basculer vers des sources d’énergie non carbonées en remplaçant une grande partie du charbon (l’énergie fossile la plus émettrice de CO2), du pétrole et du gaz naturel. Est-ce si évident ?

Dans le rapport annuel de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) 2015, pétrole, charbon et gaz naturel constituent plus de 80 % de nos consommations énergétiques actuelles. L’AIE construit aussi différents scénarios du bilan énergétique mondial dans les 20, 30 ou 50 prochaines années. Dans le scénario de référence, qui correspond à une situation dans laquelle aucun changement fondamental ne sera effectué a partir de 2015, nos consommations énergétiques augmenteraient de 45 % en 2040 et les combustibles fossiles constitueraient toujours près de 80 % de notre consommation. Cette évolution serait tout simplement insoutenable si l’on prend en compte l’impact sur le changement climatique, dû à des gaz à effet de serre émis par des combustibles fossiles. Dans le scénario « New Policies » où certaines politiques climatiques seraient mises en place (post-Cop21)[1], la consommation mondiale de ces ressources d’énergie ne change guère face à une croissance fulgurante de la population mondiale et de la demande des pays émergents. Seulement dans le scenario « 450 ppm »[2], la part des énergies fossiles diminue à 60 % avec une réduction importance de la consommation du charbon.

 

Figure 1.Bilan énergétique mondial

Sources : Auteur, basé sur les données de l’AIE (2015) et BSI Economics

 

Diviser par deux la part de la consommation mondiale du charbon : mission possible ?

La réponse à cette question est bien incertaine car elle dépendrait de la bonne volonté de chaque pays-consommateur qui diffère d’un pays à un autre. Il est d’autant plus difficile d’atteindre cet objectif dans un monde où l’acte de polluer est pratiquement gratuit et où les subventions aux énergies fossiles furent abondantes – des problèmes sur lesquels nous reviendrons plus tard.

Le charbon aujourd’hui assure 29 % de la consommation globale et 41 % de la production d’électricité mondiale. Les cinq plus grands consommateurs de charbon (Chine, États-Unis, Inde, Union Européenne, et Japon) représentent 82 % de la consommation globale. La Chine, dont la demande du charbon constitue la moitié de la demande mondiale, prévoit une réduction de 55 % de la part de charbon dans son mix énergétique en 2030 (National Energy Administration (NEA), 2015). Si la diminution de la dépendance de l’économie chinoise vis-à-vis de cette énergie est essentielle pour la donne climatique mondiale, il convient de noter que la demande chinoise de charbon devrait atteindre un niveau légèrement inferieur à son niveau actuel et non un déclin rapide de cette consommation (Cornot-Gandolphe [2016]).

Aux États-Unis, la révolution des gaz de schiste depuis ces dernières années permet la substitution du charbon par le gaz dans le mix énergétique du pays. Si cette réduction de demande signifie une diminution importante de la consommation mondiale du charbon, elle a conduit en même temps à une baisse significative des prix de cette énergie, qui a, à son tour, provoqué une courte « renaissance du charbon » en Europe. En Allemagne par exemple, malgré l’objectif de réduire le part de charbon par un développement massif des énergies renouvelables, la consommation du charbon reste quasi stable pendant ces dernières années. Il semble que le charbon serait toujours une composante significative du bilan énergétique du pays, face à un prix trois fois moins cher que le gaz naturel.

À ces trois contributions majeures (la Chine, les États-Unis et l’UE) s’ajoute celle de l’Inde, 3e consommateur mondial de charbon et 4e émetteur mondial de gaz à effet de serre. En Inde, comme dans beaucoup de pays émergents, malgré des objectifs ambitieux de développement des énergies renouvelables, la consommation du charbon devrait connaître une croissance importante sous l’effet du développement économique et social, ainsi que de l’urbanisation et de l’industrialisation du pays.

Au Japon, le charbon a connu une hausse majeure suite à la catastrophe de Fukushima, quand le pays a eu recours à toutes les énergies fossiles pour remplacer l’arrêt de ses centrales nucléaires, qui assuraient 30 % du mix électrique en 2010. Il convient ainsi de souligner que cette hausse continuerait de l’emporter car le charbon est considéré indispensable à la sécurité de l’approvisionnement du pays. La politique du Japon vis-à-vis de cette énergie prévoit un soutien important aux projets de financement de nouvelles centrales qui s’étendent à pratiquement tous les pays de l’ASEAN.

 

Chute du prix de pétrole : Une ère nouvelle d’abondance pétrolière ?

Contrairement aux prévisions de beaucoup de spécialistes, le prix du baril de pétrole a plongé autour de 30 dollars les derniers jours de Janvier 2016, soit un niveau le plus bas depuis la crise financière mondiale en 2008. Cette baisse spectaculaire du prix s’est traduite par une offre abondante venant des pétroles de schiste américains et par une faible demande dans de nombreux pays de l’OCDE, particulièrement l’UE et le Japon (les pays émergents, notamment la Chine, connaissent eux-aussi un ralentissement de la demande). À la complexité de ces nouvelles configurations du marché, s’ajoutent encore des enjeux politiques, géopolitiques et commerciaux des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et plus particulièrement de l’Arabie saoudite. En effet, certains analystes jugent que la décision de maintenir leur production à un niveau stable et de ne pas enrayer la chute des prix est probablement un pari de l’Arabie saoudite afin d’éliminer les investissements dans les unités les plus coûteuses sur le marché pétrolier, avec en premier lieu les pétroles de schistes américains, qui nécessitent aujourd’hui un prix entre 45 et 75 dollars pour être rentables (Aoun, M-C. [2015]). Mais il s’avère que les pétroles de schistes sont bien plus résistants que prévu grâce à des progrès techniques qui permettent des gains de productivité continus depuis des décennies.

L’évolution des prix de pétrole dans les années qui viennent est ainsi difficile à prévoir. L’incertitude domine sur ce marché, tant du côte de l’offre que la demande, à quoi s’ajoutent le pouvoir de marché et l’enjeu politique des pays producteurs de pétrole, ceux qui, sans surprise, sont les derniers à s’engager dans la lutte contre les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique. Ce qui est certain est que si une offre surabondante est encore persistante à court terme, comme confirme l’AIE, il sera difficile d’exalter les moyens de transports moins polluants tant que le prix de l’essence arrange le consommateur. Si, par hypothèse, le prix moyen du pétrole s’établissait à 50 dollars jusqu’en 2020, l’objectif de réduction de la consommation d’énergies fossiles serait plus difficile encore à atteindre sur cette demi-décennie, d’autant plus que le prix de pétrole dirige les prix des autres matières premières, comme ceux du gaz et du charbon. Les incertitudes sur les prix des énergies carbonées ne faciliteront pas le calcul économique sur les investissements dans les filières énergétiques – des dizaines de milliers de milliards de dollars pour espérer inverser la courbe des émissions de CO2.

 

Tarification du carbone : encore un long chemin à parcourir ?

Si réduire radicalement la consommation du charbon et du pétrole dans la prochaine décennie demeure illusoire comme le montre l’analyse ci-dessous, l’effondrement du marché des quotas de CO2 de longue durée et la contre-volonté des dirigeants pour le sauver donnent encore moins d’espoir pour une réduction des énergies polluantes.

 

Figure 2. L’évolution du prix des quotas de CO2 Européens (2009 – 2015)

 

Sources : Auteur, European Energy Exchange et BSI Economics

 

Le prix de carbone en Europe – « le frais de pollution » – a réduit depuis 2009 jusqu’à un niveau ridiculement bas sous les forces à la fois économiques et politiques : 0,2 €/tonne de CO2 en 2009 par comparaison avec l’ancienne référence de 25 € (moyen 2005 – 2008). Si les prix de carbone s’établissent à environ 7 €/t en 2015, un niveau supérieur à 30 €/t serait nécessaire pour favoriser la substitution du charbon par le gaz aux prix actuels des énergies (Cornot-Gandolphe [2016]). L’usage de l’atmosphère est donc pratiquement gratuit, sans mentionner les subventions abondantes aux énergies fossiles dans le monde entier. En 2008 par exemple, 550 milliards de dollars ont été consacrés à subventionner l’usage des énergies fossiles, soit des budgets douze fois plus importants que le soutien apporté aux énergies renouvelables (AIE [2009]). Pour résumer cette scène dans quelques mots simples : nous sommes en train de, au lieu de les faire payer, subventionner les pollueurs !

Devant les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des marchés de quotas, des économistes (Stiglitz,Stoft) ont recommandé d’organiser la négociation entre pays sur le prix du carbone et non plus sur les plafonds d’émission. Dans le rapport récent de De Perthuis et. al. (2015) de la Chaire Économie du Climat, les auteurs soulignent l’importance de mettre un terme à la fragmentation des marchés de quotas de CO2 dans le monde et d’introduire un mécanisme de « bonus – malus » carbone international qui, en principe, vise à faire payer (à une vraie valeur) ceux qui polluent et récompenser ceux qui ne polluent pas. La proposition paraît assez simple pour rendre encore atteignable l’objectif de réduction de réchauffement moyen inferieur à 2° C. L’accord de Paris aurait été un grand succès s’il avait ouvert les voies de progrès décisifs dans cette direction.

 

Et les 100 milliards de dollars par an vers les pays du tiers monde ?

Si le protocole de Kyoto ne limitait les engagements de réduction d’émission qu’aux pays industrialisés, l’accord de Paris a réussi à lier l’ensemble des pays dans le système d’engagements sous l’égide des Nations Unies. La vision surannée de « l’époque Kyoto »  n’est plus crédible dans une nouvelle donne où l’émission de CO2 par tête en Chine est aussi importante que celle de l’Europe et des Etats-Unis et où le changement climatique ignore les frontières. L’accord de Paris vise ainsi à résoudre la dilemme entre les pays émergents qui, d’un côté, auront soif d’énergie pour leur expansion démographique, la croissance économique et la création de richesses et les pays développés qui, d’un autre côté, défendent leurs richesses, leurs intérêts et ne sont pas prêts à renoncer à leur confort.

L’article 9 de l’accord prévoit ainsi que les pays riches s’engagent à transférer 100 milliards de dollars aux pays moins avancés à compter de 2020 pour financer leur réduction des émissions. Cette somme est bien prometteuse certes, mais rien n’est précis dans les 31 pages sur la nature de ce financement. On ne sait pas s’il s’agit des prêts ou des dons, s’il y aura un taux d’intérêt qui sera appliqué, s’il s’agit de l’argent public ou aussi des investissements privés, s’il y aura une contrainte en cas de non-paiement… Et, au delà de cette fameuse somme de 100 milliards de dollars (qui avait été promise depuis 2009 lors de la conférence de Copenhague mais qui semble,  à ce jour, loin d’être réunie), la vraie question à se poser serait quelles sont les perspectives à long terme ? 100 milliards de dollars par an pendant une décennie paraît peu couteux si cela pourrait sauver notre planète (par comparaison avec les subventions aux énergies fossiles par an), mais s’il ne le peut pas, jusqu’à quand ce flux financier pourrait encore être garanti ? Il est donc essentiel de trouver un mécanisme qui fonctionne à long terme.

Une grande partie de la solution est liée au mécanisme de la tarification mondiale par un bonus-malus proposé par De Perthuis et al. (2015). Selon la logique de ce mécanisme,  les pays ayant un niveau d’émission supérieur à la moyenne des émissions par habitant auraient une dette à l’égard de la collectivité et les pays ayant un niveau d’émission par habitant inferieur à la moyenne auraient une créance. Ainsi, les auteurs estiment qu’avec un prix de 1 $/tonne de CO2, plus de 10 milliards de dollars par an seraient transférés vers les pays les moins avancés et qu’un prix de 7 $/tonne de CO2 financerait des transferts annuels de 100 milliards – le montant qui correspond à la promesse de transferts financiers de l’accord de Paris.

 

Conclusion

L’accord de Paris 2015 a réussi à lier l’ensemble des pays dans le système d’engagements avec des objectifs encourageants. Néanmoins, il n’en reste pas moins que des illusions subsistent. L’objectif de limiter l’augmentation de la température globale à moins de 2°C nécessite une diminution radicale de la consommation des énergies fossiles. Or, il est illusoire de penser que le charbon va disparaître rapidement du mix énergétique mondial dans les prochaines décennies, encore moins pour le pétrole, d’autant plus que la chute de prix du pétrole ne facilite pas la mission. L’objectif de l’accord de Paris serait encore atteignable avec un mécanisme de prix international du carbone, qui permettrait aussi de crédibiliser la promesse de transférer une valeur plancher de 100 milliards de dollars par an vers les pays moins avancés. Or, cela n’a pas été abordé suffisamment.

L’accord de Paris ouvre un agenda officiel et universel pour le climat et l’environnement. Il contribue à légitimer très largement les mobilisations pour la lutte contre changement climatique. Il ne repose que sur la bonne volonté des pays certes, il faudrait donc créer des incitations pour promouvoir cette bonne volonté. Autrement, dans 10 ans, nous serons toujours en train d’attendre un autre Accord « historique » qui permettrait de régler tous les problèmes.

 

Référence

AIE (2009, 2015) World Energy Outlook, International Energy Agency.

Aoun, M-C. (2015), Une ère nouvelle d’abondance pétrolière?, IFRI, Politique étrangère, 4 :2015.

Cornot-Gandolphe, S. (2016),COP21 : Haro sur le charbon, Note de l’IFRI, Janvier 2016.

Crampton, P., A.Ockenfels and Steven Stoft, (2015), An International Carbon-Price Commitment Promotes Cooperation, Economics of Energy and Environmental Policy 4.

DePerthuis, C., Jouvet, P-A., Trotignon, R. (2015), Prix du carbone :Les pistes pour l’après COP-21, Policy Brief, Chaire Économie du Climat, Novembre 2015.

National Energy Administration (NEA), 2015, China’s Coal Supply and Future Development.

Stiglitz, R., (2015), Overcoming the Copenhagen Failure with Flexible Commitments, Economics of Energy and Environmental Policy 4.

 

Notes

[1]Le scenario « New Policies » tient compte des engagements politiques et des plans qui ont été annoncés par les pays, y compris les engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, même si les mesures pour mettre en œuvre ces engagements doivent encore être identifiées ou annoncées.

[2]Le scenario 450 ppm établit un bilan énergétique compatible avec l’objectif de limiter la hausse globale de la température à 2° C en limitant la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère à environ 450 parties par million de CO2.