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L’épargne des ménages français comme levier de relance post-Covid 19 ? (Note)

Utilité de l’article : Fin 2021, l’épargne des ménages français aura atteint un montant une fois et demie supérieur au plan de relance gouvernemental amorcé depuis le début de la crise sanitaire. Cette accumulation de thésaurisation est un enjeu politique majeur pour venir compléter les aides d’État en vue d’une relance post-Covid 19 davantage ancrée dans les territoires.

 

Résumé :

  • Un excédent d’épargne peut à court terme être bénéfique à une économie là où à moyen terme elle peut ouvrir une brèche à d’importants déséquilibres macroéconomiques ;
  • Les asymétries d’information génèrent un large écart entre investisseurs institutionnels et les épargnants qui agissent pour leur compte propre ;
  • Le contexte sanitaire actuel est une opportunité unique de stimuler l’investissement en réduisant ces disparités, notamment grâce à une information financière plus accessible et diffusée massivement.

 

 

Depuis mars 2020, l’État français a dû consentir à un endettement sans précédent pour absorber le choc économique de la crise sanitaire. Dans ce contexte, la réorientation de l’épargne des ménages devient un axe stratégique majeur pour stimuler le développement économique.

 

1) Une épargne excédentaire est-elle salutaire ou néfaste à l’économie ?

Traiter la thématique de l’épargne des ménages nous oblige à distinguer d’emblée les deux formes principales que celle-ci peut prendre dans une économie (hors épargne immobilière qui ne sera pas abordée ici). Si l’épargne « liquide » inclut les ressources disponibles utilisées au quotidien comme les comptes courants ou les comptes sur livrets, l’épargne « financière » permet quant à elle de faire fructifier des capitaux à travers la réalisation de plus-values, notamment par la détention des contrats d’assurance vie ou de comptes-titres, permettant d’investir dans des valeurs mobilières. La somme de ces deux types d’épargne est alors communément appelée « patrimoine financier brut » des ménages.

Malgré de nombreuses disparités au niveau microéconomique[1], le patrimoine financier brut des ménages français est globalement en forte hausse depuis le début de la crise sanitaire. Ainsi, le taux d’épargne aurait atteint 21,3 % des revenus disponibles au cours de l’année 2020 (Insee, 2021), un niveau jamais égalé en France depuis 1975.

Bien que le solde des comptes sur livrets ait augmenté de 2,5 % lors du premier confinement, le graphique 1 indique que les avoirs en comptes-titres et en assurance vie ont quant à eux diminué temporairement en mars pour ensuite repartir à la hausse et dépasser en décembre 2020 leurs niveaux de février de la même année. De plus, la Banque de France (2021) anticipe un excédent d’épargne de 165 milliards d’euros d’ici fin 2021, soit plus d’une fois et demie le plan de relance actuellement mis en place par le gouvernement pour soutenir l’économie française. Dans la perspective de favoriser la reprise économique post-Covid 19, il est donc légitime de se demander si cette épargne excédentaire est salutaire ou, au contraire, néfaste au dynamisme économique d’un pays comme la France.

 

Graphique 1– Évolution du patrimoine financier brut des ménages et de ses composantes (France, 2019-2020). Note : Échantillonnage à partir de données anonymisées Crédit Mutuel Alliance Fédérale, calculs Insee. Les zones grisées représentent les périodes de confinement (source : Insee, 2021).

Sur le plan théorique, un excédent d’épargne s’inscrit généralement dans des courants de pensée pessimistes. Premièrement, car une épargne excessive altérerait le rythme de reprise économique en raison d’une insuffisance structurelle de la demande et d’opportunités d’investissement en deçà des fonds disponibles. Deuxièmement, parce que l’épargne se concentre en moyenne davantage dans les catégories socioprofessionnelles les plus aisées ce qui, in fine, peut conduire à une explosion des inégalités.

Par ailleurs, une épargne qui dépasse fortement l’investissement a potentiellement un impact négatif sur la demande globale d’une économie qui voit alors planer la menace d’une stagnation séculaire sur ses prévisions conjoncturelles. Accompagné de politiques de taux d’intérêt bas, ce contexte peut cependant être favorable à la hausse de l’endettement de l’État sans pour autant nuire à sa solvabilité.

Sans négliger les volumes d’épargne accumulés par les ménages, un autre aspect crucial à prendre en compte est le décalage entre la structure de l’épargne et celle des opportunités d’investissement inhérentes à l’activité économique. En cas de récession, si les épargnants se dirigent prioritairement vers des titres de dette obligataire – car considérés comme plus sûrs – plutôt que vers des titres de propriété, cela peut in fine fragiliser une économie en l’exposant davantage à un processus cumulatif de faillites de firmes en carence de fonds propres (Davanne, 2016).

Enfin, les pays courent également le risque d’investir une trop grande partie de leur épargne à l’étranger alors que des besoins d’investissement urgents se font sentir sur le plan intérieur (Kaufman & Leigh, 2020). Toute la difficulté consiste alors à déterminer quand ces déséquilibres macroéconomiques deviennent excessifs et, le cas échéant, quels sont les canaux de fléchage les plus appropriés pour réorienter le patrimoine financier brut national vers les dépenses intérieures de consommation et d’investissement.

 

2) L’absence de financement cible

Lorsqu’ils souhaitent faire fructifier leur épargne, la plupart des ménages français se tournent vers les services d’intermédiaires financiers à qui ils confient la responsabilité d’optimiser leur portefeuille d’actifs après s’être accordés sur un degré d’exposition au risque. Ce phénomène cache cependant une tendance de fond : l’allocation finale de l’épargne ne semble pas être une priorité ultime pour bon nombre de ménages qui, avant tout, se concentrent sur son usage futur et sur le triptyque liquidité – rentabilité – risque (Séjourné, 2014).

Cette absence de financement cible s’explique notamment par une mauvaise connaissance des placements financiers de la part des épargnants français qui pousse une majorité d’entre eux à externaliser la gestion de leurs placements vers des investisseurs institutionnels. En résulte alors un écart grandissant entre, d’une part, ces investisseurs disposant d’une large surface financière et, d’autre part, les épargnants agissant pour leur compte propre.

La capacité des investisseurs à lutter contre l’asymétrie d’information inhérente aux actifs financiers est donc capitale dans l’explication de cette dissemblance ; les informations financières ciblant in fine les acteurs en mesure de les traiter et susceptible de souscrire à un volume important de produits d’investissement. Ainsi, le coût d’entrée sur le marché des placements s’avère souvent être dissuasif pour des épargnants agissant pour leur compte propre qui, face au caractère très irrégulier de leurs rendements, sont tentés de s’en remettre aux experts du secteur.

Ainsi, le contexte sanitaire actuel est une véritable opportunité de réduire ces disparités en promouvant une information financière plus accessible et diffusée massivement. Dans un pays au ralenti qui a vu se constituer des niveaux records d’épargne et d’endettement public depuis mars 2020, l’épargne des ménages est un axe stratégique dans l’équation complexe d’une relance post-Covid. De plus, ce levier d’action est renforcé par une opinion publique de plus en plus acquise à la cause d’un développement territorial fort permettant à l’économie française de gagner en résilience en remettant le TPE et PME sur le devant de la scène économique[2].

Par conséquent, il est primordial d’imaginer de nouveaux dispositifs qui permettent d’utiliser une partie du potentiel d’épargne pour la flécher vers les entreprises françaises qui font la vitalité économique du pays. A n’en pas douter, le succès de cette opération dépendra de l’aptitude de la puissance publique et du secteur bancaire à collaborer pour, ensemble, orienter les épargnants vers un financement cible de moyen terme vers les entreprises. Aussi, l’intégration de critères environnementaux et sociaux sont un moyen de renforcer l’attrait pour ces produits fléchés à l’heure où défis écologiques et inégalités se tiennent tête dans les débats politiques.

 

3) Intégrer l’épargne des ménages français à la relance post-Covid 19 : quels leviers d’action ?

Face au besoin de transparence induit par le fléchage de l’épargne des ménages, le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance a inauguré en octobre dernier le label « Relance » dédié à une meilleure identification des placements qui soutiennent en priorité les fonds propres et quasi-fonds propres des PME ET ETI françaises. Ainsi, le but avéré de cette initiative est la mise en place d’une Charte d’éligibilité qui facilite la transmission d’informations entre organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et également les ménages détenteurs d’excédents d’épargne. Cette Charte inclut également des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise (démarche ESG) édictés pour guider la politique d’investissement et d’engagement actionnarial des fonds labellisés qui, dans ce cadre, sont soumis à un reporting semestriel (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, 2021).

Soucieux de rendre ce projet rapidement opérationnel, le Ministère a ainsi opté pour une procédure d’application accélérée où les sociétés concernées s’auto-attribuent dans un premier temps le label. Ensuite, Bercy dispose d’un délai maximum de trois semaines pour rejeter une labellisation qui ne rentrerait pas dans les clous. Parallèlement à ce dispositif, Bpifrance s’engage à garantir jusqu’à un milliard d’euros de financement en fonds propres (ou quasi-fonds propres) sur des fonds investis prioritairement dans des PME et ETI non cotées en France. En pratique, les fonds labellisés sont accessibles via l’assurance-vie en unités de compte, les plans d’épargne en actions (PEA), les plans d’épargne retraite (PER) ou encore les plans d’épargne entreprise (PEE).

Dans la même lignée, le « PEA-PME » est un dispositif fiscal peu connu permettant d’ouvrir un plan d’épargne en actions destiné au financement des PME et ETI auprès d’un établissement de crédit. Ce plan donne lieu à l’ouverture d’un compte-titres ou à la signature d’un contrat de capitalisation pour les plans ouverts auprès d’une entreprise d’assurance.

En tant que produits peu complexes et transparents, les prêts participatifs sont également des véhicules pertinents pour intégrer l’épargne des ménages aux fonds propres de PME françaises par l’intermédiaire des acteurs institutionnels et des banques. A mi-chemin entre le prêt à terme et la prise de participation au capital d’une entreprise, ces prêts offrent une maturité de financement de huit ans et prévoient que les firmes concernées ne remboursent les fonds qu’au bout de quatre années afin de leur laisser le temps de récolter les fruits de leurs investissements. Ainsi, les PME et ETI françaises ont entre avril 2021 et juin 2022 pour saisir la balle en vol en contractant ce type de prêts participatifs récemment autorisés par la Commission européenne.

Enfin, au niveau régional, plusieurs initiatives relayant l’état d’esprit du label « Relance », du dispositif « PEA-PME » ou encore des prêts participatifs sont à l’œuvre. A titre d’exemple, le plan « Épargne Occitanie » vient de voir récemment le jour pour permettre aux ménages du Grand Sud-Ouest français d’investir directement dans des entreprises proches de chez eux. Dans ce cadre, la Région Occitanie s’est associée à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) et à une plateforme toulousaine de financement participatif pour aider les entreprises dont le siège social est situé en Occitanie à augmenter leur capital ou à souscrire rapidement une dette sous forme d’obligations ou de titres participatifs pour faire face aux difficultés financières engendrées par la crise sanitaire. Fortement ancré sur le territoire occitan, ce plan présente également l’avantage de permettre aux individus d’abonder dès cent euros en échange d’un rendement annoncé aux alentours de 5 %.

L’intégration de plans de relance spécifiquement dédiés aux épargnants semble donc être mise en place à différentes échelles territoriales afin que chaque ménage puisse trouver un produit d’investissement qui corresponde à ses aspirations. La communication et la promotion faites autour de ces produits seront également déterminantes dans leur diffusion à grande échelle.

 

Conclusion

Malgré un soutien massif de la Banque Centrale Européenne (BCE), l’État français a dû consentir à un endettement sans précédent depuis mars 2020 pour absorber le choc économique de la crise sanitaire. Dans ce contexte, la réorientation de l’épargne des ménages – et, plus particulièrement, celle qui s’est accumulée sur les livrets réglementés – est devenue un axe stratégique pour stimuler un développement économique qui s’appuie sur les TPE et PME à fort ancrage territorial.

Dans un environnement de taux d’intérêt bas, les produits d’investissement spécifiquement dédiés à ce type d’entreprises pourraient « faire mouche ». Mais le succès de cette opération réside dans la capacité des pouvoirs publics à proposer des produits transparents, faciles d’accès et qui embrassent la diversité de profils que comportent les ménages français, notamment dans leur arbitrage entre risque, rendement et liquidité. Dans cet effort, enfin, une articulation fluide entre politiques locales, régionales et nationales serait décisive.

 

Bibliographie

Banque de France (2020). « Les TPE – PME en France ». Accompagnement des entreprises.

Banque de France (2021). « Projections macroéconomiques – Mars 2021 ». Prévisions économiques.

Bounie D., Y. Camara, É. Fize, J. Galbraith, C. Landais, C. Lavest, T. Pazem et B. Savatier (2020). « Dynamiques de consommation dans la crise : les enseignements en temps réel des données bancaires », Focus du CAE, n° 049-2020, octobre.

Davanne, O. (2016). « Il n’y a pas trop d’épargne, seulement de mauvaises politiques économiques », Revue d’économie financière, 2016/3 (n° 123), pp. 61-78.

Fize E., Landais C., Lavest C. (2021). « Consommation, épargne et fragilités financières pendant la crise Covid ». CAE, focus 054 -2021.

Givord P.,  Silhol  C. (2020). « Confinement : des conséquences économiques inégales selon les ménages ». Insee Première 1822.

Kaufman M. & Leigh D. (2020). « Déséquilibres de l’économie mondiale et crise de la COVID-19 ». IMF Blogs – www.imf.org/fr/News/Articles/2020/08/04/blog-global-rebalancing-and-the-covid19-crisis.

Insee (2021). « Un an après… », Note de conjoncture, 11 mars 2021.

Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance (2021). « Présentation du label « Relance » : orienter l’épargne vers le financement de long terme des entreprises françaises ». Rédigé par DG Trésor.

Séjourné, B. (2014). « Quelle maîtrise les ménages ont-ils de leur épargne ? », Revue Projet, vol. 343, no. 6, pp. 19-26.

 


[1]En France, selon l’Insee (2021), artisans, commerçants et salariés du secteur privé auraient connu en 2020 une baisse plus élevée de leurs revenus, engendrant un excédent d’épargne plus faible pour ces catégories de ménages actifs. Aussi, le patrimoine financier des ménages plus jeunes a en moyenne moins augmenté que celui des ménages dont la personne de référence a plus de 40 ans. Enfin, les 25 % des ménages les plus aisés ont quant à eux épargné en moyenne plus de 10 000 euros, là où les 25 % les plus pauvres n’ont mis de côté que 218 euros.

[2]A noter que les TPE et PME représentant 99 % des entreprises françaises et emploient 49 % des salariés sur tout le territoire (Banque de France, 2020).