Résumé :
- L’EPU des Etats Unis utilise l’occurrence du nombre d’articles traitant d’incertitude économique dans la presse (News Index), les dispositions fiscales et les écarts de prévisions des économistes. L’indicateur France utilise uniquement le News Index pour mesurer l’incertitude de politique économique.
- La France est le pays européen ou l’incertitude est en moyenne la plus élevée en Europe depuis le déclenchement de la crise financière.
- La construction de l’indicateur français présente des limites.
- Le CAC 40 et le taux d’intérêt souverain peuvent refléter l’incertitude de la France. Mais le lien de causalité entre l’incertitude et ces variables n’est pas avéré.
Nous avons vu dans un précédent article que l’EPU (Economic Policy Uncertainty) mesure l’incertitude de politique économique sous forme d’indice grâceà trois éléments : l’occurrence du nombre d’articles parus dans la presse (News Index), des dispositions fiscales et des écarts de prévision. La politique économique peut se définir comme l’ensemble des interventions des administrations publiques (Etat, instances supranationales, les collectivités territoriales voire les Banques centrales) sur l’activité économique pour atteindre des objectifs de croissance et d’emploi.
L’indicateur France utilise uniquement le News Index et depuis 2007, celui-ci montre des niveaux d’incertitude en moyenne plus élevés que dans les autres Etats européens. Comment est mesurée cette incertitude et quelles sont les pistes susceptibles d’améliorer l’indicateur ? Pour répondre à cette question, nous présenterons l’indicateur français, ses limites et les raisons possibles d’une incertitude élevée en France, avant de proposer des pistes potentielles pour mieux visualiser et estimer les niveaux d’incertitude de politique économique.
1. L’indicateur français : Le news index
Les indicateurs européens utilisent seulement le « News Index » dans la mesure d’incertitude économique. En France cet indicateur réunit les journaux Le Monde et Le Figaro pour quantifier l’incertitude de politique économique. Le News Index correspond au compte du nombre d’articles publiés par mois dans chaque journal, dans lesquels apparait une combinaison des mots clés : « incertain », « incertitude » avec « économie », « économique » ainsi qu’un ou plusieurs termes politiques relatifs à l’incertitude politique. On normalise les séries mensuelles provenant des journaux de sorte à ce qu’elles aient un écart-type égal à 1 avant 2011, et on effectue une moyenne des différents journaux pour chaque mois, pour obtenir des indicateurs EPU à l’échelle européenne et à l’échelle nationale. On normalise ces indicateurs EPU avant 2011 de sorte à ce que leur moyenne soit égale à 100.
2. Le News Index : une mesure imparfaite de l’incertitude économique
L’indicateur français n’utilise que deux journaux pour établir une mesure de l’incertitude, quand l’indice des Etats-Unis en utilise 10[1]. Mais le News Index français a également des limites spécifiques. Il n’utilise pas de journal consacré à l’économie, à l’inverse des indicateurs allemand et anglais (le Handelsblatt et le Financial Times). De plus, le Figaro est un journal dit de « droite », le nombre d’articles négatifs sur la politique économique depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande en 2012, pourrait avoir été plus important que dans un journal réputé neutre, sans encartage politique. Le niveau d’incertitude pourrait être artificiellement élevé en France par l’emploi de termes, de mots négatifs, dû à un certain pessimisme français. La France se classe régulièrement dans le bas de tableau des classements sur la confiance ou l’optimisme. Nous pouvons prendre l’exemple de l’enquête internationale «End of Year» 2015 réalisée par BVA en collaboration avec le réseau WIN Gallup[2] menée dans 65 pays. La France se classe 63ème en termes de confiance dans l’avenir économique. Un manque d’optimisme qui pourrait se traduire par davantage d’articles négatifs sur la situation économique.
Le graphique ci dessus montre que c’est à partir de 2007 que le niveau d’incertitude moyen de la France est supérieur aux autres pays. Sur la période juillet 2007 jusqu’à août 2015, l’indice France a été en moyenne supérieur de 47 points à l’indice Europe, 63 avec l’Allemagne et 89 avec l’Italie. L’incertitude française a atteint son pic de 380,2 en juin 2012 avant d’entamer un reflux pour s’établir à 171,7 en aout 2015.
Outre les limites, présentées ci-dessus, qui peuvent biaiser la mesure, plusieurs facteurs pourraient expliquer ce niveau élevé. La crise et sa gestion par les gouvernements français pourraient être une cause de cette incertitude. La faiblesse du plan de relance (1,4 % du PIB, contre 3,1 % pour l’Allemagne et 6,0 % pour les Etats Unis) et les reports d’objectif de réduction des déficits ont pu faire douter de la capacité de la France à sortir de la récession. L’économie française a reculé de 2,9 % en 2009 avant de croitre à nouveau en 2010 et 2011 de respectivement 2,0 % et 2,1 %[3]. Elle a ensuite stagné depuis 2012 avec une croissance moyenne de 0,3 % de 2012 à 2014. Cependant, l’Italie et l’Espagne affichent des taux de croissance moyen de respectivement -1,7 % et -1,0 % sur la même période, contredisant ainsi l’argument de la faiblesse de la croissance pour expliquer le niveau supérieur d’incertitude en France. Le différentiel d’incertitude pourrait donc venir des moyens et non des résultats de politiques économiques. La France a eu des difficultés pour mettre en place des réformes de grande envergure. La future réforme du code du travail qui exclut d’office la modification du temps de travail, le Smic et le contrat de travail en est un exemple. De plus, l’utilisation du 49.3 pour faire adopter la loi « Macron » témoigne de l’incertitude autour du vote des réformes proposées par le gouvernement. Cette difficulté à réformer ne joue pas en faveur d’une meilleure visibilité à moyen terme.
3. Les pistes potentielles d’améliorations de la mesure de l’incertitude, le cas de la France
Nous présenterons deux types de solutions susceptibles d’aider à mieux « visualiser » l’incertitude économique et à la quantifier. Le premier type de solution consiste à améliorer le modèle existant de l’indicateur de la France. Le deuxième propose d’utiliser le cours du CAC 40 et le taux souverain français à 10 ans pour comprendre le lien entre l’incertitude et la dynamique économique.
3.1 Améliorations de la construction de l’indicateur France
La première piste évidente serait d’augmenter le nombre de journaux utilisés pour le calcul du news Index. Ainsi la mesure serait plus robuste car il atténuerait les biais de non représentativité et d’encartage politique. De plus, l’indicateur français pourrait inclure « Les Echos » pour mesurer l’occurrence d’articles traitant d’incertitude de politique économique car celui-ci est consacré presqu’exclusivement à des sujets économiques et / ou politique.
La deuxième voie d’amélioration est l’ajout d’autres éléments en plus du News Index. L’indice américain se base sur trois éléments (voir article « L’incertitude économique : Un Indice pour la mesurer »). L’EPU France pourrait reprendre ces deux éléments. Le premier se basant sur un document qui rassemble les dispositions fiscales vouées à disparaitre dans les 10 ans à venir. On pourrait obtenir un élément similaire pour la France en calculant pour chaque année le montant net en euros des ajouts et/ou suppressions d’impôt en incluant les mesures fiscales temporaires ; tel que la contribution exceptionnelle des hauts revenus qui s’ajoute à l’impôt sur le revenu, en vigueur à partir de la déclaration 2015. Sa reconduction pour la déclaration 2016 n’a pas encore été décidée.Cet élément permettrait de recenser le nombre de dispositions amenées à changer et le montant de réductions ou de hausses d’impôt prévu pour l’année suivante.
Le dernier élément utilise les écarts de prévisions des économistes, pour la France on utilise les prévisions du « Consensus Economics»[4] sur l’inflation (IPC) et les déficits budgétaires. Cet élément pourrait être réintégré dans le calcul de l’incertitude, en ajoutant les écarts de prévisions sur le taux de croissance et / ou sur les indices PMI, très corrélés à la croissance. Des agrégats existants peuvent permettre d’affiner la mesure de l’incertitude ou simplement de compléter le News Index. Ceux-ci pourraient pondérer le News index en utilisant la même méthodologie[5] que l’indice EPU des Etats Unis.
3.2 Le cours de bourse, reflet de l’incertitude
L’indice EPU et / ou le News Index offre(nt) une mesure intéressante d’incertitude de politique économique. Toutefois, le CAC 40, bien qu’il soit sensible à des variables n’ayant que peu de rapport avec la politique économique en France, peut témoigner de l’incertitude économique ambiante.
Le scepticisme, ou la confiance, des investisseurs vis-à-vis de ce type d’évènement peuvent se répercuter sur le cours du CAC 40. En effet, les investisseurs, estimant que l’environnement politique et géopolitique peut avoir un impact sur l’économie, peuvent anticiper un faible potentiel de hausse des cours, ce qui se répercuterait sur le cours du CAC 40. Celui ci baisse en 2008 à cause de la crise financière, il va ensuite rester entre 3000 et 4000 points pendant la montée de l’incertitude avant d’entamer une baisseà partir de l’été 2012. Cette tendance à varier en sens opposé montre que l’indice boursier peut être un proxy pour l’incertitude en France, il pourrait donc appuyer le News index en pondérant la mesure de l’incertitude.
3.3 Le taux souverain
Dans un premier temps, les pays dits de la périphérie de la zone euro (Italie, Espagne, Portugal, Irlande et Grèce) ont été touchés par une forte hausse de leurs taux d’emprunt souverains. Dans ce cas de figure, les investisseurs, n’ayant que peu de visibilité sur la sortie de ces pays de la crise, ont diminué l’achat de dette périphérique ou ont exigé des primes de risque plus élevés sur ces titres, d’où l’envolée des taux. A partir de l’été 2012, la France a vu son taux d’emprunt baisser. Les investisseurs, rassurés entre autre par les actions de politique monétaire de la BCE, ont continué à acheter de la dette française. Les inquiétudes sur un éventuel défaut de l’Etat français sont retombées, ce qui semble correspondre à une baisse de l’incertitude économique.
Toutefois, il n’est pas possible d’affirmer que la baisse des taux provient exclusivement des annonces rassurantes des autorités publiques, car la France a toujours bénéficiait d’une qualité de signature supérieure. De plus, le trend de baisse des taux avait commencé avant le « whatever it takes » de Mario Draghi. Mais l’annonce de réduction du QE américain et de la « forward guidance[6] » sur la remontée des taux, suivi par l’annonce de l’assouplissement quantitatif de la BCE, semble avoir contribué à la hausse des marchés actions et à la baisse des taux obligataires.
Conclusion
La France semble présenter une incertitude plus élevée avec un News Index supérieur à ses partenaires européens. Les fondamentaux économiques peuvent expliquer en partie cette différence, mais des limites spécifiques au pays tendent à biaiser la mesure. Les journaux sélectionnés, les difficultés liées à la mise en place de réformes économiques, une croissance en berne, ont contribué à la montée de l’incertitude.
Le CAC 40 et le taux d’emprunt français peuvent traduire une incertitude économique et leurs variations pourraient être intégrées à l’EPU pour mieux pondérer la mesure d’incertitude. Le lien de causalité entre l’incertitude et ces agrégats n’est pas avéré entre ces indicateurs et le News index. On peut imaginer également utiliser les indices de confiance, de crédit ou les anticipations d’inflations pour compléter et pondérer l’EPU.
Références
Scott R. Baker, N. Bloom et Steven J. Davis (2012 et 2015): « Has Economic policy uncertainty hampered the recovery? » University of Chicago and Standford University
Scott R. Baker, N. Bloom et Steven J. Davis (2015): « Measuring Economic Policy Uncertainty » NBER Working papers series
Bloom Nicholas (2009): « Fluctuations in uncertainty » Standford University, NBER
[1] USA Today, the Miami Herald, the Chicago Tribune, the Washington Post, the Los Angeles Times, the Boston Globe, the San Francisco Chronicle, the Dallas Morning News, the Houston Chronicle, and the Wall Street Journal.
[2] Méthodologie complète et résultats sur http://www.wingia.com/web/files/news/204/file/204.pdf
[3] Source Insee, comptes nationaux en volume base 2010
[4] Consensus Economics est une entreprise internationale, qui réalise chaque mois des sondages sur de nombreuses indicateurs et agrégats économiques et financiers.
[5] Pour obtenir l’indice globalpondéré, il faut normaliser chaque l’élément par son propre écart type d’avant janvier 2012. On calcul ensuite la valeur moyenne de chaque élément en utilisant 1/2 on pour le News Index et 1/6 pour les trois autres mesures (l’indicateur des dispositions fiscales, et les écarts de prévisions sur l’IPC et de déficit budgétaire).Pour la France, ½ pour le News Index et ¼ pour les variations du CAC 40 et du taux souverain.
[6] Outil de communication quiconsiste à guider les anticipations des acteurs des marchés financierssur l’évolution des prix à moyen et long terme. Le passage à l’acte n’est pas obligatoire.