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Loi travail, flexibiliser, une fausse bonne idée ? (Note)

Résumé:
– La réforme du marché du travail (ou loi travail) a pour objectif d’améliorer le fonctionnement du marché du travail en favorisant l’embauche en CDI, dont les conditions et les coûts de licenciement seraient redéfinies, et en renforçant l’accès à la formation.
– Pour l’instant, la loi travail apparaît déséquilibrée, au détriment du volet de sécurisation des salariés, et à l’avantage du volet de flexibilité pour les entreprises.
– A court terme, le contexte macroéconomique en France et en Europe (croissance faible bien qu’en hausse et inflation quasiment nulle) n’est pas propice à ce type de réforme potentiellement récessive et déflationniste.
– A long terme, il n’est pas évident que la loi travail réduise le dualisme du marché du travail en France.
 
 
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Lors de son discours au Conseil Economique Social et Environnement du 18 janvier 2016, le Président de la République François Hollande avait annoncé qu’une réforme du code du travail serait bientôt entreprise. Porté par la ministre du travail Myriam El Khomri, le projet de loi a été présenté le 24 mars en conseil des ministres et affiche trois objectifs : favoriser l’embauche en CDI, faciliter l’accès à la formation et renforcer le dialogue social. 
 
Derrière chacun de ses objectifs, on trouve trois volants très structurants : donner aux entreprises la flexibilité nécessaire pour leur permettre de s’adapter aux évolutions économiques, sécuriser les parcours professionnels des salariés, ainsi que la refonte du fonctionnement de la règlementation du marché du travail.
 
1. Contenu et objectifs de la loi travail
 
La question du dialogue social et de l’inversion de la hiérarchie des normes ont fait l’objet d’un débat nourri avec l’adoption de la loi Rebsamen en juin 2015, et la sortie du rapport Combrexelles en septembre 2015 (deux rapports de Terra Nova et de l’Institut Montaigne ont également reçu un écho médiatique important). Quelques mois plus tard, les travaux de la commission Badinter (qui seront laissés de côté) avaient à nouveau mis sur la table le sujet d’une réécriture du code du travail. La loi travail souhaite non seulement laisser davantage de place à la négociation collective, mais également donner lieu à davantage d’accords négociés directement au niveau des entreprises. Cet objectif est appuyé par une hausse des temps accordés aux délégués syndicaux. Ces accords d’entreprises devront désormais être majoritaires (voire validés par référendum auprès des salariés au seuil de 30 % de majorité syndicale). 
 
En revanche, les éléments de la réforme El Khomri entourant les conditions et le coût des licenciements ont été amenés sans préalable. Bien qu’ils reprennent en partie des mesures mises en œuvre à l’étranger (critères des licenciements économiques en Espagne, barèmisation des indemnités en cas de licenciements abusifs en Italie), ils ont rapidement suscité l’opposition d’une partie de l’opinion. L’objectif de ces mesures était de donner davantage de visibilité aux TPE/PME (qui bénéficieront par ailleurs d’un service public de l’accès au droit) sur les conditions de licenciements économiques en clarifiant leurs critères et en encadrant les dédommagements en cas d’abus afin de stimuler l’embauche en CDI. En l’état actuel du texte, les critères de licenciement économique sont modulés (baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, de un à quatre trimestres consécutifs en fonction de la taille de l’entreprise), le périmètre de leur appréciation n’est pas national, et la barémisation a été maintenue à titre indicatif. 
 
En remodelant les conditions de licenciements des salariés en contrat permanent, le gouvernement espère que cela permettra à une plus grande partie de la population salariée d’y avoir accès. Le dualisme du marché du travail en France concentre la précarité sur certaines catégories de salariés qui ont peine à en sortir (peu qualifiés, jeunes).
 
Enfin, le compte personnel d’activité, dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2017, est le principal outil de sécurisation des parcours professionnels. Les salariés les moins qualifiés (notamment dans les plus petites entreprises) ont un moins bon accès à la formation et sont surreprésentés dans la population au chômage. Ses contours restent toutefois peu clairs. Alors que l’ensemble des droits sociaux et de protection sociale pourrait intégrer le CPA (compte personnel d’activité) à terme, il est surtout question pour le moment des droits à la formation et du compte de pénibilité, tandis que la question de la fongibilité de ces droits ne semble pas tranchée.
 
Outre ces trois axes de la réforme, la loi travail est également constituée d’éléments moins structurants pour le fonctionnement du marché du travail : pour les jeunes, notamment ceux qui ne sont ni en formation, ni en emploi, ni en étude, un accompagnement renforcé et une allocation sont prévues ; une négociation d’entreprise du droit à la déconnexion à partir de 2017 ; une protection allongée contre le licenciement au retour des congés de maternité, etc. 
 
Dans ces conditions, le projet de réforme du marché du travail en France apparaît toujours déséquilibré. Alors que les dispositions envisagées pour favoriser l’ajustement des entreprises à leur environnement économique sont très impactantes, les contreparties accordées aux salariés sont pour l’instant limitées et reposent avant tout sur l’espoir que la loi travail relancera l’emploi.
 
2. Un contexte macroéconomique difficile 
 
Au niveau européen, de nombreuses réformes du marché du travail ont été menées ces dernières années. La récente embellie économique dans la zone euro est l’occasion pour les soutiens de la loi travail de mettre en avant les effets bénéfiques de ces réformes chez nos partenaires européens, tandis que ses opposants y voient surtout le résultat de la faiblesse des taux d’intérêt, du taux de change de l’euro et des prix du pétrole, ainsi que de la détente des contraintes budgétaires. 
 
Force est de constater que la baisse du chômage est clairement enclenchée dans toutes les principales économies européennes (Italie, Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas)… à l’exception notable de la France. Si cette dynamique est plutôt inquiétante, la situation de la France n’est pas pour autant catastrophique en comparaison de celle de ses voisins. En Espagne et en Italie, le niveau du taux de chômage baisse mais reste supérieur à celui de l’économie française, alors que le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas présentaient déjà un niveau de chômage plus faible avant la crise. 
 
En termes d’activité, on n’observe pas de décrochage de la France. Sur la période 2007-2015, l’économie française a fait preuve de résistance et se situait 3 % au-dessus de son niveau du T1 2008 au T4 2015, contre -0,1 % pour la zone euro. Sur les deux dernières années, la France a certes enregistré un niveau de croissance inférieur à la zone euro, qui n’explique qu’en partie la persistance de son niveau élevé de chômage. Les mécanismes d’ajustement du marché du travail sont propres à chaque économie (nombre d’heures travaillées par personne, productivité, nombre d’emplois), et le redémarrage de la croissance est pour le moment moins riche en emplois en France.
Sur le plan macroéconomique, la conjonction de facteurs favorables (taux d’intérêt faibles, baisse progressive du niveau du taux de change, faiblesse du prix du pétrole) constitue un soutien de croissance indéniable, alors que la gestion de la demande globale est désormais clairement identifiée comme le principal frein à l’accélération de la croissance à court terme en Europe, et notamment dans la zone euro. En France, les principaux efforts de la politique économique se sont concentrés sur la restauration des marges des entreprises (CICE, pacte de responsabilité, mesures de suramortissement), en réponse à la déformation du partage de la valeur ajoutée. Cette  déformation s’est traduite par un affaiblissement critique de la profitabilité des entreprises dans certains secteurs durant la première phase de la crise. A l’inverse, les salaires (et le revenu disponible des ménages) avaient relativement mieux résisté. 
 
Dans un contexte de réduction des déficits publics, le financement de cette stratégie de soutien des entreprises s’effectue en partie au détriment des ménages (hausse de la fiscalité), et des administrations (baisse des dotations aux collectivités), dont les dépenses d’investissement reculent. Cet affaiblissement de la demande pèse actuellement sur la reprise à court terme. 
 
Sur ce point, une nouvelle déstabilisation de la demande privée constitue un vrai danger pour l’économie française. Alors que la croissance de l’économie française a péniblement dépassé 1 % en 2015 et que les attentes restent modérées pour 2016 (le FMI et le gouvernement prévoient 1,5 %), l’inflation reste également très faible. Dans ces conditions, un ajustement à la baisse de l’emploi (et des salaires) dans la foulée d’une réforme flexibilisante du marché du travail constituerait une menace pour l’activité économique à court terme. La recherche de la hausse de la croissance de la production potentielle s’effectue alors même que l’Europe entière (à l’exception de l’Allemagne) est en dessous de son niveau de production potentielle. 
 
3. Une réponse efficace au dualisme du marché du travail ?
 
Sur un plan plus structurel, les effets des principales mesures visant à fluidifier le marché du travail ne font pas consensus . D’un côté, les soutiens de la loi travail estiment que le déverrouillage de la protection des contrats permanents bénéficiera aux moins qualifiés sur lesquels se concentre la précarité. De l’autre côté, ses opposants expliquent que la protection de l’emploi ne joue pas à long terme sur le niveau de l’emploi, mais plutôt sur son rôle par rapport au cycle économique (un choc négatif sur l’économie provoque un ajustement plus brutal de l’emploi si le marché du travail est peu réglementé). 
 
La loi travail se veut un outil de réduction du dualisme du marché du travail en France. Une partie des actifs (jeunes, peu qualifiés) subit cette fragmentation et sert de variable d’ajustement, engluée dans une situation de trappe à précarité. D’un autre côté, les salariés en contrat permanent et bénéficiant d’un niveau de compétences élevé sont dans une situation plus sécurisée. 
 
Pourtant, au vu des récentes évolutions sur le marché du travail, il ne semble pas évident que la baisse du niveau de protection des salariés en contrats à durée indéterminée permettent à un plus grand nombre d’en bénéficier. Sur la période 2000-2015, la part des CDI et des CDD dans l’emploi a été plutôt stable. En revanche, le nombre de CDD de plus d’un mois par rapport au nombre de CDI a légèrement baissé, alors que le nombre de CDD de moins d’un mois a fortement augmenté (en partie en raison de la baisse de leur durée). La durée médiane d’un CDD est d’un peu plus d’une semaine. Ce constat est particulièrement vrai dans les entreprises de moins de 20 salariés. 
Partant de ce constat, on peut se demander si la loi travail est effectivement adaptée à l’objectif de favoriser l’insertion durable des « plus fragiles » sur le marché du travail. Les principales évolutions dans les contrats à durée déterminée (nombre, durée) ont eu lieu sur le segment des contrats très courts, et dont la capacité de transformation en des contrats permanents semble très réduite. Dans la même logique, l’hypothèse (abandonnée) de surtaxation des contrats à durée déterminée n’aurait probablement pas débouché sur un meilleur accès au CDI des travailleurs les plus précaires, et irait à l’encontre de la politique de réduction du coût du travail menée depuis plusieurs années par le gouvernement, dont le dernier épisode est l’annonce en janvier 2016 du dispositif embauche TPE/PME.
 
Améliorer l’accès à la formation afin de donner à tous les salariés les compétences nécessaires à une insertion durable semble donc devoir être la meilleure réponse au dualisme du marché du travail. Pour l’instant, ce volet semble pourtant être le moins avancé de la loi travail.
 
Au-delà de son éventuel efficacité économique, la loi travail apparaît relever de choix éminemment politiques, qu’il ne revient pas de commenter ici. La mise en place d’un barème (même indicatif) pour les licenciements abusifs, ne peut dépendre que de son efficacité à stimuler l’embauche dans les TPE et les PME. De même, la modification des conditions de licenciements des salariés en CDI ne peut pas dépendre uniquement de sa capacité à réduire le dualisme du marché du travail.
 
Conclusion
 
La politique économique menée depuis plusieurs années par le gouvernement a permis de reconstituer les marges des entreprises, dont les dépenses d’investissement redémarrent depuis plusieurs trimestres, en baissant le coût du travail. La loi El Khomri, en s’attaquant cette fois à la flexibilité du travail, veut donner aux entreprises la capacité de s’ajuster rapidement en termes d’emploi, et à un coût plus lisible, à leur environnement économique afin de lever les freins à l’embauche. 
 
Alors que le CICE et le pacte de responsabilité montent en charge et ont été en partie financés par une ponction de la capacité de demande des ménages et publique, la France reste vulnérable à un nouveau choc que constituerait à court terme une réforme déséquilibrée, alors que ses gains sur la croissance potentielle restent incertains.