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Interview de Jézabel Couppey-Soubeyran : L’Union bancaire, un projet incomplet

Conseillère scientifique au Conseil d’Analyse Economique (CAE) auprès du 1er Ministre et Maître de Conférences à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Jézabel Couppey-Soubeyran évoque pour BS Initiative les récentes avancées sur la stabilité financière.

 

L’article de Victor L. sur notre site met en avant les avancées en matière de supervision bancaire à travers le projet européen d’Union Bancaire. Que pensez-vous de ce projet ?

L’Union Bancaire était plus que nécessaire et aurait dû être mise en place beaucoup plus tôt. Lorsqu’on a mis en place le système européen de banques centrales, on a cru pouvoir installer un pilier monétaire sans pilier d’union bancaire, ce qui était une erreur.

Cette union bancaire comporte trois volets: la création d’un superviseur unique, l’instauration de mécanismes de résolution des crises et le nouveau design d’un fonds de garantie de dépôts européen.

Pour l’instant, seul le premier volet a enregistré des avancées importantes. Le deuxième et le troisième volet mettront plus de temps avant de devenir effectifs, dans la mesure où ils impliquent une forme d’Union budgétaire dont on est encore très éloigné.

La question est de savoir si, concernant le premier volet, nous allons dans la bonne direction. On a mis en place un superviseur unique et on a désigné la BCE pour endosser ce rôle de superviseur unique. Initialement, il s’agissait de désigner un superviseur pour l’ensemble des banques de l’Union européenne, finalement on s’est restreint à la Zone Euro. C’est une première limite à l’efficacité d’un tel mécanisme.

Au fil des discussions menées dans le cadre du conseil européen, il a été décidé de restreindre la supervision directe uniquement aux plus grandes banques de la zone euro (environ 200 banques). Cela signifie que le superviseur dit unique ne supervisera que les 200 plus grandes banques de la zone euro, et que les autres banques resteront surveillées par les autorités nationales. Ce n’est donc pas véritablement au final une supervision unique.

 

Selon vous la Banque Centrale Européenne (BCE) est-elle l’institution la plus à même d’assurer le rôle de superviseur unique qu’on lui a confié, afin de garantir la stabilité financière ?

Tout d’abord, il n’y avait guère d’autre choix que la BCE pour assurer ce rôle de superviseur unique. Initialement, le candidat idéal était l’Autorité Bancaire Européenne (EBA), comme le préconisait d’ailleurs le rapport de Larosière. Or l’EBA a eu du mal à s’installer, sans doute parce qu’on ne lui en a pas donné les moyens (budget insuffisant) et également peut-être parce qu’elle n’a pas réussi à faire la démonstration de son efficacité et de son autorité au moment des stress test européens (notamment dans le cas des banques espagnoles et irlandaises). Cela a réduit sa capacité supposée à pouvoir endosser ce rôle de superviseur. La seule autre institution qui avait la crédibilité nécessaire pour endosser ce rôle était alors la BCE. Il a donc été jugé préférable que la BCE prenne le relai pour superviser les banques au sein de la Zone Euro.

Pour autant, une banque centrale n’est pas le meilleur micro-superviseur qui soit. Une banque centrale a une culture macro qui est celle de la politique monétaire, elle n’a pas la culture du contrôle sur pièce et sur place comme peut l’avoir un superviseur micro-prudentiel. On pourrait dire qu’une banque centrale manie plutôt une sorte de macroscope pour analyser l’évolution du système monétaire et financier, alors que le superviseur, lui, doit regarder les choses au microscope. Il y a donc une différence importante de culture entre une banque centrale et un micro-superviseur. Cela signifie que la BCE va devoir fournir un effort d’adaptation considérable.

Il existe certes des Banques Centrales qui assurent déjà ce double rôle. Cela est généralement dû à une certaine forme de tradition, comme dans les pays d’Europe du Sud qui pour autant n’ont pas davantage résisté à l’instabilité financière… C’est également le cas dans les pays en développement, où le regroupement des fonctions est surtout lié aux problèmes de vivier de capital humain.

Le point important, c’est que lorsque la banque centrale s’occupe de supervision bancaire dans ces pays, généralement son champ de surveillance est très étroit. Elle ne surveille en général que les banques, pas les compagnies d’assurances ou les marchés. Cela signifie qu’on a un modèle de supervision sectoriel. Or la tendance avant la crise était à la mise en place de modèles intégrés au sein desquels la supervision de l’ensemble des intermédiaires financiers réglementés (banques, assurances, entreprises d’investissement) voire aussi des marchés etait confiée à une seule et même autorité (comme la FSA au Royaume-Uni jusqu’à la crise). La globalisation financière s’est en effet traduite par une intégration très forte des métiers de la banque et de la finance. Superviser un tel système avec des autorités disjointes ne peut s’avérer efficace. Une organisation sectorielle des dispositifs de supervision n’est pas adaptée à l’intégration des activités bancaires et financières.

En réponse à la crise, la tendance actuelle qui consiste à transférer des prérogatives à la banque centrale n’est donc pas forcément la bonne. Avant la crise, on avait conscience que la supervision sectorielle n’était pas adaptée à l’intégration forte des métiers de la finance, maintenant dans l’urgence on semble oublier cet aspect.

 

N’y a-t-il pas tout de même des points positifs ?

A première vue on pourrait se dire que cela n’est pas si mal dans la mesure où cela oblige les banques centrales à s’impliquer davantage dans un domaine qu’elles avaient trop négligé avant la crise, à savoir la stabilité financière. Mais est-ce que l’implication des banques centrales en matière de stabilité financière doit résider dans la surveillance micro-prudentielle des banques ? Sans doute pas.

Il serait plus naturel que les banques centrales endossent la responsabilité d’une politique macro-prudentielle, plus cohérente avec leur culture macro-monétaire.

 

Sur plus de 6000 banques en zone euro, seulement celles disposant d’une taille significative susceptible de porter un risque systémique (environ 200) sont concernées par les mécanismes de supervision, est-ce suffisant ?

Les établissements de grande taille font courir un risque systémique. Mais la taille n’est à l’évidence pas le seul critère de « systémicité ». Il y a des banques de petite taille qui ont aussi une dimension systémique, par exemple des petites banques régionales très liées aux unes et aux autres et indispensables au financement des entreprises de la région qui ont pour certaines cette dimension systémique. On pourrait citer l’exemple des fameuses « landesbanken » en Allemagne. Ces dernières vont pour autant échapper à la régulation de la BCE. C’est précisément ce que voulait l’Allemagne qui a privilégié un critère de taille pour réduire le champ de supervision de la BCE, de façon à ce que ces banques régionales échappent à l’œil du nouveau superviseur.

On peut donc s’interroger sur l’efficacité à venir du dispositif de supervision dans le cadre de l’union bancaire. Il y a sans doute un grand nombre d’établissements qui en dépit de leur petite taille peuvent avoir une contribution non nulle au risque systémique en zone euro et qui ne seront pas directement surveillés par la BCE, mais resteront surveillés au niveau national. Et ça, ça ne fait pas une supervision unique.

 

Toujours à propos de l’Union Bancaire, pensez-vous à un effet suffisamment disciplinant des testaments bancaires ?

C’est le deuxième volet de l’union bancaire : les mécanismes de résolution et la mise en place de testaments. Je pense que ce sont des outils totalement nécessaires, que l’on retrouve dans le titre 2 de la loi bancaire française – la mise en place de plans préventifs de redressement, ce qu’on peut appeler plus rapidement les testaments bancaires – . Ca va sans doute aider à simplifier les structures capitalistiques et financières des établissements financiers et les obliger à gérer leurs risques autrement.

Est-ce que pour autant ça pourrait se substituer à une action macro-prudentielle? Je ne crois pas. Il n’y pas de recette miracle, pas d’instrument qui permettre d’un coup d’un seul de restaurer et de garantir la stabilité financière pour les prochaines décennies. Il faut tout une batterie d’instruments : des instruments micro-prudentiels, des instruments macro-prudentiels qui viennent compléter les premiers, il faut regarder de plus prêt la structure du marché bancaire et sa concentration qui est devenue excessive. Peu de banquiers encore, ni même d’ailleurs les autorités de la concurrence, reconnaissent ce dernier point. Ils considèrent généralement que le marché est effectivement oligopolistique mais que les grands établissements se livrent une concurrence assez forte. Il faut analyser davantage les effets de la concentration bancaire sur la stabilité financière, faire intervenir les autorités de la concurrence qui sont très en retrait dans cette histoire, qui n’interviendront pas dans les plans de résolution (dans le cadre de la loi bancaire française il n’est nulle part question de les faire intervenir).

Il y a d’autres instruments auxquels on n’a pas encore réfléchi et auxquels les lobbys bancaires sont farouchement opposés : c’est la taxation additionnelle des bilans bancaires ou un régime spécial de taxation des revenus associés aux activités bancaire. C’est tout à fait envisageable, les banques contribuent peu aux recettes fiscales, comparé à la dynamique de leurs profits sur les dernières années.

 

Nous tenons à remercier une fois de plus Jézabel Couppey-Soubeyran pour sa disponibilité.

Propos recueillis par Victor L. et Julien P.