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Le non-développement du marché des futures immobilier

Résumé

– Depuis plus d’une vingtaine d’années au moins, plusieurs économistes, dont en particulier, Karl Case et Robert Shiller, prônent la mise en place d’un grand marché de futures basés sur les prix de l’immobilier.

– Les ménages détenant très souvent une partie conséquente de leur richesse sous forme d’actifs non financiers de type immobilier, ce marché pourrait leur permettre de se prémunir en partie des fluctuations des prix de l’immobilier.

– Cependant, ce marché ne s’est pas encore réellement développé.

– Dans cet article, nous présentons quelques raisons plausibles apportées pour expliquer le non-développement de ce marché ainsi que la base théorique de son utilité sociale.

Les futures immobilier : quelle utilité sociale ?

La théorie économique s’est depuis longtemps intéressée à la gestion du risque. Keynes, par exemple, quand il écrit la Théorie Générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie, a pour but principal d’éviter les fluctuations importantes caractéristiques de la grande dépression. De même, à un niveau plus microéconomique, un des postulats de base repose sur l’idée que les individus seraient averses au risque, hypothèse nécessaire à l’existence de marchés d’assurance (quand l’assurance n’est pas imposée par le pouvoir public).

 

De ce point de vue, un marché de l’assurance capable d’atténuer les fluctuations des prix des biens immobiliers serait justifié. Cependant si un individu décide d’acheter une assurance qui protégerait de manière parfaite la valeur de son bien, il pourrait ne pas bien l’entretenir et, au moment de le revendre à un prix plus bas faute d’entretien, demander le paiement de la différence entre le prix initial et le prix de revente. On a ici un problème d’aléa moral qui justifierait la non-existence d’un tel marché.

 

Un marché d’assurance basé sur des futures n’a pas ce problème d’aléa moral. En effet, imaginons un contrat futures simplifié [1],basé sur un indice immobilier (en général pour les États-Unis l’indice Case-Shiller) pour un propriétaire qui souhaite se protéger des variations des prix immobilier. Dans ce cas, si l’indice baisse, le propriétaire recevra une somme d’argent. Dans le cas contraire, il devra verser une somme d’argent à l’autre partie contractante. De cette manière, le propriétaire se protégera partiellement des variations des prix.

 

L’assurance n’est certes pas parfaite car celle-ci ne porte pas sur le prix même de la maison de l’assuré mais sur un indice immobilier qui doit êtrecorrélé au prix de la maison (à qualité constante, c’est-à-dire en dehors des possibles améliorations ou détériorations sur le bien). Ainsi, par exemple, si un ménage décide d’acheter un appartement à Paris dans un arrondissement x, il peut se protégeren vendant un contrat futures immobilier [2] portant sur l’indice des prix immobiliers dans l’arrondissement x de Paris. Étant donné que le propriétaire n’a a priori aucun pouvoir de contrôle sur cet indice, le problème d’aléa moral ne se poserait plus. Comme l’a démontrée la période récente, les prix immobiliers peuvent être sujets à d’importantes variations qui peuvent rendre insolvables de nombreux ménages. En ce sens, l’utilité sociale d’un tel produit semblerait justifiée.

 

Mais pourquoi est-il si petit ?

Plusieurs explications potentielles ont donc été apportées dans la littérature économique pour tenter de comprendre pourquoi ce marché est aujourd’hui si petit. Sans prétendre à  l’exhaustivité voici certaines des explications les plus intéressantes.

 

Trois explications pourraient justifier la taille limitée d’un marché des futures immobiliers : (1) le défaut de liquidité, (2) l’environnement juridique, (3) le fait que la détention d’un bien immobilier peut protéger des fluctuations dans d’autres marchés en vue d’un achat futur et (4) la déconnexion entre les variables agrégées et le prix individuel d’un bien immobilier.

 

Tout d’abord, un marché peu développé a un défaut de liquidité. Cela peut provoquer une certaine réticence chez les spéculateurs ou les institutions à l’achat de futures. Robert Shiller utilise la métaphore de « la boîte de nuit ». Quand une boîte de nuit ouvre, son succès dépendra de la croyance des potentiels clients au succès de la boîte de nuit elle-même. Dit autrement, vous souhaitez y aller si vous pensez que les autres vont également se décider à venir. Les autres individus agissant de manière similaire,il faut une concordance de plusieurs facteurs pour que la boîte de nuit soit un succès. La même logique existe pour à peu près tous les nouveaux marchés financiers. Par conséquent, il faudra peut-être plusieurs tentatives avant que le marché attire assez de participants et deviennent ainsi plus liquide.

 

Une autre problématique liée à la création d’un nouveau marché est la base légale nécessaire à des contrats d’assurance basés sur des futures. Par exemple, à Syracuse dans la région de New-York aux États-Unis, dans le cadre d’un projet pour re-dynamiser la ville, un produit similaire à celui décrit plus haut a été mis en place. Cependant, les acteurs du projet ont eu beaucoup de mal à déterminer quel régime légal s’appliquait au produit en question. Par exemple, la législation de l’état de New-York affirme qu’un tel produit pourrait être considéré comme une assurance si la personne en question a un intérêt matériel dans la chose assurée. Or la valeur de votre maison est peut-être fortement liée à l’indice des prix de votre région, mais vous n’avez pas un intérêt matériel direct dans cet indice des prix. Ainsi ce produit n’a-t-il pu être classé comme assurance. Il a fallu donc un certain temps aux acteurs avant d’arriver à faire rentrer le produit dans un cadre légal. On voit donc qu’une législation inadaptée peut rendre difficile l’introduction de certains produits même quand ils sont apparemment utiles d’un point de vue social.

 

Une autre raison mis en avant par Todd Sinai et Nicholas Souleles est qu’être propriétaire peut être une protection contre les fluctuations des prix sur d’autres marchés immobiliers. Par exemple, si vous achetez un bien immobilier dans une région dont les prix sont corrélés avec ceux d’un marché dans lequel vous pensez acheter plus tard, alors vous assurez d’une certaine manière votre consommation d’immobilier dans le second marché. En effet, vous pouvez revendre votre bien dans le premier marché et utiliser l’argent que vous retirez de cette revente pour acheter dans le second marché. Si les prix sont corrélés alors, en général, même si les prix ont augmenté dans le second marché, les prix dans le premier devraient aussi avoir augmenté. Or Sinai et Souleles montrent qu’aux États-Unis les marchés qui présentent le plus de variations sont aussi ceux qui covarient [3] le plus avec les autres marchés. Dans ce cas, le type de produits décrits plus haut n’est plus si intéressant. Cela revient en effet à se « désassurer » contre la fluctuation des prix sur le deuxième marché.

 

On peut cependant penser que cette covariance n’est pas le meilleur moyen de s’assurer. En effet, à première vue, le plus intéressant serait de vendre des futures sur le premier marché (pour s’assurer en partie du prix de revente) et d’en acheter sur le second (pour assurer le prix du nouvel achat) [4]. On est donc en droit de se demander si cette explication est suffisante. Et ce d’autant plus que cela ne semble pas s’appliquer, par exemple, aux ménages retraités à faible mobilité et qui semblent utiliser leur bien immobilier comme une assurance contre la dépendance.

 

Enfin, Martin Droës et Wolter Hassink ont montré dans un papier de 2013 que, pour les Pays-Bas, les variables agrégées de prix immobilier expliquent une partie assez faible du prix individuel d’un bien immobilier. Si cela est vrai dans d’autres marchés alors cela réduit l’intérêt des futures en tant que produit d’assurance puisque cela réduirait la part assurée des variations de prix.

 

Conclusion

Le marché futures sur les indices immobilier n’a pas encore réussi à se développer malgré l’intérêt possible d’un produit assurantiel pour les ménages dont la richesse non financière est significative et fortement exposée aux prix de l’immobilier.

Plusieurs explications peuvent expliquer le manque d’intérêt dans ces produits. Pour rappel, nous en avons présenté quatre :

  1. le défaut de liquidité,
  2. l’environnement juridique,
  3. le fait que la détention d’un bien immobilier peut protéger des fluctuations dans d’autres marchés en vue d’un achat futur,
  4. la déconnexion entre les variables agrégées et le prix individuel d’un bien immobilier.

Jusqu’à présent, plusieurs tentatives infructueuses de mise en place de ce marché se sont succédé, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis [5]. En général, malgré parfois quelques débuts prometteurs, aucun de ces marchés ne s’est réellement développé. On peut cependant imaginer que dans le futur les ménages chercheront à mieux s’assurer contre les variations de la valeur de leur patrimoine immobilier, notamment du fait des fluctuations importantes qui ont pu être observées dans ce marché récemment. Cela pourrait produire un regain d’intérêt pour le développement d’un véritable marché futures immobilier, avec potentiellement plus de succès que lors des précédentes tentatives.

 

 

Notes:

[1] Un contrat futures est un type de contrat standardisé qui stipule l’achat ou la vente d’un actif dans le futur à un prix fixé à l’avance. Par exemple, si une entreprise européenne doit régler une facture en dollar dans six mois elle peut vouloir se prémunir contre la possible appréciation du dollar en achetant à terme des dollars via un contrat futures. Dans ce cas, le contrat stipulera le nombre d’euros qu’elle devra verser en échange de la quantité de dollars qu’elle souhaite obtenir afin de régler sa facture. Cela lui permet d’éviter d’encourir le risque d’une appréciation en dollar qui augmenterait la valeur en euros de son règlement.

 [2] En termes financiers,  je prends une position courte pour compenser ma position longue en immobilier liée au fait que je suis propriétaire.

[3] Sans rentrer dans des détails techniques, la covariance décrit la variation simultanée de deux variables. Par exemple, si la covariance des prix immobiliers à Lyon et à Paris est positive, cela indiquera notamment que quand les prix augmentent à Paris, ils auront aussi tendance à augmenter à Lyon.

[4]En termes financiers, vous prenez une position courte sur le premier marché pour compenser votre position longue préexistente sur celui-ci et vous prenez une position longue sur le second marché en vue de la position longue que vous souhaitez acquérir dans le futur via l’achat d’un bien immobilier dans ce second marché.

[5] Voir notamment, pour un historique détaillé, le texte de Robert Shiller dans l’ouvrage en référence ci-dessous.

 

Références:

– Housing Markets and the Economy: Risk, Regulation, and Policy sous la direction d’Edward Glaeser et John Quigley, 2009, Lincoln Institute of Land and Polic

Housing Price Risk and the Hedging Benefits of Home Ownership, Martin Droës et Wolter Hassink, 2013, Journal of Housing Economics