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Mesurer le risque d’inflation (Recherche du mois)

Lopez-Salido, David and Loria, Francesca, Inflation at Risk (January 6, 2022). Available at SSRN: https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4002673 [Version précédente: FEDS Working Paper No. 2020-013]

 

 

Résumé:

  • David López-Salido et Francesca Loria (Réserve Fédérale) mesurent le risque d’inflation basé sur la distribution prédictive de l’inflation aux Etats-Unis et zone euro.
  • Les résultats montrent comment les conditions économiques ont continué à affecter les valeurs extrêmes de la distribution d’inflation, malgré la « disparition » des effets de la courbe de Phillips.
  • Les résultats mettent aussi en lumière le rôle des conditions financières dans l’évolution du risque d’inflation aux Etats-Unis et en zone euro.

 

De quelle manière les facteurs macroéconomiques et financiers influencent-ils la dynamique de l’inflation ? Pourquoi la distribution de l’inflation est-elle importante pour en mesurer le risque ?  Comment le risque d’inflation (et accessoirement, le risque de déflation) a-t-il évolué au fil des dernières décennies aux Etats-Unis et en zone euro ? David López-Salido et Francesca Loria (Réserve Fédérale) se penchent sur ces questions dans ce document de travail. Si elles étaient cruciales avant la crise sanitaire, ces problématiques le sont d’autant plus dans le monde post-COVID et dans un contexte de forte inflation[1], où certaines banques centrales (la Réserve Fédérale aux Etats-Unis et la Banque Centrale Européenne en zone euro, entre autres) semblent tout juste laisser entrevoir une hausse des taux. En termes de politique économique, l’enjeu est donc de taille, et le message principal de ce papier en fait écho : une mesure du risque d’inflation plutôt que de l’inflation elle-même en permet une meilleure appréhension de sa dynamique et donc une explication plus cohérente de son évolution au cours du temps, permettant des décisions de politique monétaire plus appropriées en cas de choc inflationniste.

 

Risque d’inflation et courbe de Phillips

 

Pour répondre à ces questions, López-Salido et Loria estiment la distribution du taux d’inflation sous-jacente (qui exclut le prix des produits alimentaires et des matières premières) en utilisant une régression quantile sur le modèle d’une courbe de Phillips « augmentée ».[2] Plus précisément, l’estimation consiste à analyser comment les facteurs macroéconomiques couramment considérés pour expliquer l’inflation — anticipations d’inflation, taux de chômage, variations des prix relatifs — déterminent les quantiles d’inflation, et plus particulièrement le premier quantile (10% des valeurs les plus basses) et le dernier quantile (10% des valeurs les plus élevées). En utilisant un échantillon de données trimestrielles U.S. de 1973 à 2019, ils montrent comment l’effet de ces variables sur la distribution du taux d’inflation a évolué d’une sous-période à une autre, entre 1973-1999 et entre 2000-2019 (Figure 1).

 

Les auteurs démontrent que, alors que l’effet estimé de ces variables macroéconomiques a été quasi équivalent sur l’ensemble de la distribution de l’inflation sur la période 1973-1999, leur impact a plutôt eu tendance à se déplacer sur les valeurs extrêmes de la distribution sur la période 2000-2019. De plus, les résultats indiquent clairement que l’effet du taux de chômage[3] sur l’inflation (en haut à gauche de la Figure 1), communément interprété comme étant la pente de la courbe de Phillips, s’est dissipé, et suggèrent donc une disparition des effets de la courbe de Phillips sur la période récente.[4]

 

Le rôle des conditions financières

 

En plus des variables macroéconomiques, les auteurs « augmentent » la courbe de Phillips traditionnelle en y incluant une variable permettant de mesurer les conditions financières dans leur régression quantile de la courbe de Phillips augmentée. En suivant l’idée d’Adrian et al. (2019), l’idée est d’établir un lien entre le niveau des conditions financières et le risque d’inflation (faible ou élevée). Le graphique du bas de la Figure 1 montre que les conditions financières ont eu tendance à avoir un effet relativement plus fort sur la queue de distribution de l’inflation (i.e. risque de déflation) sur la période récente par rapport à la période précédente, où l’impact était à peu près équivalent selon les quantiles de la distribution. L’évolution du coefficient associé aux conditions financières est donc plus en accord avec le message principal du papier : l’impact des facteurs macroéconomiques et financiers sur la distribution d’inflation a évolué en faveur du premier quantile (i.e. risque de déflation), et non sur l’ensemble de la distribution.

 

 

Le risque d’inflation en période de récession

 

A titre d’illustration, les auteurs prennent exemple sur les conséquences de la crise financière de 2008 sur l’évolution de l’inflation aux Etats-Unis et en zone euro. En décomposant l’inflation estimée par quantile de distribution, ils montrent comment le risque d’inflation faible, voire de déflation, a évolué au cours des deux dernières décennies. La Figure 9 du papier présente ces résultats : alors que l’écart du premier quantile par rapport au cinquième quantile — la médiane — s’est accru au moment de la Grande Récession de 2009 aux Etats-Unis, cela ne semble pas être le cas en zone euro où cet écart a eu plutôt tendance à se réduire pendant les périodes de récession (crise de 2007-08 et crise des dettes souveraines de 2010-12). Autrement dit, le changement dans la distribution d’inflation observé à la suite de la crise de 2007-08 provient d’une chute des valeurs estimées en queue de distribution aux Etats-Unis, et plutôt d’une baisse marquée de la médiane et des valeurs estimées en tête de distribution en zone euro.[5] Les auteurs mettent ainsi l’accent sur la manière dont le risque de déflation revient à des niveaux d’avant crise aux Etats-Unis, alors qu’il semble augmenter en zone euro, du fait de la tendance baissière observée du premier quantile de la distribution.

En se concentrant sur l’épisode plus récent de la crise sanitaire, López-Salido et Loria soulignent l’importance de l’étude du risque d’inflation en période d’incertitude. Leurs résultats révèlent un risque de déflation au début de la pandémie, et un risque d’inflation élevée lors de la reprise.

 

Conclusion

 

Dans ce document de travail, David López-Salido et Francesca Loria suggèrent une analyse de la distribution de l’inflation, plutôt que de sa valeur moyenne, pour comprendre, et ainsi en appréhender, le risque d’inflation.

 

Plus spécifiquement, ils montrent pourquoi il importe d’étudier les valeurs extrêmes de la distribution en considérant une séparation par quantile (10% des valeurs les plus faibles, 10% des valeurs les plus élevées). La méthodologie développée dans ce document de travail permet de mettre en avant deux principaux résultats :

 

(i)                  il est nécessaire de regarder la distribution de l’inflation pour comprendre que les facteurs macroéconomiques parviennent toujours à expliquer la dynamique de l’inflation au cours des deux dernières décennies, et

(ii)                les conditions financières sont une composante importante de l’évolution de l’inflation, notamment à travers leur impact sur le risque d’inflation basse, ou de déflation.

 

Enfin, la comparaison entre les Etats-Unis et la zone euro présentée dans le papier et ses implications en termes de politique économique doivent amener les banquiers centraux et les chercheurs à s’interroger sur la pertinence de la prise en compte du risque d’inflation dans les décisions de politique monétaire. La considération de l’ensemble des valeurs possibles d’inflation, via sa distribution, plus que de sa valeur moyenne ou médiane, pourrait être un enjeu dans la conduite de la politique monétaire et la stratégie des banques centrales dans les années à venir.

 



[1]Voir la récente Minute BSI « Les banques centrales sont-elles vaccinées contre le risque d’inflation ? » du 20 janvier 2022.

[2]La courbe de Phillips dans sa formulation initiale décrit une relation décroissante entre le taux de chômage et le taux d’inflation (ou le taux de croissance des salaires nominaux). La note de BSI « Le casse-tête de la faiblesse de l’inflation dans les pays avancés » du 23 janvier 2018 en est une illustration.

[3]Une mesure de l’écart au chômage (différence entre le taux de chômage observé et son niveau structurel), plutôt que du taux de chômage, est utilisée dans le papier.

[4]Les résultats présentés dans ce graphique ont d’ailleurs tendance à davantage montrer une diminution de l’impact des facteurs macroéconomiques plutôt qu’un changement significatif dans la répartition de ces effets sur la distribution de l’inflation. L’absorption de ces effets s’explique probablement par le coefficient élevé sur les anticipations de long-terme d’inflation estimé sur la période récente, qui pourrait capter un degré élevé de persistance de l’inflation sous-jacente.

[5]Ce résultat peut paraitre surprenant, car il signifierait que le risque de déflation a été nettement plus marqué au moment de la Grande Récession aux Etats-Unis qu’en zone euro, alors que la Banque Centrale Européenne (BCE) justifiait justement la mise en place de politiques non-conventionnelles en réaction aux pressions à la baisse sur le taux d’inflation, y compris à la suite de la crise des dettes souveraines (voir la conférence de presse de Mario Draghi du 22 janvier 2015).