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Le miracle péruvien : mirage éphémère ou réalité ? (Note)

Utilité de l’article : Cet article a pour but d’analyser le processus de transformation qu’a connu le Pérou depuis les années 1990 et les raisons qui expliquent un tel dynamisme (unique parmi les grandes économies latino-américaines). Il s’agitégalement d’identifier les réformes qui devront être mises en œuvre à l’avenir afin de poursuivre sur cette trajectoire.

 

Résumé :

  • Entre 2000 et 2018, le Pérou a connu l’une des plus fortes croissances économiques de la région(4,9 % en moyenne annuellecontre 2,4 % pour l’Amérique latine); 
  • Ce dynamisme s’est traduit par une chute du taux de pauvreté (de 58,7 % en 2000 à 20,5 % en 2018) ;
  • Pour ce faire, le Pérou a mené de nombreuses réformes structurelles pour créer les conditions nécessaires à son ouverture économique. Néanmoins, le pays est désormais très dépendant des exportations de minerais vers la Chine, au prix d’externalités négatives en matière d’environnement et de santé publique ;
  • Afin de poursuivre son processus de développement, le pays doit donc repenser son modèle économique (diversification des exportations mais également augmentation des investissements dans l’innovation, l’éducation et les infrastructures). Dans le cas contraire, à long terme, le risque est de voir le pays tomber dans la trappe à revenu intermédiaire.

 

Selon le ministre de l’Economie et des Finances, Carlos Oliva « le Pérou deviendra un pays développé s’il parvient à maintenir un rythme de croissance annuelle de 5 % pendant les 20 ou 30 prochaines années »(avril 2019). Bien que l’objectif soit ambitieux, cette déclaration a le mérite de souligner le chemin parcouru par le pays andin mais aussi les efforts qui lui reste à fournir.

En effet, le Pérou a connu une transformation radicale au cours des dernières décennies, marquée par la plus forte croissance observée parmi les grandes économies latino-américaines. Ces résultats sont d’autant plus positifs que la tendance devrait se poursuivre dans les prochaines années. Néanmoins, à long terme, il est indispensable de repenser le modèle économique du Pérou pour éviter qu’il ne tombe dans la trappe à revenu intermédiaire[1].

 

1. Le décollage économique du Pérou en quelques chiffres

Avant les années 2000, le Pérou a dû faire face à de nombreux obstacles qui ont freiné son développement (dictatures, attentats, instabilité institutionnelle, déficits jumeaux, hyperinflation, crises à répétition, etc.). Ainsi, en l’an 2000, son PIB réel par habitant était équivalent à son niveau de 1966, soit environ 4 700 USD.

Néanmoins, l’entrée du Pérou dans le 21ème siècle marque le début d’un impressionnant décollage économique qui lui permettra d’entamer une phase de rattrapage vis-à-vis des autres grandes économies de la région[2](voir tableau 1). En effet, entre 2000 et 2018, le Pérou est le pays dont le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA)a le plus progressé (+181 %). De même, sur la même période, la croissance annuelle s’est élevée à 4,9 % en moyenne, loin devant les cinq autres principaux pays latino-américains (entre 2,2 et 3,9 %).  L’inflation est restée quant à elle relativement stable sur cette même période (entre 0 et 3,7 %) mis à part en 2008 (5,7 %), alors que la dette publique n’est que de 25,8 % du PIBen juin 2019.

Tableau 1 : Indicateurs économiques

Ces bons résultats se reflètent également dans les indicateurs sociaux (voir tableau 2). L’amélioration est notable au point que le taux de pauvreté[3]péruvien qui est passé de 58,7 % en 2004 à 20,5 % en 2017, est désormais largement inférieur à la moyenne des principaux pays de la région. Le constat est le même lorsque l’on observe l’indice de GINI[4][5], les inégalités sont moins importantes au Pérou.

Tableau 2 : Indicateurs sociaux

 

 

2. Les fondements du développement péruvien

Les réformes structurelles mises en œuvre à partir des années 1990 expliquent en grande partie le décollage économique du Pérou, qui a su tirer les leçons de ses échecs passés. Dès lors, les autorités ont entamé une transformation du modèle économique au travers de trois grandes vagues de réformes.

  1. Les réformes de première génération, intervenues dans les années 1990, visent à rétablir la stabilité macroéconomique et adopter un modèle d’économie de marché.

Pour éviter les dérapages des comptes publics, la loi de Prudence et Transparence fiscale de 1999 (modifiée en 2016), instaure un fond de stabilisation (outil contracyclique[6]) et définit un ensemble de règles de responsabilité fiscale (transparence, reddition de compte, encadrement des déficits en fonction des prix des matières premières exportées et de la croissance du PIB, etc.).

De plus, à la suite d’une période d’hyperinflation (7 000 % en 1990), la Banque Centrale devient indépendante et le pays adopte un taux de change unique flottant. Ledroit de seigneuriage (financement des déficits publics par la banque centrale), source d’inflation, passe alors de 6 % à 0,5 % du PIB.

Parallèlement, le gouvernement prend des mesures en faveur du dégonflement du secteur public (160 entreprises privatisées de 1992 à 1999) et de l’ouverture du pays (réduction des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires (licences d’importation), protection des investisseurs étrangers, etc.). 

2. Les réformes de deuxième génération, lancées au début des années 2000, portent essentiellement sur les institutions. Toutes ne seront pas couronnées de succès mais dans l’ensemble, elles permettent d’améliorer la gouvernance du pays.

Pour accompagner le processus de libéralisation de l’économie, certains organismes sont réformés et de nouvelles institutions sont créées (Institut national de défense de la concurrence et de protection de la propriété intellectuelle). Ces entités, construites sur le modèle du secteur privé, font figure d’exception dans une administration péruvienne, réputée complexe, bureaucrate, corrompue et inefficace. 

Par ailleurs, d’autres mesures visent à limiter le nombre de normes, améliorer la transparence (suivi en ligne des dépenses des institutions), flexibiliser le marché du travail et décentraliser (création de 26 régions). Le nombre de programmes sociaux est réduit (de 82 à 26) pour éviter les fraudes (de nombreux péruviens cumulaient les aides ou bénéficiaient de programmes sociaux alors que leurs revenus étaient supérieurs aux seuils fixés).

3. A partir du milieu des années 2000, le pays lance les réformes de troisième génération qui touchent différents domaines (éducation, fiscalité, etc.). Ainsi, le Pérou a pris des mesures pour encourager l’investissement dans les infrastructures comme, par exemple en 2008, la loi cadre partenariats public-privé (PPP), profondément réformée en 2015 et 2016. Parallèlement, pour assurer des débouchés à ses exportations, le Pérou a signé de nombreux accords commerciaux (18 depuis l’an 2000). Ainsi, en 2017, les exportations de biens et services représentaient 25,2 % du PIB contre 13,7 % en 1998.

Autre fait marquant, le secteur minier représente un secteur stratégique. En effet, les exportations minières (principalement le cuivre) entre 2000 et 2018 sont passées de 3,8 à 29,5 Mds USD, soit près de 60 % des exportations nationales. Le secteur génère 11 % des recettes fiscales du pays (+91,5 % sur la période 2008-2018). Ce dynamisme s’explique en grande partie par l’explosion de ventes de produits miniers péruviens à la Chine en volume et en valeur (plus particulièrement le cuivre dont le prix moyen a fortement augmenté même s’il est aujourd’hui inférieur au pic de 2011). C’est pourquoi la part du géant chinois dans les exportations péruviennes est de 23,3 % en 2018, contre 6,2 % en 2002 (voir Graphique 1). 

Graphique 1 : Le commerce extérieur du Pérou

 

 

3. Les enjeux déterminants pour l’avenir du Pérou

Au vu du chemin parcouru au cours des dernières décennies et de la croissance potentielle qui s’élèveselon le FMIà 4 % par an, l’avenir du Pérou semble déjà tout tracé. Pourtant, le pays andin doit surmonter de multiples obstacles pour éviter, comme de nombreux pays latino-américains, d’être piégé dans la « trappe à revenu intermédiaire ».
Tout d’abord, il semble impératif que le pays diversifie son économie. Effectivement, la double dépendance à la Chine et au secteur minier est source d’inquiétudes.Le ralentissement de la croissance chinoise ainsi que la baisse des prix internationaux des minerais, représentent un risque majeur pour le Pérou. Ce constat est tout de même à nuancer car l’économie péruvienne s’est montrée jusqu’ici relativement résiliente (lors de la diminution des cours des minerais en 2014, le PIB a tout de même augmenté de 2,4 %). A noter également que le secteur minier génère desexternalités négatives (pollution, empreinte écologique, haut degré d’informalité, impact sur la santé publique, etc.) sources detensions sociales qui ont récemment conduit au report de quatre projets d’une valeur de 12 Mds USD.
A long terme, le Pérou doit donc trouver d’autres relais d’exportations. Cependant, malgré quelques succès (raisin, café, asperge, avocat, etc.), le pays reste peu intégré dans les chaînes de valeurs mondiales, son rôle se limitant bien souvent à fournir les matières premières (faible valeur ajoutée).
Malgré l’une des plus fortes progressions de la région,la productivité représente moins de 20 % de celle des Etats-Uniscontre 26 % pour la moyenne latino-américaine. Pour y remédier, le gouvernement devrait actionner les leviers suivants :

– Combler le retard en matière d’innovation. Les dépenses publiques en Recherche et Développement (0,1% du PIB) et en éducation (4 % du PIB) sont excessivement faibles. Le pays n’apparaît d’ailleurs, qu’à la 64ème position sur 70 dans le dernier classement PISA[7]. De plus, l’accès restreint au crédit bancaire[8]freinent les investissements privés en innovation qui sont inférieurs à la moyenne régionale.

– Réduire le secteur informel qui concentre 73 % de la main d’œuvre péruvienne mais dont la productivité est très faible (équivalente à 25 % de la productivité du secteur formel dans l’industrie).

– Flexibiliser le marché du travail dont la rigidité actuelle empêche les travailleurs de migrer vers les entreprises les plus productives.

Les infrastructures au Pérou font cruellement défaut et ne sont pas adaptées. D’après le global competitiveness report, le pays se classe à la 111ème positionsur 140en ce qui concerne la qualité de ses infrastructures, ce qui pénalise la compétitivité et la diversification de ses exportations (surcoûts du transport de marchandises). Dans un contexte de pression démographique croissante (+8 millions d’habitants d’ici 2050 selon les dernières estimations de la Banque Mondiale je présume ?!), le Pérou devra limiter les déséconomies d’échelle liées à la concentration urbaine (pollution, embouteillages, logements insalubres, bidonvilles, défaillances ou absence de réseau électrique, paupérisation des quartiers pauvres, etc.).

Enfin, d’autres problèmes relevant de la gouvernance doivent être également abordés (lutter contre la corruption, améliorer le fonctionnement de la décentralisation, etc.).

 

Conclusion

Il est incontestable que depuis les années 2000, grâce à de nombreuses réformes structurelles, le Pérou est parvenu à se développer à un rythme surprenant (croissance économique, chute de la pauvreté, inégalités inférieures à la moyenne latino-américaine, etc.). La tendance devrait se poursuivre car les perspectives du pays figurent parmi les meilleures de la région (prévisions de croissance, résilience face à la chute des prix des matières premières, stabilité macroéconomique, etc.).

Bien que ce constat incite à l’optimisme, il est encore trop tôt pour parler de véritable miracle économique. A ce stade, il s’agit davantage d’un effet de rattrapage. Le pays devra préalablement surmonter de nombreux obstacles tels que les enjeux environnementaux liés à l’exploitation minière, la dépendance des exportations au cuivre et à la Chine, la faiblesse de la productivité ou encore le manque d’infrastructures. Les prochaines années seront décisives pour savoir si l’on peut véritablement parler de miracle économique.

 
 
Bibliographie
 

“Productivity provides the key to Peru’s bid for OECD membership”, 2018,  Alonso Morán de Romaña (ex ministre de la production péruvienne).

 

“Productividad en el Perú, Evolución histórica y la tarea pendiente”, Revue “Moneda”, Banque centrale du Pérou

 

“Análisis de la sostenibilidad de la deuda pública peruana: Un enfoque de función de reacción fiscal”, 2018, Banque Centrale du Pérou

 

“Acuerdos comerciales del Perú con otros países”, Proinversión

 

“Las Alianzas Público-Privadas (APP) en el Perú: Beneficios y Riesgos”, 2017, Pontificia Universidad Católica del Perú

 

“Productividad, el ‘talón de Aquiles’ de Latinoamérica”, 2018, France 24

 

“PISA Worldwide Ranking – average score of math, science and reading”, 2017, FactsMAps

 

“Perú, Chile y Colombia crecerán por encima de 3% en 2019 y 2020, según el FMI”, 2019, Gestión

 

“El FMI corrigió proyección de crecimiento para Argentina y pronosticó que será menor al esperado”, 2019, Infocielo

 

“FMI, pesimista frente a la previsión de crecimiento para América Latina en 2019”, 2019, France 24

 

“Crecimiento o instituciones en el Perú: 1970 – 2006”, 2007, Instituto de Estudios Peruanos

 

“Record historique, les exportations péruviennes ont totalisé 47,7 Mds USD en 2018”, 2019, DG Trésor

 

“El Banco Mundial en Perú”, Banque mondiale

 

“Le « risque pays » du Pérou est le plus bas d’Amérique Latine selon l’indice EMBI+”, 2019, DG Trésor

 

“Perú Siguiendo la senda del éxito”, ´2015, Banque mondiale

 

“El fondo de Estabilización fiscal en el Perú”, Revue “Moneda”, Banque centrale du Pérou

 

“Declaración Sobre Cumplimiento de Responsabilidad Fiscal 2017”, ministère de l’Economie et des Finances

 

“De la primera a la segunda generación de reformas del estado en América latina; giro ideológico y cambio conceptual”, 2003, Scielo

 

“Cómo Perú deslumbró al mundo al reducir más de 50% de la pobreza en 10 años”, 2017, BBC

 

“El camino de Perú hacia el éxito económico”, 2015, Diálogo a fondo

 

“La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis affecte les recettes minières et les exportations.”, 2018, DG Trésor

 

“Perú, un enigma en el crecimiento económico latinoamericano”, 2018, Celag

 

“De la Flor sobre Tía María: “Estamos erosionando uno de los pilares del modelo económico””, 2019, Perú 21

 

“El Perú: la ilusión del crecimiento sin desarrollo, por Marcel Ramírez La Torre”, 2018, EL Comercio

 

“La gran depresión de la economía peruana: ¿Una tormenta perfecta”, 2015, Banque centrale du Pérou

 

“¿El fin del milagro peruano?, por Roberto Abusada”, 2019, EL Comercio

 

“Los límites del modelo económico peruano”, 2018, El Buho

 

“Moody’s”, countryeconomy.com

 

“Argentina y Brasil son los países más endeudados de América Latina según la Cepal”, 2019, La República

 

“Perú. Situación del sector minero”, 2019, BBVA

 

“Minería en el Perú”, 2008, ministère de l’Energie et des Mines

 

“Inversiones mineras 2019-2022 “, 2019, ministère de l’énergie et des Mines

 

“La dette publique à juin 2019 atteint 25,8% du PIB, son niveau le plus élevé en 10 ans”, 2019, DG Trésor

 

 

 

 


[1] Voir note “Another BRIC in the Wall” (http://www.bsi-economics.org/184-bric-wall)

[2]Argentine, Brésil, Chili, Colombie et Mexique.

[3] Ratio de la population pauvre en fonction du seuil de pauvreté national (% de la population)

[4]Le coefficient de Gini est compris entre 0 (égalité parfaite) et 100 (inégalité absolue).

[5] Voir note “Le Coefficient de Gini”(http://www.bsi-economics.org/288-?-le-coefficient-de-gini)

[6]Accumulation de ressources en période de croissance en vue d’être mobilisées en cas de récession ou de situation d’urgence (catastrophes naturelles, menace sur la sécurité nationale, etc.). Donner dans la parenthèse au moins un autre type de situation d’urgence…

[7]Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

[8] De nombreux péruviens ont un emploi informel ou bien n’ont pas les revenus suffisants pour pouvoir ouvrir un compte dans un établissement bancaire.