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La PAC : crises et complexifications

Résumé :

– 1984 est l’année de retournement de la PAC car elle est synonyme de surproduction laitière : mise en place des quotas

– Le remède va entraîner la surproduction de viande bovine puis de céréales

– Les attaques internationales au sein du GATT se sont multipliées

– La PAC se réforme une nouvelle fois en 1992, puis pour l’Agenda 2000 et encore une fois en 2003

– Elle n’a plus beaucoup à voir avec la PAC d’origine, mais elle intègre un volet de développement durable important

Un précédent article a présenté les débuts de la PAC (Politique Agricole Commune). Son système est alors simple, puisqu’il s’agit de la mise en place des prélèvements sur les importations, des prix garantis des éventuels surplus et enfin d’une aide à l’exportation.

Cette politique a eu un résultat inespéré puisque non contente de relancer l’agriculture européenne par une modernisation sans précédent, elle a été largement financée par des prélèvements sur les importations.

Après 1984, la surproduction menace la viabilité de la PAC. De plus, lenombre de pays en bénéficiant augmente avec l’élargissementde l’Union. Enfin, les responsables n’osent pas réformer frontalement la politique. Ils font donc quelques ajustements qui ajoutent des couches de complexification mais repoussent l’inévitable : mettre en place des réformes aussi profondes que brutales.

 

Jusqu’en 1992

La surproduction ne concerne pas tout de suite l’ensemble des secteurs agricoles. Mais, comme le montre les graphiques 1, 2 et 3, les productions de lait, viande bovine et céréales augmentent très largement jusqu’en 1984. C’est dans le secteur du lait que la surproduction arrive le plus vite (dès 1984).

Les instances crées alors une taxe sur les producteurs de lait, elles ne contrecarrent plus l’inflation, elles limitent les possibilités d’achats aux prix garantis à certains mois dans l’année ou encore elles diminuent la rentabilité du stockage (car sa rémunération est basée elle aussi sur des montants déterminés par la puissance publique). De plus, le Fond Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (le FEOGA) retarde ses paiements lorsqu’il achète des marchandises, il durcit aussi les critères de qualités de denrées qu’il achète, et tout ceci dans un désordre monétaire qui limite les possibilités de compréhension de l’ensemble des acteurs.

Ces petites réformes ne permettent pas aux finances de la PAC de retrouver une trajectoire viable. En 1984, lorsque le marché du lait produit une quantité encore jamais atteinte, il est nécessaire de remettre à plat le fonctionnement pour permettre au système de perdurer : c’est l’instauration des quotas laitiers.

 

Limitation de la production

La mise en place des quotas sur le volume de lait produit par chaque agriculteur signifie que l’objectif de la politique change : on ne recherche plus l’augmentation de la production, ce qui était le cas jusqu’alors, mais sa stabilisation.

Pour limiter le mécontentement des agriculteurs, les gouvernements réorganisent toute la filière. Les producteurs de lait vont être incités à fermer leur exploitation s’ils sont proches de la retraite ou si leur exploitation n’est pas productive. Les droits de production de ces exploitations sont alors rachetés par les gouvernements et redistribués à l’ensemble des autres producteurs. De fait, la production de chaque ferme restante augmente, mais la production globale diminue grâce aux quotas laitiers.

 

Graphique 1 : Évolution de la production de lait

Sources : FAOSTAT, Auteur, BSI Economics

 

Malheureusement, la mise en place, réussie et acceptée, de ces quotas va provoquer une surproduction dans les secteurs bovin et céréalier (1988). En effet, puisque des exploitations laitières ferment, les animaux sont menés à l’abattoir et certains de ces agriculteurs décident de produire des céréales plutôt que de laisser leurs prairies en friche. Les producteurs de lait sont, quant à eux, incités à augmenter leurs rendements (l’intensification de l’agriculture est toujours d’actualité) cequi les poussent à ne plus utiliser de l’herbe comme alimentation de base de leurs animaux, mais des nutriments plus protéinés (comme le maïs ou le soja). Ils mettent donc, eux aussi, leurs prairies en culture. Par conséquent, les productions de céréales et de viande augmentent.

Dans le secteur de l’exploitation bovine, il est décidé de diminuer les prix garantis [1]. La rémunération des agriculteurs diminue donc d’autant. Ceci provoque un mécontentement important qui oblige les gouvernements à mettre en place des subventions directes aux agriculteurs. C’est ce qui deviendra légion par la suite.

 

Graphique 2 : Évolution de la production de viandes bovines

Sources : FAOSTAT, Auteur, BSI Economics

 

Dans le domaine des céréales, les pays ne sont pas d’accord sur la marche à suivre, particulièrement l’Allemagne et la France. La première souhaite une limitation de la production, à peu près sur le modèle des quotas laitiers, alors que la seconde estime que ses producteurs peuvent tout à fait subir une baisse des prix en augmentant leur production. Finalement, la solution mise en place comporte deux volets : les stabilisateurs budgétaires (dont on expliquera le fonctionnement ci-après) et le gel des terres volontaires (c’est-à-dire la mise en jachère). Dans les faits, le deuxième volet est très difficile à mettre en place car il signifie convaincre les agriculteurs qu’il vaut mieux moins produire. Néanmoins, c’est le début de la mise en place de la jachère obligatoire.

 

Graphique 3 : Évolution de la production de céréales

Sources : FAOSTAT, Auteur, BSI Economics

 

Quotas financiers & Stabilisateurs budgétaires

Lorsque la crise laitière éclate et que les quotas sur les volumes (la production) sont mis en place, le conseil européen applique le système du quota financier au secteur des oléagineux. Comme nous l’avons dit dans l’article précédent, ce secteur n’est pas protégé par la PAC suites aux pressions des USA. Cependant, l’Europe a tout de même souhaité développer cette agriculture à renfort de subventions à la production.

De fait, ce domaine coûte extrêmement cher à la Communauté car la concurrence est importante, et d’autant plus que les surfaces cultivées augmentent. Il est donc décidé de définir une enveloppe d’achat à un prix garanti et de diminuer le niveau de ce prix dès lors que l’enveloppe est dépassée.

Ce système est généralisé à l’ensemble des secteurs de la PAC après le Conseil européen de février 1988. Aux quotas sur les volumes laitiers, à la diminution des prix garantis de la viande bovine et au gel de terre céréalière est donc ajouté le quota sur les prix. La ligne directrice agricole est mise en place et empêche le FEOGA d’être doté de plus de 27,5 milliards d’écus en 1988 jusqu’en 1992 au moins avec une croissance annuelle ne pouvant pas excéder 74% du taux de croissance du PNB de l’Union [2].

La généralisation des quotas est une décision allant à l’inverse de la pensée dominante libérale de l’époque qui voulait que le marché soit le meilleur régulateur en agriculture comme ailleurs. La Commission Européenne pousse à avoir recours autant que possible à la régulation par le marché, qui est moins coûteuse. Si le Conseil Européen gardait à l’époque le cap du dirigisme, la réforme de 1992 n’ira pas dans ce sens.

 

La réforme de 1992

Contexte international

Dès la mise en place de la PAC, les USA ne sont pas d’accord et ils ne l’acceptent qu’à la condition de l’élimination des droits de douanes sur les oléagineux. Seulement, le bon fonctionnement de la PAC diminue rapidement les importations européennes ce qui ranime les tensions au sein du GATT (les USA, le Canada ou encore l’Australie demandent le démantèlement des subventions à l’exportation). La Communauté Européenne reste néanmoins sur ses positions.

L’ensemble des protagonistes acceptent 4 ans plus tard d’initier un nouveau cycle de négociation au sein du GATT : l’Uruguay Round. Cette négociation s’ouvre sous de bons auspices pour la communauté car la feuille de route balisant les négociations sur l’agriculture est très claire : si l’Europe doit faire des concessions, les USA et les autres grands pays agricoles aussi. Cependant, la communauté ne prend pas d’initiatives contrairement aux USA. Ils frappent en 1989 avec une proposition demandant le démantèlement pure et simple des trois outils de la PAC. La Communauté est prise de court et répond hâtivement à cette proposition en demandant principalement l’augmentation des droits de douanes sur les oléagineux contre l’élimination des prélèvements. Ce qui signifie qu’elle entérine la possible diminution des droits de douanes.

La dernière étape de ces négociations est la rencontre ministérielle de décembre 1990, où les protagonistes sont censés affiner les négociations et signer l’accord. Mais les USA en demandent de plus en plus. La Commission, qui a mandat pour négocier et qui, pourtant, souhaite plus que tout aboutir à un accord qui puisse impliquer un retour à l’équilibre des finances de la Communauté, ne peut accepter toutes ces demandes. Les négociations sur l’agriculture ne sont pas conclues. Mais les commissaires européens savent qu’une réforme complète doit être mise en marche.

Le contenu de la réforme

Tout d’abord, notons que le projet de cette réforme provient de la Commission, et de la Commission seulement. Estimant que les gouvernements sont trop assujettis aux lobbies agricoles, elle décide de développer un projet de réforme, dans le plus grand secret. Les premières versions circulent à la suite de la réunion ministérielle de 1990.

Finalement, c’est une réforme d’une importance capitale dans la conception de la PAC. Il s’agit de diminuer le niveau des prix garantis (de 35% pour les céréales et de 15% pour la viande bovine par exemple) et de verser des subventions directement aux producteurs pour compenser les pertes. Elles sont versées à l’hectare ou à l’animal.

De plus, il n’est plus question d’utiliser les prélèvements variables, mais de mettre en place des droits de douanes fixes, qui sont par nature moins protecteurs.

La conception de la PAC s’aligne donc sur le même principe que la politique agricole américaine : le soutien n’est plus sur les prix, c’est-à-dire une subvention supporté par le consommateur, mais il est sur le revenu, c’est-à-dire une subvention supporté par le contribuable.

 

L’Agenda 2000

Contexte

En 1994, les membres du GATT signent finalement un accord global. Beaucoup de péripéties entravent la rédaction du document final, particulièrement du côté européen où la Commission prend, là encore, des libertés que les gouvernements ne peuvent accepter. Cet accord a un impact direct et important sur la politique agricole puisqu’il prévoit l’élimination des prélèvements obligatoires, la réduction de 36% en 5 ans des droits de douanes fixes qui remplaceront ces prélèvements et la réduction de 21% en 6 ans des exportations subventionnées.

L’épisode de la « vache folle » en 1996 et celui des poulets à la dioxine en 1999, plus généralement le problème des farines animales, mettent à mal l’idée d’une agriculture européenne performante et saine. Ces épisodes vont alerter l’opinion, et par ricochet les gouvernements, ce qui obligera l’Union à s’atteler à ces questions qui sont étroitement liées à la santé publique. De même, les instances de l’Union doivent appréhender avec beaucoup de délicatesse le problème des OGM (Organisme Génétiquement Modifié). Là encore, c’est l’opinion qui va jouer un rôle prépondérant. Enfin, l’Europe prévoit de s’élargir vers l’Est de manière très importante. Ceci bouleverse forcément la gestion de la question agricole, d’autant plus que les nouveaux pays ont des économies peu industrialisées. Ceci oblige l’Union à réorganiser le petit volet structurel de la PAC (voir premier article) en créant le « second pilier » (nous en parlons ci-après).

Enfin, en 1996, les USA lancent une grande réforme de leur agriculture (le FAIR Act) qui prévoit l’élimination de tout soutien à la production. Des subventions sont mises en place initialement mais elles sont censées être provisoires et permettre aux agriculteurs de s’habituer, petit à petit, aux mécanismes de marché. La contrepartie est que les agriculteurs peuvent produire ce qu’ils veulent, en quantité voulue.

 

Le contenu de la réforme

La Commission, et beaucoup de décideurs nationaux pensent que la  réforme politique agricole américaine, apparemment profonde, va rendre les dernières négociations du GATT obsolètes. Le soubassement de la réforme américaine est le découplage des subventions et il va devenir le fer de lance de la nouvelle PAC. L’idée est simple : plutôt que de subventionner tel type de culture et tant de quantité, les subventions seront données à la surface, peu importe la culture.

Finalement la réforme de l’Agenda 2000 n’éliminera pas totalement les aides telles qu’elles ont été mises en place initialement. Mais elles vont drastiquement diminuer au profit des aides directes.

Le prix garanti pour les céréales diminue ainsi de 15%, celui de la viande bovine de 20%. Dans le même temps les aides à l’hectare vont augmenter de 16% et celles à l’animal de 56%. Ces montants sont d’ailleurs censés augmenter les années suivantes.

Cette réforme va donc plus loin que celle de 1992 pour rapprocher le prix obtenu par les agriculteurs du prix du marché mondial. L’esprit est le même : ne pas agir sur le prix, mais subventionner l’agriculteur pour qu’il produise. C’est un peu comme si les agriculteurs devenaient fonctionnaires de l’Union. Les subventions représentent, en moyenne et en France, 18% du revenu des agriculteurs en 1991 et plus de 80% en 2006 ; en moyenne l’Union elles représentent 60% [3,4]. Ceci à telle point qu’un tiers des exploitants agricoles européens disparaitraient en moins d’un an sans ces aides directes [5].

Remarquons néanmoins que les restitutions (les subventions à l’exportation) n’ont pas été éliminées, et ne le sont toujours pas aujourd’hui (bien que se soit la Commission qui décide quel type de denrées peut prétendre à un droit à restitutions).

Enfin, la réforme de l’Agenda 2000 crée le second pilier de la PAC qui vise à développer les régions en retard, convertir les activités des régions en difficulté et prendre en compte la gestion des ressources humaines rurales (où le chômage est souvent important). Il reste marginal puisque sur 40,5 milliards d’euros par an que dépense le FEOGA (prévu pour la période 2000-2006), seuls 4,3 sont alloués à ce second pilier [6].

 

Réforme de mi-parcours : 2003

La réforme de l’Agenda 2000 devait permettre à la PAC d’être cadrée jusqu’en 2006. Mais une analyse de mi-parcours en 2002 avait été décidée. Elle débouche, en 2003, sur une nouvelle réforme.

Contexte

La Politique Agricole Commune respecte les accords de l’OMC, et l’Agenda 2000 a permis de maintenir une dynamique des dépenses du FEOGA de court terme satisfaisante. Mais les instances européennes souhaitent réorienter l’agriculture vers un développement durable depuis les épisodes de la « vache folle » et celui des poulets à la dioxine.

Contenu de la réforme

Cette réforme est bien sûr l’occasion de diminuer les prix garantis de certaines denrées (le riz par exemple), et la diminution d’autres aides. Mais le centre de la réforme concerne le mode d’allocation des subventions aux agriculteurs qui implique le respect de normes environnementales précises. Le Droit à Paiement Unique (DPU) est mis en place et vise à découpler totalement les subventions du type et du niveau de production de l’exploitation.

Néanmoins, cette réforme prévoit que le niveau découplage sur une exploitation donnée soit décidé par les États. Ce qui permet de ne pas laisser la décision du type de culture entièrement à l’agriculteur et ainsi risquer de ne produire qu’une seule denrée sur un territoire étendu.

La commission conditionne ces DPU à la mise en place de normes en matière d’environnement au sens large. Cela concerne ainsi le respect de l’environnement (eau, sol, arbres) et la santé des animaux (nourriture appropriée, conditions d’élevage décentes).

Elle prévoit aussi le renforcement du second pilier qui permettra aux agriculteurs de se mettre aux normes et de respecter ainsi l’environnement. Enfin, elle prévoit l’équilibre budgétaire jusqu’en 2013 en utilisant les subventions aux agriculteurs comme variable d’ajustement.

 

Conclusion

Suite à la surproduction des années 80 conduisant au dérapage budgétaire du FEOGA, les instances européennes, suivis par les États membres, ont décidé de réformer la PAC pour la rapprocher de l’organisation de la politique agricole américaine.

Les réformes de 1992, de l’Agenda 2000 et de 2003 ont ainsi eu pour but de rapprocher le prix à la sortie de l’exploitation du prix de marché. Néanmoins, l’Union a mis en place un système d’aidesdirectes aux agriculteurs. De fait, on ne peut pas parler de réformes libérales puisque l’intervention publique est toujours fondamentale dans l’organisation de l’agriculture européenne, tout comme celle des États-Unis et de l’ensemble des autres grandes puissances agricoles (Canada, Australie par exemple).

Par contre, la réforme de 2003 semble ouvrir une nouvelle aire dans les politiques agricoles puisqu’elle intègre très largement le volet environnemental. On remarque toutefois deux choses. Tout d’abord les revenus des agriculteurs n’ont pas beaucoup augmenté dans l’Union avec la mise en place de la PAC. Ceci signifie que les aides directes sont absolument nécessaires pour maintenir une agriculture rentable. Ensuite, les pays en voie de développement ne resteront pas longtemps inactifs face à la distorsion de concurrence qu’entraîne le versement d’aides directes.

 

 

Notes :

[1] Car il est impossible de mettre en place des quotas puisque la production de viande est très stockable, voir produite sur demande (puisqu’il est possible d’abattre l’animal n’importe quand). De plus, l’animal ne passe pas forcément par l’abattoir ce qui limite les possibilités de contrôle, contrairement au lait qui passe forcément par une laiterie.

[2] Parlement Européen, Le financement de la PAC : le FEOGA. http://www.europarl.europa.eu/facts_2004/4_1_6_fr.htm

[3] Insee, Le poids des aides directes dans le revenu des exploitations agricoles

[4] Nicolas-jean Bréhon, (2010) La PAC en quête de légitimité. Étude disponible sur le site de la fondation Robert Shuman.

[5] Momagri, Tous les pays européens ont besoin de mécanismes de régulation pour soutenir leur agriculturehttp://www.momagri.org/FR/editos/Tous-les-pays-europeens-ont-besoin-de-mecanismes-de-regulation-pour-soutenir-leur-agriculture_703.html

[6] Jean-Pierre Butault, (2004) Les soutiens à l’agriculture : théorie, histoire, mesure