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Panorama des forces et faiblesses de l’industrie agroalimentaire française (Note)

Résumé :

– Ereintées par la crise économique de 2008-2009 qui a épuisé leurs réserves financières, les entreprises de l’industrie agroalimentaire (première industrie de France) ont ensuite subi de plein fouet l’exceptionnelle volatilité des cours des matières premières agricoles.

– Depuis, l’industrie agroalimentaire peine à se redresser de manière significative et sa situation économique reste en effet pénalisée par une érosion tendancielle de la compétitivité et des surcapacités de production persistantes.

– Des leviers de croissance existent néanmoins : une forte qualité des produits, renforcée par une innovation régulière dans le secteur, pourrait venir satisfaire une demande qui serait pour la première fois depuis plusieurs années stimulée par des gains de pouvoir d’achat.

 

 

 

 

Le poids de l’industrie agroalimentaire (IAA) en France n’est plus à démontrer. Avec plus de 18 % du chiffre d’affaires industriel, 16 % de sa valeur ajoutée et près de 500 000 emplois, le secteur compte et pèse fortement dans l’activité économique de notre territoire.

Il compte car il transforme 70 % de notre agriculture et fait vivre de nombreuses exploitations mais aussi parce que 80 % des produits alimentaires consommés en France sont fabriqués localement. L’industrie agroalimentaire compte 98 % de petites et moyennes entreprises (PME) qui participent donc à l’aménagement du territoire français. C’est essentiel quand on sait que sur les 20 dernières années, 80 % des emplois créés l’ont été dans les PME. Enfin, parce que nous avons tous besoin de nous nourrir, l’agroalimentaire est une des valeurs refuges de la France, même en pleine tourmente financière et économique.

A titre d’illustration, fin 2014, la production dans l’industrie alimentaire présentait environ 7 % du PIB français. Les signaux de tensions sur ce secteur ne sont donc pas sans importance pour la croissance de l’activité économique dans son ensemble.

 

 

1)        L’industrie agroalimentaire est en perte de vitesse et est confrontée à de nombreux freins, pour certains structurels

 

L’essor de la grande distribution et sa concentration ont bouleversé le paysage de l’industrie agroalimentaire. Le secteur de la grande distribution s’articule autour de 7 enseignes principales alors que le secteur des IAA reste lui très émietté, comptabilisant près de 16 000 entreprises, pour 98 % de PME.

La donne a radicalement changé : le consommateur est plus influent et la grande distribution s’est renforcée. La défense du « pouvoir d’achat » du premier cité est devenue le cheval de bataille du second.

 

     a) L’exceptionnelle durée de la crise, couplée à la hausse du prix des matières premières, a fragilisé la situation financière de l’IAA

 

L’excédent brut d’exploitation des entreprises de l’IAA s’est considérablement réduit depuis trois ans et se rapproche mi-2015 du creux atteint en 2009, au plus fort de la crise financière. Le secteur agroalimentaire est ainsi l’un de ceux qui a vu ses marges s’effriter de manière la plus importante depuis 7 ans. L’envolée du prix des matières premières (+150 % de hausse en 10 ans) est l’un des facteurs, mais il n’est pas le seul. La hausse de la fiscalité agroalimentaire, qui s’est intensifiée à partir de 2012, pèse également sur les marges des industriels de l’IAA.

 

 

Dans cette chaine de valeur sous tension, les maillons les moins bien armés pour défendre leurs positions sont les premiers à souffrir. Depuis 2013, dans un contexte de modestie du point d’achat et de faiblesse de la consommation des ménages, la grande distribution s’est lancée dans une course effrénée aux prix les plus bas. Lorsqu’un marché global ne croit pas, la meilleure manière de progresser est de capter des parts de marchés aux concurrents. Chacun des  grands acteurs de la distribution s’efforce donc d’être le plus compétitif sur les prix, érigé comme socle principal, voire unique, de la politique commerciale des enseignes. Or, cette concurrence par les prix, en raison du grand déséquilibre du rapport de force mentionné précédemment est essentiellement financée par les fournisseurs qui n’ont souvent d’autre solution que d’accéder aux exigences tarifaires des distributeurs de peur d’être déréférencés.

 

 

 

 

Dans ce contexte, les industries agroalimentaires doivent faire face aujourd’hui à l’érosion de leurs profits. Cette illustration de la perte de compétitivité des entreprises de l’IAA est inquiétante.

 

b) Cette dégradation des performances économiques et financières pèse sur la capacité d’innovation et d’investissement des entreprises de l’IAA

 

Pour une entreprise, l’investissement mesure sa capacité à se projeter vers l’avenir. Dans l’IAA, la conjoncture, fortement dégradée depuis l’été 2015, altère fortement la visibilité et la confiance des industriels en l’avenir. L’ensemble de ces facteurs les incitent à différer leurs investissements en 2015. L’année précédente, l’investissement des IAA progresserait moins vite qu’en 2014 (1 % prévu à l’issue du mois d’octobre contre 3% estimé pour 2014), alors qu’une accélération était attendue au début de l’été 2015 (9 % anticipé en juillet).

 

 

 

L’IAA souffre, comme tout le tissu économique, d’un surplus de capacité de production. Les perspectives de demandes peinent à se redresser (consommation atone et en repli sur longue période, faible investissement) et laissent les capacités de production partiellement utilisées.

Comme corolaire, l’ensemble des branches industrielles observe une perte de près de 800 000 emplois depuis 2000, soit 19 % des effectifs observés cette année-là. L’industrie agroalimentaire, elle, constate un repli de 16 000 emplois soit 3,2 % de ses emplois salariés de l’époque. L’industrie agroalimentaire résiste donc globalement mieux que le reste de l’industrie, avec des emplois répartis sur le territoire.

 

c) La dégradation de la compétitivité française se mesure par une perte de part de marché à l’exportation

 

La part de marché de l’IAA de la France recule dans presque toutes les régions du monde, à l’exception de la Chine, de Taiwan, de Hong-Kong, de la Corée du Sud et du Japon. Le recul le plus significatif se produit dans la zone d’Afrique du Nord, Proche-Orient et Moyen-Orient. La France contrôlait moins de 9 % des importations de cette zone en 2013 contre près de 13 % en 2005 1 . Comparable à celui de la zone euro en 2004, le solde commercial de l’industrie alimentaire française est aujourd’hui quatre fois plus faible. Le déficit s’est notamment creusé s’agissant des produits agroalimentaires hors boissons et tabac (-2,8 Md€ en 2014).

 

 

 

 

2)        Des leviers de croissance existent toutefois dans l’IAA

 

a) L’innovation constitue un levier essentiel de la compétitivité et de la responsabilité des entreprises de l’IAA.

 

Les entreprises alimentaires l’actionnent de manière régulière : plus de 3000 innovations « produits » sont mises sur le marché dans le secteur alimentaire chaque année. Tous les 5 ans, un demi-supermarché est ainsi renouvelé. Au total, près de 61 % des entreprises alimentaires ont innové en 2010 (contre 54 % dans les autres industries2) . A noter également, que dans le secteur alimentaire, deux innovations sur trois ont un impact positif sur l’environnement3.

Cette activité d’innovation possède toutefois une marge de progression importante. Outre un investissement qui ne serait pas suffisamment productif dans l’IAA, la dégradation de la performance des entreprises pourrait également provenir d’un manque d’innovation technologique, notamment l’innovation de produit, qui permet la diversification face à la concurrence.

L’importance de la recherche scientifique dans l’économie est généralement incontestée. Les dépenses de R&D des entreprises, non comptabilisées dans le taux d’investissement4, apparaissent comme un bon indicateur de la capacité d’innovation technologique. Les entreprises de l’IAA consacrent encore une faible part de leur chiffre d’affaires à la R&D : 0,7 % contre 2,3 % pour l’ensemble des entreprises5.

Dans l’IAA, ce sous-investissement s’explique notamment par une défaillance de marché sur le financement de l’activité. Dans l’industrie agroalimentaire, le financement en fonds propres passe davantage par des financements publics6. L’émiettement du paysage de l’industrie agroalimentaire, rend en effet la présence d’investisseurs habituels du capital investissement, principal mode de financement des firmes innovantes,  peu fréquente 7.

Pour les entreprises agroalimentaires, les difficultés portent principalement sur la complexité administrative des systèmes de financement et multiplicité des interlocuteurs. Si une entreprise veut pouvoir bénéficier d’une aide, elle doit pouvoir :

o          Identifier le système de soutien adapté à son projet. Cela passe par la connaissance du millefeuille des organismes publics de financement (BPIfrance, agences régionales de développement, pôles de compétitivité, ANR…).

o          Etre capable d’utiliser la forme et le vocabulaire exigés par les commissions d’expert. Le plus souvent, il est nécessaire de faire appel à des sociétés qui en connaissent les mécanismes pour faciliter l’acceptation des dossiers.

Il demeure ainsi important de mieux orienter les entreprises de l’IAA face à ce mille-feuille que constitue les aides à l’innovation, d’autant que d’un point de vue macroéconomique, le manque de fonds personnels et la cherté des activités d’innovation constituent le premier frein à l’innovation des PME.

 

b) Le redressement de la confiance et du pouvoir d’achat récemment observés pourraient stimuler la demande de produits agroalimentaires

 

Contrairement aux idées reçues, la consommation alimentaire des ménages s’inscrit dans la catégorie des « dépenses arbitrables », dont l’évolution reste déterminée par le pouvoir d’achat. Dans un contexte de pouvoir d’achat timide, la consommation alimentaire a très nettement ralenti ces dernières années. La baisse très sensible du prix du période, observable depuis mi-2014 et qui s’est prolongée ces dernières semaines stimule le pouvoir d’achat, ce qui pourrait être favorable à une reprise des dépenses d’un point de vue prospectif.

Vecteur important de consommation, la confiance des ménages s’est également graduellement redressée depuis plusieurs mois. En particulier, les perspectives de niveau de vie atteignent un niveau inobservé depuis 2007.  L’opportunité d’achat se redresse également, témoignant d’une plus grande appétence à la consommation et un repli des comportements de précaution. Ces facteurs pourraient ainsi enrayer le recul structurel des dépenses alimentaires dans le budget des ménages. Depuis plus de 30 ans, le poids de l’industrie agroalimentaire dans le budget des ménages s’est en effet réduit. Il a perdu au total 4 points depuis 1975.

 

 

 

Conclusion

Si l’industrie agroalimentaire suit le même mouvement d’affaiblissement que le reste de l’industrie, elle a cependant montré sa volonté de résister : moins de pertes d’emplois, un chiffre d’affaire qui poursuit sa progression, un solde commercial qui est le deuxième contributeur à la balance commerciale française, un ancrage sur le territoire qui permet à chacun de trouver un emploi à proximité, une forte qualité de produits, un débouché plus qu’important pour l’agriculture française.

 

 

Notes:

[1] Source : Think Tank agroalimentaire des Echos, quels chantiers pour restaurer la compétitivité de la filière alimentaire française, édition 2015

[2] Source : Enquête CIS (2012), Eurostat

[3] Source : Agreste (2011) « l’agroalimentaire innove en faveur de l’environnement »

[4] En France, les dépenses engagées pour la recherche sont généralement comptabilisées en charges lorsqu’elles sont encourues.

[5] Source : Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, bureau des études statistiques sur la recherche, rapport IGF/CGAAER

[6] Source :Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Foret, Panorama des industries agroalimentaires, édition 2014

[7] Dans le secteur agroalimentaire, les investisseurs habituels du capital investissement sont peu présents. Au 31 décembre 2010, parmi les 3 326 entreprises pour lesquelles, l’AFIC (association française des investisseurs pour la croissance) dispose des codes NAF (sur 4 525 entreprises au total) seulement 36 ont une activité dans le secteur de l’agroalimentaire (soit 1,1 %). Entre le 1er janvier 2003 et le 30 juin 2011, pour les 2 828 entreprises ayant été investies par le Capital Investissement français et pour lesquelles l’AFIC dispose du code NAF (sur 6 538 au total), seulement 44 ont une activité dans le secteur de l’agroalimentaire (soit 1,6 %).