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Politique de cohésion et inégalités régionales en Europe

 

Politique de cohésion et inégalités régionales en Europe

 

 

 

Résumé :

·       La politique régionale (ou politique de cohésion) représente un tiers du budget de l’Union Européenne (UE) et a pour but de réduire les écarts entre les régions les plus développées et les régions les plus pauvres.

·       Ses financements et ses objectifs visent à lutter contre les forces d’agglomération industrielle, illustrées par les modèles de la nouvelle économie géographique, et qui conduisent à une croissance des inégalités régionales.

·       Cependant, bien que les inégalités tendent à se réduire entre les pays de l’UE, elles augmentent entre les régions au sein de plusieurs pays, ce qui fait apparaître une divergence entre les dynamiques d’égalité des territoires et la croissance économique globale des pays.

·       De nouvelles priorités pour la politique régionale doivent être mises en avant, notamment concernant le financement des infrastructures publiques, la mobilité des travailleurs et la diffusion des innovations.

 

La crise des dettes souveraines en zone euro a mis en avant l’échec de la convergence réelle entre les structures économiques des pays dits du « coeur » et des pays en transition. Au niveau régional, l’intégration économique et financière de régions hétérogènes au sein d’un marché unique n’a pas permis aux régions les moins avancées à opérer un rattrapage économique équilibré.

 

En nous intéressant aux modèles de la nouvelle économie géographique, nous pouvons tirer quelques conclusions du développement des inégalités entre les régions en Europe, et formuler des pistes de réformes pour la politique régionale européenne, qui représente 1/3 du budget de l’UE.

 

1.    Qu’est-ce que la politique régionale européenne ?

 

La politique régionale européenne naît dès 1957 avec le traité de Rome, mais c’est à partir des années 1980 et avec l’entrée de la Grèce (1981), de l’Espagne et du Portugal (1986) qu’elle devient une des politiques majeures de l’UE. En particulier, elle vise à « réduire l’écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées ». Elle se définit donc comme un moteur de la convergence économique. Cet objectif de « rattrapage » s’accentue depuis l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale entre 2003 et 2013. Cette politique régionale mobilise aujourd’hui un total de 350 milliards d’euros, soit un tiers du budget de l’UE (graphiques 1a et 1b).

 

La politique régionale européenne – ou politique de cohésion – est constituée de plusieurs fonds destinés à atteindre différents objectifs. Le fonds de cohésion est à destination des Etats Membres les moins riches (RNB inférieur à 90% de la moyenne de l’UE) et finance en priorité des projets liés aux infrastructures de transport et d’énergie. Le Fonds européen pour le développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE) visent en priorité les investissements dans le capital humain, l’innovation et la modernisation administrative, et sont répartis dans les régions européennes à travers trois objectifs:

 

·       L’objectif 1 « convergence », concerne les régions les moins développées de l’UE (dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne de l’UE);

 

·       L’objectif 2 « Compétitivité et emploi » est destiné aux régions qui ne sont pas couvertes par l’objectif 1 (il s’agit notamment des régions en transition et des régions les plus développées,);

 

·       L’objectif 3 « Coopération territoriale » vise à renforcer la coopération entre les territoires pour le développement urbain et économique, et la préservation de l’environnement.

 

Près des ¾ des fonds de la politique de cohésion sont à destination des régions les plus pauvres et du fonds de cohésion.

 

Sources : DG REGIO, BSI Economics

 

Mais la politique régionale n’a pas vocation à être une politique de transferts. Les fonds structurels sont alloués au financement d’infrastructures, notamment de transport, afin de réduire les coûts de transaction[1]. La réduction des disparités régionales en termes d’infrastructures est une des priorités de la Commission européenne. L’influence des choix de localisation des activités industrielles est censée permettre aux régions périphériques de bénéficier de leur intégration au marché unique européen.

 

Les modèles néo-classiques de la convergence (avec rendements décroissants) prévoient que, dans un marché à forte intégration commerciale et financière, les régions les plus faiblement dotées en capital opèrent leur rattrapage de manière automatique car elles offrent des rendements supérieurs[2] aux régions développées, et attirent ainsi les capitaux. Or, la politique de cohésion européenne s’inscrit dans une vision différente et justifie les transferts en direction des régions les moins développées en s’appuyant sur les modèles de la nouvelle économie géographique[3]. Ces modèles prévoient au contraire que les régions les plus avancées offrent de meilleurs rendements, notamment du fait de coûts de transaction plus faibles, d’un plus important stock de capital et de meilleures infrastructures publiques. Les facteurs de production mobiles (capital physique notamment, mais aussi immatériel) auraient ainsi tendance à s’agglomérer pour bénéficier d’économies d’échelles et d’une meilleure diffusion des connaissances, au détriment des régions périphériques. Les transferts de la politique de cohésion visent donc à contrer ces mécanismes.

 

Enfin, la faible mobilité des travailleurs les moins qualifiés en Europe tend à accentuer les inégalités en termes de revenu et de taux de chômage en cas d’agglomération des activités productrices dans des régions coeur. Les facteurs géographiques seraient donc une importante composante des inégalités interrégionales.

 

La politique régionale européenne ne considère donc pas la vision traditionnelle de la convergence économique comme suffisante et vise à permettre aux habitants des régions les moins développées de bénéficier des avantages du marché unique.

 

2.     Agglomération et inégalités régionales en Europe

 

Qu’en est-il alors des inégalités régionales en Europe ? De nombreuses études[4] montrent que l’Europe a connu depuis les années 1980 un processus parallèle de convergence au niveau national mais de divergence au niveau régional au sein des Etats membres. En utilisant des indicateurs de dispersion comme le coefficient de variation (écart-type divisé par la moyenne), ces études mettent en avant la déconnexion des dynamiques nationales et régionales en termes de PIB/habitant et de chômage. En utilisant des données plus récentes, on remarque en effet que sur la période 2000-2011, la dispersion des niveaux de PIB/habitant diminue entre les Etats Membres de l’UE, tandis qu’elle augmente entre les régions au sein des ensembles nationaux (Graphique 2a)[5].

 

Cependant, cela ne signifie pas que les inégalités régionales en termes de niveau de vie ont augmenté partout. Dans les pays du coeur de la zone euro[6], les inégalités régionales ont plutôt diminué sur la période (Graphique 2b). De plus, lorsque l’on s’intéresse à la dispersion du revenu disponible net des ménages[7] (après transferts sociaux, Graphique 2b), on remarque que les inégalités sont bien moindres et qu’elles tendent aussi à se réduire. L’importance des mécanismes de redistribution nationaux a permis de corriger les inégalités géographiques de production de richesse. La croissance des inégalités régionales en termes de production ne semble pas forcément s’accompagner d’une croissance des inégalités individuelles.

 

Sources: Eurostat, Macrobond, BSI Economics

 

Comment expliquer cette déconnexion entre les dynamiques nationales et infra-nationales ? Il semblerait que les Etats Membres suivent la trajectoire de rattrapage prévue par les théories classiques de la convergence tandis qu’au sein des pays les forces d’agglomération définies par les modèles de la nouvelle économie géographique jouent davantage. La présence d’économies d’échelles et d’externalités positives liées à la facilité de diffusion des connaissances dans les domaines de la recherche, de l’innovation, de la diffusion des connaissances, de la mise en commun d’infrastructures publiques et de taille de marché entraîne une agglomération des centres de production. Ces phénomènes sont plus importants au niveau infranational car il existe toujours d’importants obstacles pour les entreprises à se délocaliser à l’étranger. Par exemple, on peut citer les coûts de transport, la concurrence, l’éloignement des marchés et, plus généralement, une faible mobilité des facteurs de production dans l’UE à laquelle s’ajoute certaines politiques publiques favorisant la développement de « clusters » notamment dans le domaine de la R&D. Ces mécanismes auto-entretenus entraînent donc une croissance des disparités régionales en termes de PIB/habitant, la productivité du travail et du capital étant supérieure dans certaines régions « coeur », au détriment des régions en transition.

 

Ces phénomènes d’agglomération semblent cependant bénéfiques pour la croissance globale des Etats membres. Ils permettent un partage plus efficace des infrastructures et des réseaux de production, un meilleur appariement du marché du travail (liens entreprises – centres de formation) et une meilleure diffusion des innovations. Les gains d’efficacité réalisés par ces économies d’échelle permettent aux pays en rattrapage de croître plus vite, d’où une convergence des niveaux de PIB/habitant au niveau national.

 

On voit apparaître ici une divergence entre les dynamiques d’égalité régionale et de croissance globale du pays. En effet on remarque (Graphique 3a) que sur la période 2000-2011 les inégalités régionales ont davantage augmenté dans les pays ayant adhéré le plus récemment à l’UE. Dans les pays de la « convergence » (Z EURO transition[8]), ces inégalités ont aussi augmenté, tandis qu’elles ont diminué dans les pays du coeur de la zone euro. Le parallèle entre le taux de croissance annuel moyen et l’augmentation des inégalités sur la même période met en avant cet arbitrage : les pays ayant connu la plus forte croissance sur la période 2000-2011 sont ceux qui ont connu la plus importante augmentation des inégalités régionales (Graphique 3b[9]). Ces dynamiques illustrent l’apparition d’un arbitrage entre un développement régional équilibré et croissance économique rapide dans une optique de convergence.

 

Les objectifs de la cohésion européenne ne sont pas ceux d’une croissance économique maximisée des Etats-membres mais bien d’un développement économique partagé par toutes les régions. Cela explique que, du point de vue la rentabilité économique, les fonds de la politique économique ne sont pas destinés aux zones les plus productives.

 

Sources : Eurostat, BSI Economics

 

3.    Quelles priorités pour la politique régionale ?

 

On peut évoquer quatre axes de réformes pour la politique régionale européenne :

 

1. Mettre l’accent sur les infrastructures de production et d’innovation plutôt que sur la diminution des coûts de transport. La diminution des coûts de transport de marchandises entre régions peut avoir des conséquences néfastes pour la région la moins riche car elle permet aux entreprises de cette région de migrer vers les pôles les plus productifs pour bénéficier des effets de spillovers[10], tout en conservant l’accès au marché dans la région d’origine. Les investissements devraient être alloués en priorité au développement d’infrastructures pour attirer les entreprises dans les régions périphériques : transports intra-régionaux, centres de formation, de recherche etc…

 

2. Favoriser la diffusion et l’appropriation des connaissances, des innovations. Des politiques visant à améliorer les systèmes de télécommunication, la formation professionnelle, l’égalité dans l’accès au crédit pour les entreprises (pour favoriser les investissements) ou la modernisation administrative peuvent permettre aux régions les moins riches de mieux capter et de mieux s’approprier les effets de spillovers des régions du coeur.

 

3. Favoriser la mobilité des travailleurs. Pour éviter la croissance des inégalités pesant sur les travailleurs les moins mobiles, la politique régionale pourrait faciliter l’accès au logement (mobilité des droits aux logements HLM en France par exemple[11]) ou les équivalences de droits sociaux (prestations sociales, droits à la formation, cotisations pour la retraite). Cela permettrait premièrement aux entreprises localisées dans les régions les moins favorisées d’attirer des travailleurs qualifiés, d’où un meilleur appariement du marché du travail. Deuxièmement, cela permettrait de réduire les inégalités en termes de taux de chômage et de PIB/habitant si les travailleurs suivent les entreprises là où elles créent des emplois.

 

4. Compléter les transferts nationaux. La politique régionale doit permettre de renforcer un critère géographique dans l’allocation des transferts au sein de chaque pays pour ceux qui ne peuvent pas bénéficier des gains du marché unique, les travailleurs les moins mobiles, et la reconversion sectorielle des régions en déclin.


Conclusion

 

Il est très difficile d’estimer l’impact précis des instruments de la politique européenne de cohésion sur la croissance des régions et sur la réduction des inégalités régionales en Europe. Bien qu’on assiste à une convergence des niveaux de PIB/habitant au niveau des pays européens, les forces d’agglomération industrielle semblent favoriser les gains de productivité dans les régions les mieux dotées en capital, et ainsi empêcher un rattrapage équilibré des régions les moins riches, d’où une croissance des inégalités régionales.

 

En influençant les choix de localisation des entreprises ou en favorisant les mécanismes de diffusion des gains de productivité et de partage des richesses, la politique de cohésion pourrait lutter plus efficacement contre la croissance des inégalités entre les régions.

 

 

Bibliographie

·       Askenazy P., Martin P., Promouvoir l’égalité des chances à travers les territoires, Les notes du conseil d’analyse économique, n°20, février 2015

·       Farole T., Rodriguez-Pose A., Storper M., Cohesion policy in the European Union: growth, geography, institutions, Working Paper, London School of Economics, février 2009

·       Grasland C., Les inégalités régionales dans une Europe élargie, Les incertitudes du grand élargissement : l’Europe centrale et balte dans l’intégration européenne, L’Harmattan, 2004

·       Krugman P., Increasing returns and Economic Geography, Journal of Political Economy, vol.99, juin 1991

·       Martin P., A quoi servent les politiques régionales européennes ?, Journal of Japanese and International Economies, 2000

·       Martin P., The geography of inequalities in Europe, Swedish Economic Policy Review, n°12, 2005

·       Martin P.,Convergences des richesses, cumul des handicaps : les effets de la mondialisation sur les territoires, Revue Esprit, juin 2007

·       Marzinotto B., Effect of EU cohesion policy: a meta-analysis, Bruegel working paper, n°14, 2012

·       Puga D., European Regional Policies in Light of Recent Location Theories, Journal of Economic Geography, 2002

·       Quah D.T., Twin Peaks: growth and convergence in Models of Distribution Dynamics, Economic Journal, 1996



[1]Ensemble des coûts directs (commissions) ou indirects (procédures) qui limitent l’efficience des marchés (équilibre entre offre et demande)

[2]Loi des rendements décroissants, les gains de productivité sont supérieurs dans les régions plus faiblement dotées en capital et en travail, jusqu’à ce qu’elles rattrapent le niveau des régions plus avancées.

[3]Krugman (1991)

[4]Quah (1996), Puga (1999), Martin (2005)

[5]Entre les pays : coefficient de variation des niveaux nationaux de PIB/habitant, base 100 en 2000. Au sein de pays : moyenne des coefficients de variation des niveaux de PIB/habitant des régions dans chaque pays, base 100  en 2000. Les petits pays à 2 ou 3 régions sont exclus de l’analyse.

[6]Belgique, Allemagne, France, Pays-Bas, Autriche, Finlande

[7]Revenu primaire (salaire, propriété) – impôts – cotisations sociales + prestations sociales

[8]Grèce, Espagne, Italie, Portugal, Slovaquie

[9] Echelle de gauche: TCAM = taux de croissance annuel moyen

[10]Partage de l’innovation, des infrastructures publiques, diffusion des connaissances, des pratiques, taille de marché etc…

[11]Askenazy et Martin (2015)