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Les réformes structurelles peuvent-elles relancer la croissance ? (Etude)

Résumé :

•      Les réformes structurelles augmentent la croissance potentielle et l’emploi de long terme ;

•      La dérégulation a davantage ciblé les marchés de biens et services que le marché de l’emploi pour les pays de l’OCDE ;

•      Leur efficacité à court terme est incertaine : en fonction de la conjecture, certaines politiques peuvent être récessives.

 

Les politiques qui visent à réformer les marchés de l’emploi et des biens et services sont avancées comme des outils pour relancer la croissance des pays avancés, particulièrement en Europe. En agissant sur l’offre, de telles réformes structurelles délivrent des effets positifs sur la croissance et l’emploi à long terme en permettant une meilleure allocation des facteurs de production. Mais les effets de court terme sont plus incertains, voire récessifs sous certaines conditions.

 

Pourquoi mener des réformes structurelles ?

On entend par ce type de réformes celles qui transforment la structure des marchés de l’emploi et de biens et services. Pour les premières, elles peuvent consister à changer le cadre législatif dans lequel les entreprises licencient ou embauchent les travailleurs, ou le régime de l’assurance chômage. Pour les deuxièmes, un exemple de réforme structurelle est la dérégulation d’un secteur comme le commerce de détail ou les industries de réseaux.

Ces politiques sont donc des chocs positifs d’offre, qui combattent les distorsions comme l’apparition de rentes sur un marché oligopolistique (télécommunications), ou qui changent la manière dont les institutions déjà en place fonctionnent (comme l’assurance chômage).

Le déclin en termes de croissance potentielle et de la productivité pour les économies développées donnent une pertinence à ce type d’action. Particulièrement parce que ce phénomène est attribuable à des causes structurelles plus que conjoncturelles. Bien qu’aggravé par la crise de 2008, ce ralentissement dans la productivité s’est amorcé dès les années 2000[i].Les pays d’Europe périphérique illustraient bien cette tendance avec des caractéristiques symptomatiques de faiblesses structurelles : appréciation du taux de change réel, hausse du déficit courant ou encore augmentation des prix des biens non-échangeables. Parmi celles-ci, on peut citer des pertes de compétitivité-prix ou l’apparition de rentes et rigidités dans les secteurs privés et publics, qui ont contribué à ce que ces pays soient très durement touchés par la crise de la dette (2009-2012). C’est pourquoi les réformes structurelles sont avancées notamment par l’OCDE et le FMI comme un levier non négligeable pour relancer la croissance.

 

En quoi consistent-elles ?

Pour les réformes qui visent les marchés de biens et services, on cherche par exemple à faciliter leur accès aux nouvelles entreprises face à celles déjà en place, et en parallèle à faire en sorte que les firmes les moins productives quittent le marché. Ces réformes, en améliorant la concurrence, doivent permettre de diminuer le coût payé par les consommateurs. De même, on peut chercher à diminuer les coûts administratifs des entreprises et des investisseurs afin d’augmenter les investissements directs à l’étranger (IDE) et le commerce. En favorisant l’investissement et l’innovation, ces réformes augmentent la productivité et la croissance de long terme.

La plupart des économies avancées ont déjà adopté des réformes de dérégulation visant à augmenter la compétition, mais pas pour tous les secteurs[ii].Si les industries de réseaux (ferroviaire,  électricité, télécommunications, poste…) ont été massivement dérégulées, les réformes pour le commerce de détail et les services ont stagné (graphique 1).

Graphique 1 Régulation sur le marché des biens et services

Indicateur composite de 0 à 6, des scores proches de 6 indiquent une forte régulation, proches de 0 une absence de régulation. Valeur médiane pour les pays de l’OCDE.

Sources : FMI, OCDE, BSI-Economics

Par définition, les réformes structurelles sur le marché de l’emploi répondentà un objectif de réduction du chômage structurel. Par exemple, réduire la durée et le niveau de l’assurance chômage, soutenir les dépenses actives de l’emploi[iii]sont des exemples de politiques qui cherchent à réduire le chômage sur le long terme en facilitant le retour au travail et en incitant à la recherche d’emploi. On peut aussi chercher à faciliter les procédures de licenciements en plafonnant les indemnités prud’homales ou en assouplissant le cadre du licenciement économique, mesure présente dans la loi El Khomri en France par exemple. La logique derrière cette réduction de la protection de l’emploi est qu’en réduisant l’incertitude autour du licenciement, les entreprises gagneraient en flexibilité pour ajuster leur masse salariale en temps de crise et donc seront plus enclines à embaucher. La régulation sur le marché de l’emploi est bien plus constante que sur les marchés de biens et services, les institutions étant stables et difficiles à réformer (graphique 2). A la source de cette rigidité, on peut évoquer des préférences sociétales qui évoluent peu à travers le temps, à la source de différents modèles de négociations salariales entre les pays par exemple.

Graphique 2 Régulation sur le marché de l’emploi

Protection de de l’emploi (axe de gauche) : Indicateur composite de 0 à 6, des scores proches de 6 indiquent une forte régulation, proches de 0 une absence de régulation. Valeur médiane pour les pays de l’OCDE.

Dépenses actives de l’emploi (axe de droite) : en % du PIB, valeur médiane pour les pays de l’OCDE.

Sources : FMI, OCDE, BSI-Economics

 

Des effets de court terme incertains

Comment se positionne la science économique quant à l’impact de telles réformes à court et à long terme ? Pour les effets de long terme, le bilan est de manière générale positif : une refonte structurelle des marchés de biens et services et du marché de l’emploi permettrait un gain de PIB de près de 10% en moyenne pour les pays de l’OCDE à un horizon de 10 ans[iv].

Mais lorsque l’on s’intéresse aux effets de court terme, le bilan est plus mitigé (tableau 1). En particulier pour les réformes qui visent le marché de l’emploi, dont l’impact immédiat dépend de la conjecture et du policy mix en place (choix de politiques budgétaire et monétaire). Notamment, les réformes qui facilitent les licenciements ou qui favorisent la compétitivité peuvent avoir des effets récessifs à court terme : si les licenciements, restructurations et sorties de marché des entreprises sont immédiats (déclenchés au moment de la réforme), les embauches et les entrées ne sont que graduelles. Le séquençage des réformes structurelles apparait donc clé, comme développé plus bas.

L’intérêt pour ce type de réforme a donné naissance à une littérature théorique qui simule leur impact sur l’économie, sous différents scénarios. Par exemple, les travaux de Cacciatore et al. se basent sur un modèle d’équilibre général dans lequel différents types de réformes sont implémentées :[v]

1.  une réforme pro-compétitive du marché des biens (diminution des barrières à l’entrée) ;

2.  un assouplissement de la protection de l’emploi (diminution des coûts de licenciements) ;

3.  une réduction des indemnités de chômage ;

4.  une augmentation des dépenses actives pour l’emploi (qui rendent le marché de l’emploi plus efficient).

Le modèle est calibré pour simuler le comportement de l’économie de la Zone euro, et trois scénarios sont considérés :

A.   une situation macroéconomique « normale » de référence

B.   une situation de crise où la politique monétaire fonctionne normalement

A.   une situation de crise où la politique monétaire est non fonctionnelle (avec une trappe à liquidité où le taux d’intérêt nominal est à 0)

 

Tableau 1 Impact des réformes

Sources : FMI, OCDE, BSI-Economics

Un signe + indique un effet positif sur la croissance et/ou l’emploi. Un signe – indique un effet négatif, un signe -/- – un effet négatif voire très négatif suivant les sources.

 

L’importance de la conjecture

Les quatre types de réformes améliorent la production et l’emploi à long terme : à un horizon de 10 ans, menées ensemble, elles délivrent un gain d’environ 2,5 % de PIB et une réduction de 2 % du chômage. En revanche, elles ne portent leurs fruits que graduellement et certaines ont des effets négatifs à court terme.

La réforme du marché des biens (1) a un effet positif à court terme (dans les 2 ans qui suivent la réforme) sur la croissance et l’emploi. De même, la réforme 4 (dépenses actives pour l’emploi) permet un retour plus rapide à l’emploi des chômeurs et donc une meilleure reprise économique. Elle est même plus efficace en scénario de crise (B ou C).

Mais les réformes qui visent à réduire la protection de l’emploi et l’assurance chômage ont un impact négatif sur l’emploi et la croissance à court terme dans les scénarios B et C. Mener ces types de réformes, lorsque la conjecture est mauvaise, affaiblit la demande et retarde la reprise. Pour la réforme 2, les licenciements sont immédiats[vi] mais contrebalancés uniquement dans la durée par les réembauches, une fois que la reprise est amorcée. Ainsi les licenciements ont lieu au mauvais moment, lors de la récession. Pour la réforme 3, la réduction des indemnités est censée inciter au retour à l’emploi. Mais il n’a lieu que lorsque l’offre d’emploi des entreprises repart à la hausse, soit une fois la crise terminée. Entretemps, la perte de revenu associée à la réduction des indemnités est instantanée ce qui contracte encore plus la demande agrégée déjà déprimée, comme cela a été le cas en Espagne au début des années 2000.

Ainsi, le séquençage des réformes structurelles est particulièrement important. En temps de crise (scénarios B et C), une réforme du marché des biens et des politiques actives sur le marché de l’emploi sont à privilégier (politiques 1 et 4). En situation « normale » (scénario A), il est temps de réformer l’assurance chômage et la protection de l’emploi (politiques 2 et 3). Ces résultats théoriques sont à mettre en perspective : par exemple, les réformes Hartz menées en Allemagne dans les années 2000 (qui comprenaient notamment une réduction de l’assurance chômage et de la protection contre le licenciement) ont été implémentées alors que la conjecture nationale était fortement dégradée. Mais ces réformes ont été facilitées par une conjecture internationale favorable. De même, les réformes structurelles ont plus de chance d’être efficaces rapidement si les pays voisins ne les implémentent pas en même temps, réduisant les effets symétriques indésirables.

L’importance de la politique monétaire

Les résultats de Cacciatore et al.sont peu sensibles au fonctionnement de la politique monétaire, soit la différence entre les scénarios B et C. Eggertsson et al. nuancent ce constat[vii]. Ils considèrent, dans un  modèle similaire, l’impact d’une réforme structurelle qui a des effets récessifs à court terme similaires à ceux des politiques 2 et 3 présentées plus haut. Ils montrent que lorsque la politique monétaire est fonctionnelle (hors de la trappe à liquidité[viii]), la banque centrale peut diminuer le taux d’intérêt et ainsi adoucir les effets déflationnistes de la réforme à court terme. Mais lorsque la politique monétaire n’est plus fonctionnelle, elle ne peut pas combattre de tels effets récessifs. Ainsi, en plus de l’importance des conditions macro-économiques, le fonctionnement de la politique monétaire et sa transmission à l’économie réelle sont des critères importants à considérer lorsqu’une réforme structurelle est mise en place.

Le rôle des annonces

En revanche, les deux articles se rejoignent sur l’importance de la crédibilité gouvernementale et des effets d’annonce. Par exemple, comme énoncé plus haut, faciliter le licenciement en temps de crise conduit à une situation où les entreprises peuvent licencier sans trop de contraintes et réembauchent lors de la reprise. L’effet est procyclique et aggrave la récession. Si, au contraire, il est annoncé de manière crédible qu’une telle réforme serait implémentée à moyen terme, en sortie de crise, alors les entreprises peuvent réembaucher de manière proactive puisqu’elles savent qu’elles pourront plus facilement rompre ces contrats une fois la réforme mise en place. Même si, en tous cas en France, le coût potentiel d’un futur licenciement n’est pas le seul critère pris en compte par les entreprises lorsqu’elles envisagent d’embaucher.

Réformer dans une union monétaire ?

Une étude théorique récente de Gali et al.conteste aussi l’efficacité des réformes qui favorisent la flexibilité salariale pour les pays d’une union monétaire[ix]. La flexibilité des salaires est vue traditionnellement comme une manière de retrouver de la compétitivité en cas de choc négatif. La baisse des salaires permet la baisse des prix et donc une dépréciation réelle qui relancerait l’économie. C’est notamment utile dans une union monétaire où le taux de change ne peut pas être utilisé. Les réformes structurelles qui réduisent la rigidité des salaires seraient donc pertinentes dans ce contexte, ce qui explique qu’elles aient été implémentées dans les programmes d’ajustement (Grèce, Portugal, Espagne etc…). Mais Gali et al.montrent que ce mécanisme a été très inefficace en Zone euro : la politique monétaire étant centralisée et avec un mandat portant uniquement sur la stabilité des prix dans la zone de manière agrégée, l’ajustement des prix a été modéré dans ces pays. Les pertes de pouvoir d’achat liées à la diminution des salaires ont eu lieu, mais pas les gains de compétitivité.

Quelles sont les analyses empiriques ?

Les travaux empiriques sur les réformes structurelles confirment de manière générale ces résultats théoriques. Le FMI, en se fondant sur des bases de l’OCDE,recense les politiques structurelles menées dans les économies avancées depuis 1970 et évalue leur impact quantitatif sur de grandes variables macroéconomiques (emploi, production, inflation…)[x]. En particulier, on cherche ici à établir quelles réformes sont statistiquement signifiantes pour expliquer une reprise économique ou une hausse de l’emploi par exemple. Dans l’analyse, les réformes des marchés de biens et services, comme la dérégulation des industries allemandes de réseaux en 1998, ont un impact positif à moyen terme, et ce même lorsqu’elles sont menées en temps de crise. Cependant, les politiques qui visent à faciliter les licenciements (comme celle mise en place en Espagne en 1990) n’ont (statistiquement) pas d’impact, voire un impact négatif lorsque l’on prend en compte des conditions macroéconomiques défavorables. Enfin, l’étude montre que réduire la générosité de l’assurance chômage a un effet positif sur l’emploi à long terme (en particulier si des politiques actives sont menées de pair), au prix d’un effet négatif sur la croissance à court terme.

 

Conclusion

Les organisations internationales appellent de leurs vœux des réformes structurelles pour remédier à la déflation et une croissance atone, particulièrement en Europe. Certaines politiques sont efficaces, par exemple celles qui concernent les marchés des biens. Mais d’autres, comme celles qui touchent le marché du travail, ne paient que graduellement voire ont un effet négatif à court terme. Leur efficacité est conditionnée à de bonnes conditions macroéconomiques et une politique monétaire fonctionnelle. Ainsi, un complément efficace serait une relance par la demande, comme une relance budgétaire. Une politique maintenant souhaitée par ces mêmes organisations internationales.

 


[i] OCDE, The future of productivity, 2016

[ii] Koske, I., I.Wanner, R. Bitetti and O. Barbiero (2015), “The 2013 update of the OECD product market regulation indicators: policy insights for OECD and non-OECD countries”, OECD Economics Department Working Papers, No. 1200.

[iii]Les politiques actives de l’emploi sont les mesures qui consistent à faciliter le retour à l’emploi des chômeurs : financer des formations qui leur sont consacrées, des centres d’aides etc…

[iv]Bouis, R., & Duval, R. (2011). Raising potential growth after the crisis: a quantitative assessment of the potential gains from various structural reforms in the OECD area and beyond (No. 835). OECD Publishing.

[v]Voir Cacciatore, M., Duval, R., Fiori, G., & Ghironi, F. (2016). Market Reforms at the Zero Lower Bound. mimeo, HEC Montréal, International Monetary Fund, North Carolina State University, and University of Washington. Le modèle est un modèle DSGE à deux pays, deux secteurs (biens échangeables et non échangeables), avec une fraction de ménages recevant des indemnités chômage, des frictions nominales et sur le marché de l’emploi, des coûts de licenciement, des entrées et sorties de marché endogènes pour les entreprises et des négociations salariales centralisées. Les réformes considérées sont permanentes et non anticipées. Voir travaux similaires : Cacciatore, M., Duval, R., & Fiori, G. (2012). Short-term gain or pain? A DSGE model-based analysis of the short-term effects of structural reforms in labour and product markets.

[vi]Dans la réalité, cette réforme n’est pas rétroactive, elle ne s’applique qu’aux nouveaux contrats et ne devrait pas menacer ceux déjà en place. Cette dimension est laissée de côté dans l’analyse du modèle, qui devrait en principe surestimer l’impact négatif.

[vii]Eggertsson, G., Ferrero, A., & Raffo, A. (2014). Can structural reforms help Europe?. Journal of Monetary Economics61, 2-22.

[viii]La trappe à liquidité est une situation où la politique monétaire de la banque centrale ne peut plus relancer l’économie. Elle survient lorsque le taux d’intérêt atteint un niveau critique au dessous duquel il ne peut plus descendre. Toute injection supplémentaire de liquidité est alors inutile.

[ix]Galí, J., & Monacelli, T. (2014). Understanding the gains from wage flexibility: the exchange rate connection.

[x]Fonds Monétaire International, World Economic Outlook, April