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Relations de long terme entre banques et entreprises et rationnement de crédit

Résumé :

– En période de faible activité économique, des entreprises viables font face à des restrictions d’accès au crédit bancaire, ralentissant davantage la reprise.

– L’existence de relations de long terme entre banques et entreprises atténue ce phénomène en réduisant l’asymétrie d’information sur la qualité des emprunteurs.

– Toutefois, elles se traduisent par des taux d’intérêt plus élevés, qui ne sont tenables que pour les entreprises les plus exposées aux risques économiques.

– Les politiques macro-prudentielles accroissent la capacité des banques à assurer à la continuité d’accès au crédit commercial en cas de crise.  

 

En période de faible activité économique, des entreprises viables se voient régulièrement refuser des crédits bancaires, alors même que ceux-ci leur auraient permis de s’étendre, d’investir et d’embaucher davantage. C’est ce que l’on appelle le “rationnement du crédit” (credit crunch). Dans la mesure où il restreint l’accès d’entreprises solvables aux capitaux, ce phénomène contribue à accentuer les effets de la crise financière ou à retarder la reprise économique. S’il est connu depuis longtemps, on sait en revanche moins que la nature des relations entre les banques et les entreprises en affecte très largement l’ampleur. Dans un article de recherche paru en septembre dernier, Bolton, Freixas, Gambarcota et Mistrulli (2013) montrent que l’effet des chocs macroéconomiques est atténué lorsque les entreprises empruntent davantage auprès de banques avec lesquelles elles ont des relations de long terme (relationship lending) qu’auprès de banques spécialisées dans les transactions financières pures (transaction lending). [1]

 

Le cœur du problème : l’acquisition d’information

 

Les banques peuvent être réfractaires à octroyer des crédits commerciaux, y compris lorsqu’elles n’ont pas elles-mêmes de problème d’accès à la liquidité. La théorie économique explique traditionnellement cela par le fait qu’il est très difficile d’évaluer a priori la qualité d’une entreprise en tant qu’emprunteur potentiel : quelle profitabilité peut-on anticiper dans le futur, quel est le niveau de motivation ou d’implication de ses dirigeants sont autant d’incertitudes pour la banque. Celle-ci ne peut donc prévoir que partiellement la rentabilité du prêt qu’elle consentirait, voire pire, le risque de ne pas se voir rembourser en cas de faillite de l’emprunteur. Or cela s’avère d’autant plus compliqué en temps de crise : il s’agit alors de distinguer si l’entreprise qui s’adresse à la banque réalise peu de profits parce que le climat économique est morose en général, malgré les efforts de ses dirigeants, ou bien parce que ces derniers ont entrepris un projet peu rentable ou ne se sont pas donnés les moyens de le mener à bien. En fin de compte, tel que l’ont montré Stiglitz et Weiss en 1981, c’est la présence d’une « asymétrie d’informations » entre l’entreprise et la banque qui conduit le prêteur (la banque) à « se méfier » de l’emprunteur (l’entrepreneur), et ainsi à rationner parfois l’accès au crédit d’entreprises viables. [2]

 

Il paraît alors assez naturel que l’existence de relations de long terme entre banques et entreprises atténue ce phénomène. En effet, le suivi des relations commerciales dans le temps permet aux banques d’acquérir progressivement davantage d’information sur leurs entreprises emprunteuses, et donc de réduire cet écart informationnel avec elles, tant en ce qui concerne leur rendement que leurs stratégies d’investissement. La relation de confiance ainsi créée amènera les banques à prêter plus facilement à leurs clients privilégiés en cas de besoins temporaires de liquidités de ces derniers.

 

Une contrepartie : des coûts d’intermédiation bancaire plus élevés

 

Toutefois, cette acquisition d’information et la formation de relations de long terme avec des institutions financières requièrent un temps considérable qui représente autant de coûts d’opportunité pour la banque. Celle-ci aura donc tendance à faire peser sur ses entreprises clientes un taux d’intérêt plus élevé en contrepartie. Selon la terminologie de Sharpe (1990), chaque banque utilise le pouvoir de monopole qu’elle a acquis par la collecte d’information sur sa clientèle pour pratiquer des taux d’intérêt plus élevés, en partant du principe que lesdits clients ne pourront pas emprunter auprès d’autres banques moins informées sur leurs caractéristiques individuelles. [3]

 

Malgré des taux d’intérêt élevés, les entreprises valorisent aussi de leur côté les relations bancaires de long terme puisqu’elles savent que c’est cette relation privilégiée qui leur permettra d’obtenir de nouveaux crédits facilement dans l’avenir (voir Agarwal et Hauswald, 2010, par exemple [4]. En outre, les taux sur ces emprunts seront moins soumis aux risques de conjonctures puisqu’ancrés dans une dimension temporelle entre les deux acteurs. La banque se voit ainsi conférer un véritable rôle d’assureur contre les risques de variations des termes de crédit au cours du temps (Berger et Udell, 1992, [5] Berlin et Mester, 1999 [6]). Bolton et al (2013) soulignent enfin le fait que la relation de long terme permet également aux banques de réadapter les termes du contrat si la capacité de remboursement de leurs emprunteurs venait à varier.  

 

Marché concurrentiel et rôle des politiques macro-prudentielles

 

Pourtant, la solution n’est pas si simple. Sur le marché des prêts commerciaux, les banques qui favorisent les relations de long terme se trouvent être en concurrence féroce avec des banques de transactions pures. Ces dernières privilégient le prêt à un grand nombre d’entreprises à des taux relativement faibles puisque ne subissant pas le coût d’acquisition d’une information très détaillée et continue sur les emprunteurs. Dès lors, on peut se demander comment les entreprises choisissent de s’adresser à l’un ou autre de ces types de banques. Notons que dans la réalité, il existe bien évidemment un continuum de pratiques bancaires entre relations commerciales durables et taux d’intérêt élevés d’une part et transactions instantanées et taux faibles d’autre part.

 

A la suite de leur analyse théorique, Bolton et al (2013) ont testé empiriquement les intuitions économiques décrites ici grâce à une base de données détaillée sur les prêts bancaires octroyés par un grand nombre de banques italiennes de 2007 à 2010. Leurs quatre principales observations sont les suivantes. Premièrement, une même entreprise emprunte généralement auprès de plusieurs types d’institutions bancaires à la fois. Cela appuie l’idée qu’elles jonglent entre relations de long terme et transactions financières pures plutôt que d’adopter exclusivement l’un ou l’autre type. Deuxièmement, les firmes qui empruntent prioritairement auprès de banques de long terme sont celles qui se trouvent être davantage exposées aux risques (macroéconomique et/ou idiosyncratiques). A nouveau, cela laisse à penser qu’elles anticipent pouvoir compter sur les banques disposant d’informations approfondies les concernant pour obtenir un crédit en cas de choc adverse. Troisièmement, il s’avère que les firmes empruntant davantage auprès de banques avec qui elles entretiennent une relation de long terme que de banques de transactions présentent un risque de défaut plus faible. Cela corrobore l’idée du rôle d’assurance des relations financières de long terme. Enfin, les taux d’intérêt accordés par les institutions de relations de long terme s’avèrent effectivement plus élevés que ceux proposés par les banques de transactions en temps normal. Par contre, ces taux s’avèrent généralement plus faibles en période de crise, reflétant le pouvoir contra-cyclique des relations bancaires de long terme.

 

Ces observations plaident indirectement en faveur des politiques macro-prudentielles prévues dans Bâle III visant à améliorer la stabilité financière. En effet, nous avons vu que ce sont les entreprises les plus exposées au risque qui s’adressent davantage aux banques de relations de long terme (tandis que les entreprises moins exposées s’adressent majoritairement aux banques de transactions). Or cela contribue à augmenter encore le coût d’intermédiation de ce type de banques, déjà en moyenne plus élevé à cause de l’acquisition d’information. En effet, les banques de long terme auront tendance à compenser le risque de défaut plus élevé des firmes exposées qui s’adressent à elles par des taux d’intérêt encore plus élevés. Dès lors, imposer un ratio de fonds propres plus important et des mesures contracycliques aux banques spécialisées dans les relations de long terme leur permettrait de garder les marges de manœuvre nécessaires face aux besoins de liquidités de ces entreprises plus exposées. Ainsi elles assureraient la continuité de leur rôle de créditeurs tout au long du cycle macroéconomique et atténueraient l’impact des chocs financiers sur l’activité réelle via un moindre rationnement du crédit en cas de crise financière.

 

Notes / Références

[1] Bolton, Patrick, Xavier Freixas, Leonardo Gambacorta et Paolo Emilio Mistrulli (2013), « Relationship and Transaction Lending in a Crisis, » NBER Working Papers 19467, National Bureau of Economic Research, Inc.
[2] Stiglitz, Joseph et Weiss, Andrew (1981), « Credit Rationing in Markets with Imperfect Information, » American Economic Review, American Economic Association, vol. 71(3), pages 393-410, June.
[3] Sharpe, Steven (1990),  » Asymmetric Information, Bank Lending, and Implicit Contracts: A Stylized Model of Customer Relationships, » Journal of Finance, American Finance Association, vol. 45(4), pages 1069-87, September.
[4] Agarwal, Sumit et Robert Hauswald (2010), « Distance and Private Information in Lending, » Review of Financial Studies, Society for Financial Studies, vol. 23(7), pages 2757-2788, July. ht
[5] Berger, Allen et Udell, Gregory (1992), « Some Evidence on the Empirical Significance of Credit Rationing, » Journal of Political Economy, University of Chicago Press, vol. 100(5), pages 1047-77, October.
[6] Berlin, Mitchell et Mester, Loretta (1999), « Deposits and Relationship Lending, » Review of Financial Studies, Society for Financial Studies, vol. 12(3), pages 579-607.