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Le renminbi peut-il devenir une monnaie internationale ?

Résumé :

– Le renminbi occupe une place toujours plus importante dans le Système Monétaire International (SMI), grâce à l’intégration de la Chine dans le commerce mondial et les efforts du gouvernement pour l’internationaliser.

– Mais des obstacles l’empêchent encore de devenir une monnaie internationale, notamment des marchés financiers pas assez ouverts et développés.

– L’émergence du renminbi comme alternative au dollar pose la question d’un SMI multipolaire.

 

 

La série de dévaluations menées par la banque centrale de Chine durant l’été 2015 (3 annonces consécutives les 11, 12 et 13 Août pour un total de presque 3 % de dévaluation du taux de change yuan-dollar) a été présentée par les autorités comme un pas vers la libéralisation du taux de change chinois. Cela serait cohérent avec l’ambition des autorités de faire du renminbi (la « monnaie du peuple », voir la note de BSI Economics pour la différence avec le yuan) une monnaie internationale. Le FMI décidera d’ailleurs en octobre cette année de l’inclure ou non dans son panier DTS. Ces évolutions posent la question d’un système monétaire international (SMI) multipolaire.

 

1 – Qu’est-ce qu’une monnaie internationale ?

 

Une monnaie internationale remplit les trois fonctions traditionnelles de la monnaie sur le plan international. Un aspect relevé par Paul Krugman en 1991, qui associe chacune de ces fonctions à un rôle que remplit une monnaie internationale à la fois pour le secteur privé et le secteur public.

Source : Agnès Benassy-Quéré, Economie Internationale, BSI Economics

 

– Une monnaie est d’abord une unité de compte : elle permet la transparence des prix. Une monnaie internationale sert à libeller des actifs internationaux comme des obligations ou des commodités, offrant une lisibilité aux acteurs privés comme les exportateurs ou les importateurs. Une monnaie internationale est aussi utilisée par le secteur public comme unité de compte lorsque le taux de change national est ancré à la valeur de cette dernière.

– La monnaie sert aussi de moyen de paiement. Notamment une monnaie internationale remplit ce rôle lorsque le secteur privé l’utilise pour régler ses transactions internationales.

– Enfin une monnaie est une réserve de valeur. Les non-résidents utilisent une monnaie internationale pour leurs investissements. Elle sert de réserve de valeur pour les banques centrales lors de leurs interventions de change, on parle alors de réserves officielles.

Depuis la fin du 20èmesiècle, le dollar américain remplit toutes ces fonctions sur le plan international et de façon dominante. Il est par exemple utilisé comme libellé pour le pétrole, et intervient dans 87 % des opérations de changes.[i] Aussi, 64,12 % des réserves officielles des banques centrales sont détenues en dollar.

 

Sources : FMI, BSI Economics

 

2 – La place du Renminbi dans le Système Monétaire International (SMI)

 

A mesure que la Chine a gagné du poids dans le commerce mondial et est devenue une puissance économique de premier plan, la place que la monnaie chinoise occupe dans le SMI a changé. Ceci s’est combiné à un rôle croissant des autorités du pays qui visent à favoriser son internationalisation, notamment depuis la fin des années 2000.

La Chine est devenue le premier pays exportateur de biens, et la part de son commerce en biens avec le reste du monde effectuée en renminbi est passée de 0 à presque 10 % entre 2010 et 2012, le dollar restant la monnaie la plus utilisée à cette fin [ii].

Selon la SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications), le renminbi devenait pour la première fois en Janvier 2015 la cinquième monnaie la plus utilisée pour les paiements internationaux, devancée par le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen [iii]. Deux ans plus tôt, il occupait le rang de 13eme monnaie la plus utilisée au monde et représentait 0,63 % du total des paiements internationaux contre 2,34 % aujourd’hui.[iv]

Ce bond dans la place qu’occupe le renminbi dans le système monétaire international fait suite à la volonté des autorités de lever les obstacles à son internationalisation. On peut relever un tournant en 2009, lorsqu’elles lancent un projet pilote (le Cross-Border Trade RMB Settlement Pilot Project) permettant à quelques villes et provinces de régler leurs exportations et importations en renminbi avec Macao, Hong Kong, et les pays de l’ASEAN. Le dispositif est aujourd’hui étendu à la quasi-totalité du commerce chinois. La libéralisation du compte de capital en Chine s’est elle aussi considérablement accrue avec notamment, à partir de 2010, la possibilité pour les institutions financières, puis les entreprises d’émettre des obligations en renminbi depuis Hong Kong (les Dim Sum bonds). Ainsi le groupe bancaire HSBC et la multinationale McDonald’s ont pu émettre des Dim Sum bonds, alors que ces opérations étaient réservées aux banques chinoises et hongkongaises auparavant.

Sous réserve de quotas constamment étendus ces dernières années en termes de pays partenaires (Singapour, le Royaume-Uni, la France, le Qatar, le Luxembourg par exemple) et de montant, certaines opérations d’investissement en renminbi sont rendues possibles. Des institutions une fois licenciées par les autorités peuvent investir depuis Hong Kong sur le marché des capitaux chinois (quota RQFII) ou sur le marché interbancaire obligataire (quota CIBM).

Alors qu’auparavant l’utilisation du renminbi hors de la Chine était très limitée, ces nombreuses initiatives traduisent la volonté du gouvernement d’accroître sa circulation au-delà des frontières et de multiplier les acteurs qui s’en servent pour leurs règlements internationaux. En témoignent les nombreuses swaplines (permettant aux banques centrales d’autres pays d’obtenir des liquidités en renminbi) qu’a conclues la Banque Populaire de Chine avec des banques centrales étrangères afin de fournir les partenaires commerciaux en renminbi pour qu’ils règlent les importations venant de Chine dans cette monnaie. Aujourd’hui, plus d’une trentaine de banques centrales sont concernées par ces accords de swap, comme la Banque centrale du Royaume-Uni, du Brésil, de la Russie mais aussi la Banque Centrale Européenne.

 

3 – Vers un système monétaire multipolaire ?

 

Ces avancées dans l’internationalisation du renminbi ne font pas oublier que sa convertibilité reste très contrainte et éloignée d’un régime de libre échange. D’abord parce que la libéralisation du compte de capital chinois est encore partielle, l’achat d’actifs par des non-résidents en renminbi sont très restreints (en termes de types d’investissement, de montants etc…)[v], et les IDE entrants sont limités par des quotas et règlementations. Ainsi la demande internationale d’actifs en renminbi demeure soumise à ces restrictions financières et ces contrôles de capitaux, freinant son statut de monnaie internationale. Le marché du renminbi offshore en est limité, très concentré à Hong Kong. A ceci s’ajoutent la taille et la profondeur insuffisantes des marchés financiers domestiques, qui réduisent encore la capacité du renminbi à financer le commerce international et à accueillir des IDE à grande échelle. Enfin, son utilisation comme monnaie de réserve est faible car peu de banques centrales disposent d’actifs libellés en renminbi malgré les accords de swaps.

De plus, l’émergence du renminbi en tant que monnaie internationale se fera aussi à travers son statut de monnaie véhiculaire pour le secteur privé, et pour le moment elle reste largement devancée sur ce point par le dollar et l’euro qui interviennent dans l’écrasante majorité des transactions internationales. Le défi sera de surpasser les effets de réseaux dont ces deux monnaies dominantes bénéficient, en effet la position d’une monnaie internationale s’auto-entretient. Plus elle est utilisée pour les transactions, plus les coûts de transactions liés à l’échange entre deux monnaies sont amortis donc plus il est avantageux de continuer à s’en servir. Il est ainsi difficile de concurrencer une monnaie internationale déjà en place.

Ces obstacles peuvent retarder l’inclusion du renminbi au panier DTS du FMI. Le Droit de Tirage Spécial, créé en 1969 par le FMI, n’est pas une monnaie à proprement parlé mais conçu comme un avoir de réserve mondial. C’est une créance potentielle sur les banques centrales des pays membres qui contribuent une quote-part au fonds en l’échange d’une allocation distribuée en proportion. Un pays en besoin de financement sur sa balance des paiements peut obtenir de la monnaie composant le panier contre ses DTS, devenant débiteur du FMI et non directement d’une autre banque centrale. L’allocation totale est fixée par le FMI selon les besoins en réserves, l’idée étant de créer un avoir de réserve qui ne dépende pas d’un pays émetteur. La valeur du panier associe des poids relatifs à celle du dollar, de la livre sterling, du yen et de l’euro, composition révisée tous les 5 ans. L’inclusion d’un nouveau pays dépend notamment de sa forte intégration au commerce mondial, critère rempli par la Chine, mais aussi de la libre convertibilité de sa monnaie et de la taille et de l’ouverture de ses marchés financiers, points plus problématiques pour le renminbi.

Le DTS représente une faible part des réserves officielles mondiales, cependant il connait un regain d’intérêt depuis la crise de 2007-2008 qui a fait naître une demande pour une alternative au dollar. En particulier, en 2009, Zhou de la banque centrale de Chine exprimait son opposition au système monétaire actuel dominé par le dollar, et proposait le DTS comme alternative viable.[vi]Un écho largement relayé depuis notamment par l’ONU en 2010. Ce regain d’intérêt vis-à-vis du DTS et l’inclusion potentielle du renminbi dans le panier révèle la contradiction entre la multipolarisation de l’économie mondiale et un système monétaire international largement dominé par le dollar, une sorte de nouveau dilemme de Triffin[vii]. Il s’agit de l’incompatibilité entre les besoins en monnaie de réserve internationale du SMI et ceux internes du pays émetteur, forcé de contracter un déficit courant pour fournir le reste du monde en liquidités affaiblissant en retour la confiance envers sa monnaie. En résulte d’inévitables déséquilibres (comme le déficit courant américain), et la perte annoncée des Etats-Unis du monopole de la monnaie de réserve mondiale à mesure que leur influence dans un monde multipolaire décroit.[viii]

On peut donc imagine que le système monétaire international est en passe de s’aligner avec la multi-polarisation de l’économie mondiale, où le dollar ne peut plus être la seule monnaie clé. Le retour du DTS et l’émergence du renminbi peuvent offrir aux investisseurs privés et institutionnels des monnaies de réserve alternatives.

 

Conclusion

Le statut du renminbi dans le SMI a fait un bond en avant avec l’intégration de la Chine au commerce mondial et les initiatives des autorités pour favoriser son internationalisation.  Son accession au statut de monnaie internationale demandera une libéralisation plus poussée des marchés financiers chinois et pourrait survenir d’ici 10 à 15 ans [ix], dans un système monétaire international devenu multipolaire.

 

 

Notes:

[i] Agnès Benassy-Quéré, Economie Monétaire Internationale

[ii] Banque Centrale Européenne, The International Role of the Euro, Juillet 2013

[v]I to (2011), “The internationalisation of the RMB: Opportunities and pitfalls”, Council on Foreign

Relations, Washington DC.

[vi] Zhou (2009), « Reform the International Monetary System », People’s Bank of China.

[vii]Fahri, Gourinchas, Rey (2011) Reforming the international monetary system, CEPR

[viii] Farhi, Gourinchas et Rey (2011), “Quelle réforme pour le système monétaire international ?”

[ix] Eichengreen (2011),“Exorbitant Privilege: The rise and fall of the Dollar and the Future of the International Monetary System”, Oxford University Press.