Résumé :
· La croissance dans la Zone euro gagne de l’allure ; elle repose sur des solides moteurs externes et domestiques et des niveaux élevés de confiance. La longue période de reprise (depuis 2013) va de pair avec une amélioration continue de la situation du marché du travail ;
· Cependant, après un pic en 2017 (le plus haut depuis 10 ans), la croissance ralentirait sur la période 2018-2019 selon la Commission européenne ;
· La reprise actuelle demeure singulière. Premièrement, elle reste timide par rapport aux épisodes passés de reprise, c’est notamment le cas de la consommation privée. De plus, la fermeture de l’écart de production et la réduction du taux de chômage ne s’accompagnent pour l’instant pas de hausses de salaires permettant de soutenir une inflation plus proche de la cible de la BCE.
Dans ses prévisions économiques d’automne, la Commission européenne a revu à la hausse les prévisions de croissance pour la Zone euro en 2017 et 2018. La croissance du PIB dans la Zone euro atteindrait 2,2 % cette année (contre 1,5 % anticipé à l’automne 2016), et décélérerait légèrement à 2,1 % en 2018 (+0,4 point par rapport aux prévisions d’il y a un an), puis à 1,9 % en 2019. La croissance pour 2017 a été systématiquement revue à la hausse lors des quatre derniers exercices de prévisions, une première depuis la crise de 2009.
L’accélération de l’activité économique dans la Zone euro s’inscrit dans un contexte de croissance mondiale qui concerne à la fois les pays développés et les pays émergents, et contribue à la baisse continue du chômage en Europe. La demande interne, robuste en Zone euro, tire la croissance. L’investissement gagne en allure et la demande extérieure adressée aux exportateurs européens soutient les exportations.
Par rapport à 2016, les incertitudes semblent avoir diminué, comme en témoignent les hauts niveaux de confiance des ménages et des entreprises. Cependant, la reprise reste timide en comparaison historique, et les stigmates de la crise sont encore perceptibles (ralentissement de la convergence, croissance potentielle détériorée, une inflation durablement faible…).
Tableau 1 – Prévisions macroéconomiques
Source : Commission européenne
La croissance dans la Zone euro accélère
Au troisième trimestre 2017, la Zone euro connaît son 18ème trimestre consécutif de croissance. La croissance dans la Zone euro s’inscrit dans un contexte de croissance mondiale synchronisée, mais elle peut aussi compter sur le soutien des politiques économiques et sur des moteurs de croissance domestiques solides.
La croissance a été plus forte que prévue dans les pays émergents comme par exemple en Chine et dans les pays qui sortent de récession (Russie et Brésil), notamment du fait de la remontée des prix des matières premières. Dans le même temps, les économies avancées semblent atteindre une phase haute de cycle économique. Cette synchronisation des cycles et y compris de l’investissement soutient la bonne tenue du commerce international, les importations hors-UE devraient ainsi croître de 4 % entre 2017 et 2019.
Dans ce contexte, la croissance économique en Zone euro reste principalement tirée par la consommation privée, qui accélère en 2017. La hausse continue du nombre d’emplois soutient la consommation privée et compense partiellement la perte de pouvoir d’achat due à la hausse de l’inflation entre 2016 et 2017. En 2018 et 2019, le ralentissement de la baisse du chômage devrait être contrebalancé par des hausses de salaires et aboutir à une croissance stable de la consommation privée. L’investissement semble repartir enfin, soutenu par des taux d’intérêt bas mais aussi davantage de confiance des entreprises dans la demande à venir. Grâce au dynamisme de la demande extérieure, la balance commerciale de la Zone euro contribuerait aussi légèrement positivement à la croissance du PIB en 2018 et 2019 et ce malgré la récente appréciation du taux de change effectif nominal de l’euro.
Sources : Eurostat, calculs BSI Economics
L’inflation dans la Zone euro a beaucoup accéléré au début de l’année 2017 pour atteindre 2 % au printemps mais elle est depuis sur une pente descendante. Ce pic atteint au premier semestre était très largement dû aux effets de base sur les importations d’énergie, tandis que l’inflation sous-jacente peine à montrer des signes d’accélération et est retombée à 1,1 % en octobre 2017 par rapport à octobre 2016 après trois mois de stabilité à 1,3 %. En cause, la faible croissance de la rémunération par tête. Malgré la baisse continue du nombre de chômeurs, les salaires n’augmentent que trop lentement dans la Zone euro, et de nombreuses personnes demeurent dans le « halo autour du chômage » qui regroupe les personnes en contrats à temps-partiel ou sous-emploi, les personnes cherchant un emploi mais n’étant temporairement indisponibles et les personnes disponibles mais ne cherchant pas un emploi (chômeurs découragés). Au total, ce halo représenterait plus de 9 % de la population active dans la Zone euro. Ainsi, l’inflation dans la Zone euro augmenterait en 2017 à 1,5 % mais ralentirait l’année prochaine à 1,4 % avant de remonter en 2019 à 1,6 %, toujours largement en-dessous de la cible de la BCE. Le taux de chômage continuerait de diminuer pour atteindre 8,5 % en 2018 et 7,9 % en 2019.
La bonne dynamique de croissance soutient aussi la baisse des déficits et dettes publiques en Europe. Ainsi, le déficit cumulé de la Zone euro devrait se réduire et passer de -1,1 % en 2017 à -0,8 % en 2019. En France, le déficit public passerait sous la barre des 3 % dès 2017, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une sortie de la « procédure de déficit excessif » au printemps 2018.
Les stigmates de la crise sont encore perceptibles
La croissance semble solide en Zone euro, les incertitudes économiques et politiques ont diminué par rapport à 2016, le chômage continue de baisser et l’écart de production se clos dans la Zone euro. Cependant, on peut mettre ces chiffres en perspective afin d’apporter un éclairage plus qualitatif sur la situation macroéconomique de la Zone euro.
Premièrement, il semble que la reprise actuelle demeure timide quand on la compare aux différents épisodes post-crise dans le passé. Par rapport aux périodes 1975-1979, 1982-1986, 1993-1997 et 2009-2011, la période 2013-2017 semble pâtir d’une reprise de la consommation privée particulièrement timorée. En cause, premièrement, des taux d’endettement des ménages significativement plus élevés qu’au cours des précédentes reprises et donc moins de marges de manœuvre pour un rebond rapide et fort de la consommation privée. La faiblesse de la demande interne s’illustre d’ailleurs à travers le compte courant de la Zone euro, systématiquement excédentaire depuis la mi-2011.
Deuxièmement, l’investissement est pénalisé par la persistance de fragilités financières et budgétaires. La dégradation des finances publiques des pays de la Zone euro durant la crise et de la qualité des actifs de nombreuses banques pèse sur la reprise de l’investissement public et privé. La reprise actuelle semble donc toujours dépendante du soutien de la politique monétaire accommodante de la BCE ainsi que de moteurs exogènes comme par exemple la baisse des prix du pétrole ou la demande extérieure.
Autre particularité de la reprise actuelle, l’apparent affaiblissement de la relation entre taux de chômage et inflation sous-jacente. Alors que la croissance actuelle de la Zone euro est au-dessus de sa croissance potentielle estimée, que l’écart de production se referme, et que le nombre de chômeurs continue de diminuer, les salaires n’ont progressé que de 1,4 % par an en moyenne depuis la mi-2013, contre 2,5 % par an entre 2004 et 2008.
Sources : Eurostat, calculs BSI Economics
Certes, la majorité des emplois créés depuis 2013 l’ont été sur des emplois à plus faible productivité et donc à des niveaux de rémunération et de pouvoir de négociation des salariés plus faibles. Cependant cela ne semble expliquer qu’une petite partie du phénomène. L’étude de la Commission européenne estime que les faibles gains de productivité jouent en effet négativement mais de manière marginale. A l’inverse, la formation des anticipations d’inflation semble être fortement impactée par la longue période passée de faible inflation.
Au-delà des modèles, on peut aussi chercher des effets du côté des transformations des structures des marchés du travail en Europe au cours des dernières années. Davantage de concurrence internationale à travers les chaînes de valeur mondiales, la précarisation des nouveaux emplois créés (contrat à durée déterminée, temps-partiel subi…) ou encore l’affaiblissement du pouvoir de négociation des syndicats suite à des réformes de flexibilisation des marchés du travail semblent aussi contribuer à la récente faiblesse de la croissance des salaires en Zone euro.
Conclusion
La Commission européenne a revu à la hausse pour la quatrième fois consécutive ses prévisions de croissance pour 2017, une première depuis la crise, et symptôme d’une véritable accélération de la croissance. Cependant, les perspectives pour 2018-2019 semblent indiquer que la croissance en Zone euro a atteint un pic en 2017, portée à la fois par une consommation privée toujours solide, une véritable reprise de l’investissement et une demande extérieure dynamique.
Cependant, la reprise depuis 2013 semble néanmoins timide lorsqu’on la compare à d’autres épisodes de reprise économique dans le passé. En cause, les forts taux d’endettement des ménages, des entreprises, des banques et des Etats qui limitent les marges de manœuvre au niveau de la consommation, de l’investissement, et des politiques budgétaires. De plus, malgré la baisse continue du nombre de chômeurs, les salaires en Zone euro augmentent moins vite qu’avant la crise, et l’inflation (notamment sous-jacente) reste faible. Bien que solide en apparence, l’activité économique dans la Zone euro reste convalescente et dépend beaucoup du soutien de la politique monétaire accommodante de la BCE.
Bibliographie :
· Commission européenne (DG ECFIN), European economic forecast – Autumn 2017, octobre 2017, Insitutional paper 63, Bruxelles
· Commission européenne (DG ECFIN), European economic forecast – Spring 2017, mai 2017, Insitutional paper 53, Bruxelles