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La stabilisation macroéconomique en Zone Euro (I)

Résumé :

-La théorie des zones monétaires optimales est absolument centrale pour comprendre les problèmes de la Zone Euro. Rejoindre une zone monétaire apporte des bénéfices mais aussi des coûts. Il s’agit d’arriver à les équilibrer en respectant certains critères.

-Au départ, la Zone Euro n’était pas une zone monétaire optimale.

-L’intégration monétaire crée des dynamiques vertueuses mais aussi probablement vicieuses.

-La persistance de la crise économique s’explique par une crise politique majeure.

 

Rejoindre une union monétaire est une décision éminemment importante car les dynamiques qu’elle libère sont très puissantes. D’ailleurs, le compromis de Maastricht, qui a lancé l’intégration monétaire européenne, était considéré comme le chemin direct vers l’union politique, but ultime du projet européen.

Les travaux économiques sur la Zone Euro en tant que zone monétaire découlent pour la plupart du papier fondateur de Mundell, écrit en 1961, sur les zones monétaires optimales (ZMO). La théorie des ZMO est apparue comme une réponse à Friedman (1953) qui préconisait alors un système de taux de change flottant alors que le monde était au début de l’expérience de Bretton Woods.

Mundell définit une ZMO comme la zone géographique (et non politique) optimale dans laquelle les équilibres économiques interne (faible inflation et plein emploi) et externe (une position soutenable de la balance des paiements) pourraient être plus facilement atteints avec un régime de taux de change fixe. Dès lors qu’une (ou plusieurs) entité politique, juridique… adopte une monnaie commune, se pose la question de son optimalité.

 

Analyse bénéfice-coût d’une monnaie commune et asymétrie

Les avantages d’une monnaie commune sont principalement microéconomiques et donc plus difficiles à quantifier : la réduction des coûts de transaction, l’élimination du risque de change, des prix plus stables et plus transparents, une meilleure concurrence… Les avantages microéconomiques peuvent aussi provenir de la réalisation du marché unique qui ne peut se finaliser que par l’intégration monétaire.

Les inconvénients d’une monnaie unique sont principalement macroéconomiques et proviennent de la perte de flexibilité pour amortir les chocs asymétriques afin de gérer les déséquilibres internes et/ou externes : (i) la perte de l’autonomie de la politique monétaire et (ii) la perte du mécanisme d’ajustement nominal externe (des changements par les prix relatifs et les salaires sont beaucoup plus faciles à obtenir par la dépréciation nominale externe que par la dépréciation réelle interne). En effet, le seul outil disponible dans les mains des gouvernements pour contrer les chocs asymétriques devient la politique budgétaire, au-delà bien entendu des mécanismes de marché. Il s’agit donc ici d’arriver à équilibrer les coûts et les avantages.

La problématique des chocs asymétriques est absolument essentielle. Le problème d’une zone monétaire est de déterminer si des chocs asymétriques sont présents ou pas et si tel est le cas, de savoir s’il existe des mécanismes de stabilisation pour y faire face. Les mécanismes de stabilisation sont de deux sortes : soit des mécanismes de marché, soit des instruments institutionnels (politiques économiques, cadre macroéconomique). Ils peuvent prendre deux formes : (i) la forme d’un système de partage des risques afin de lisser la consommation et les revenus après un choc positif ou négatif, ou (ii) favoriser l’ajustement des prix relatifs après une perturbation économique.

 

L’analyse statique de l’optimalité de la Zone Euro

Les débats sur la Zone Euro qui ont eu lieu dans les années 1990 ont porté sur deux points. Le premier n’est pas un débat en soi car la plupart des experts étaient d’accord : la Zone Euro des années 1990 est-elle potentiellement une zone monétaire optimale ? Définitivement non. Les auteurs les plus sceptiques étaient les économistes américains, notamment Krugman mais aussi Bayoumi et Eichengreen, qui dans plusieurs articles au début des années 1990 ont montré que (i) le cœur et la périphérie de la future Zone Euro ont des cycles économiques différents (c’est-à-dire que les chocs asymétriques d’offre et de demande sont très présents) et (ii) les délais d’ajustement à ces chocs sont différents entre les pays. En comparant la virtuelle Zone Euro aux Etats-Unis, ces auteurs montrent que l’élève est encore bien loin de son maitre. Par conséquent, les coûts liés à la perte d’autonomie de la politique monétaire et de la politique de change seraient supérieurs aux avantages de l’intégration monétaire.

La discussion portait alors sur le partage de certaines propriétés par les Etats membres de la future Zone Euro qui permettraient de réduire les contraintes que fait peser l’intégration monétaire en réduisant l’impact, l’occurrence et la durée des chocs asymétriques. Ces propriétés découlent du travail de Mundell et d’autres auteurs tels que Kenen ou McKinnon (entre autres). Ces critères sont la mobilité des facteurs (notamment du travail), la flexibilité des prix, l’ouverture commerciale, la diversification industrielle, des différentiels d’inflation faibles, un (ou des) système de partage des risques (intégration financière, budgétaire)…

 

L’analyse dynamique de l’optimalité de la Zone Euro : la théorie de l’éndogénéité

C’est le deuxième point du débat qui reste fortement controversé : existe-t-il un moyen de faire évoluer, en termes dynamiques, l’optimalité de la Zone Euro ? Toute une littérature sur ce questionnement s’est développée depuis les années 1990. L’intuition de Frankel et Rose en 1997 est que la monnaie unique créerait des cercles vertueux, qui augmenteraient l’optimalité d’une union monétaire au fil du temps, améliorant ainsi la « note statique » des pays membres : « Countries which join EMU, no matter what their motivation may be, may satisfy OCA properties ex post even if they do not ex ante! ». C’est la théorie de l’endogénéité : l’intégration nourrit l’intégration.

Le fait d’adopter une monnaie unique permet de transformer la zone en une ZMO. L’endogénéité pour ces auteurs passe notamment par l’intégration commerciale. L’intégration monétaire permettrait de développer le commerce [1], particulièrement le commerce intra-branche à l’intérieur de la Zone Euro, ce qui, par conséquent, rapprocherait les structures productives de chaque pays, réduisant de facto les chocs asymétriques et augmenterait donc l’optimalité de la zone.

En 2006, de Grauwe et Mongelli font un état des lieux des débats sur la théorie de l’endogénéité qui s’est développée au-delà du seul canal du commerce : l’intégration financière, les taux d’inflation, la flexibilité des prix, l’intégration budgétaire, la symétrie des chocs… évolueraient de façon dynamique grâce à l’euro. Il ne s’agit donc pas de regarder à un temps t une coupe transversale de la Zone Euro, il faut aussi analyser la trajectoire qu’elle prend. A noter que l’idée de Frankel et Rose est une application concrète de la critique de Lucas (1976) [2] qui a eu des conséquences majeures pour les sciences économiques. Comment peut-on envisager le visage des Etats-Unis d’aujourd’hui s’ils n’avaient pas le dollar ?  

 

L’analyse dynamique de l’optimalité de la Zone Euro : la théorie de la spécialisation

Ce débat n’est pas si simple car s’il existe des cercles vertueux, il se peut aussi que l’adoption de l’euro crée des cercles vicieux. C’est ce que soutient Krugman dès 1993 : « EEC would become less of an OCA with the creation of the euro because of the specialization pattern that would occur ». Les forces dynamiques qui peuvent augmenter l’optimalité d’une zone monétaire peuvent aussi devenir néfastes.

Par exemple sur le commerce, Krugman nous apprend que l’intégration monétaire et financière abaisse le coût d’un déficit courant (dans une zone monétaire en théorie mais aussi souvent en pratique les balances internes des comptes courants sont des concepts dépassés : qui connait ou calcule le solde courant de la Floride ou de la Corse ?) incitant les pays à se spécialiser sur leurs avantages comparatifs : les structures productives divergent et les chocs asymétriques augmentent, diminuant ainsi l’optimalité de la Zone Euro. C’est d’ailleurs le cas aux Etats-Unis où les Etats sont spécialisés entre eux. La spécialisation n’est donc pas négative en soi (économies d’échelle, efficacité économique…). Elle l’est si des mécanismes de stabilisation et d’ajustement n’existent pas. L’adoption de l’euro aurait donc des effets qui modèleraient la Zone Euro car ces processus sont très puissants bien qu’ils soient lents.

 

La crise est avant tout politique

Tout est prévu, tout est contenu dans cette théorie et pourtant les pays membres de la Zone Euro et leurs gouvernements multiplient les erreurs depuis 15 ans. Comment alors comprendre la crise de la Zone Euro ? La situation actuelle dans laquelle la Zone Euro est piégée est principalement un problème politique. L’explication réside en effet dans des cadres de pensée très profondément ancrés à l’intérieur de chaque Etat.

Par exemple, j’accepte la redistribution qui a lieu à l’intérieur de mon pays même si elle est quasi-inconditionnelle, unidirectionnelle et permanente, mais pour celui qui est de l’autre côté de la frontière, « c’est une toute autre histoire ». C’est caricatural mais c’est bien ce problème d’identité qui est à la base de l’existence et de la persistance de la crise économique dont les solutions sont identifiées clairement mais difficiles pour certaines à appliquer  en l’état (par exemple, une union de transferts budgétaires entre Etats).

Si les pays membres de la Zone Euro décident d’autoriser des transferts budgétaires entre eux, la crise devrait disparaître assez rapidement car la Zone Euro dans sa globalité a des fondamentaux économiques meilleurs que les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou le Japon. Les limites politiques de l’intégration européenne semblent avoir été atteintes avec la crise, qui a marché comme un catalyseur, alors que le cadre de la Zone Euro tel que dessiné par Maastricht n’est pas ou plus adapté. Comment passer de l’UEM 1.0 à l’UEM 2.0 ?

C’est la question à laquelle nous allons tenter de répondre en deux temps dans cette série : il s’agit d’abord de déterminer les problèmes de la Zone Euro et ensuite de proposer une solution adaptée à ce constat. Nous adopterons une méthode systématique où chaque point que nous venons d’aborder rapidement sera analysé de manière plus extensive.

 

 

Notes

[1] Il existe une polémique sur ce sujet, l’euro augmenterait le commerce entre 0% et 300%. Baldwin en 2005 fait une synthèse et considère le chiffre de 15-20% comme raisonnable.

[2] Dit simplement, les agents économiques rationnels adaptent leur comportement en fonction de leur environnement. Prenons l’exemple de la courbe de Phillips qui est une relation empirique inverse entre le chômage et l’inflation. Si une banque centrale (non-indépendante !) essaie de façon répétée d’augmenter l’inflation surprise afin de faire baisser le chômage, les agents économiques rationnels vont actualiser leurs anticipations et changer leurs comportements.

 

Références

– Baldwin, R. (2006). The Euro’s Trade Effects. ECB Working Paper Series No. 594.

– Bayoumi, T. and B. Eichengreen (1993). Shocking aspects of European monetary integration. In: F. Torres and F. Giavazzi (eds.) Adjustment and Growth in the European Monetary Union, Cambridge University Press, New York, 73–109.

– Bayoumi, T and B. Eichengreen (1997). Ever closer to heaven? An optimum-currency area index for European countries. European Economic Review, Volume 41, Issues 3-5, pp. 761-770.

– Frankel, J. and A. Rose (1997). Is EMU more justifiable ex post than ex ante?. European Economic Review, Volume 41, Issues 3-5, pp. 753-760.

– De Grauwe, P. and F. Mongelli (2006). Endogeneities of Optimum Currency Areas: What Brings Countries Sharing a Single Currency Closer Together?. European Central Bank Working Paper Series no. 468.

– Krugman, P. (1993). Lesson of Massachusetts for EMU. In: F. Giavazzi and F. Torres (eds.) The Transition to Economic and Monetary Union in Europe, Cambridge University Press, New York, 241–69.

– Kenen, P. (1969). The theory of optimum currency areas: an eclectic view. In: Mundell, R.A., Swoboda, A.K. (Eds.), Monetary Problems of the International Economy. University of Chicago Press, Chicago, pp. 41–60.

– Mundell, R. (1961). A theory of optimum currency areas. American Economic Review, 51, 657–65.

– Mundell, R. (1973). Uncommon Arguments for Common Currencies. In H.G. Johnson and A.K. Swoboda (eds.), The Economics of Common Currencies, George Allen and Unwin Ltd, London, pp. 114-32.

– McKinnon, R. (1963). Optimum currency areas. American Economic Review 53, 717–725.

– McKinnon R. (2001). Optimum Currency Areas Revisited. Stanford University, mimeo.