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Tensions Taïwan-Chine : quelles conséquences sur nos économies ?

Résumé : 

  • Les tensions géopolitiques entre Taïwan et la Chine ont connu un pic en 2022 avec la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants américaine, sur l’île en août ;
  • Taïwan possède un quasi-monopole technologique sur un composant présent dans presque tous les secteurs : les semi-conducteurs ;
  • Une pénurie de semi-conducteur a pourtant déjà eu lieu en 2021, due à la crise de la Covid, illustrant la dépendance de certains secteurs à ces éléments électroniques stratégiques.
  •  Afin de contrer cette dépendance, les Etats-Unis et l’Europe s’engagent dans un processus d réindustrialisation pour ces composants, mais accusent d’un important retard pour réellement concurrencer Taïwan.
  • Par conséquent, il est probable qu’à court-terme, par exemple en cas de regain de tensions géopolitiques ou de nouvelle reprise de l’épidémie, cette situation vienne renchérir les coûts de production, notamment pour les secteurs les plus exposés.

 

 

Les matériaux semi-conducteurs, omniprésents dans l’ensemble des secteurs (santé, transports, énergie, automobile, etc.), permettent notamment de réaliser les calculs logiques fondamentaux d’un ordinateur entre différents composants électroniques (ex. microprocesseurs, circuits analogiques, microcontrôleurs, diodes, transistors, capteurs). Ces matériaux sont au cœur de l’économie taïwanaise, qui possède une très large part de marché globale de ces éléments, de 60 % en 2020.

 

Au-delà des seuls enjeux industriels, se jouent les liens avec la Chine, qui considère Taïwan comme inhérente et intégrée au sein de la Chine unie –politique d’une seule Chine. Compte tenu de la prépondérance de ces composants, notamment en Europe, il apparaît légitime de s’interroger à propos du degré de dépendance de l’économie européenne aux semi-conducteurs d’une part et d’autre part d’estimer quelles pourraient être les conséquences pour l’Europe d’un regain de tension à Taïwan.

 

1. Une situation de quasi-monopole exacerbée par le regain de tension dans la zone

Début août, la visite de la présidente de la Chambre des représentant, premier dignitaire américain de ce niveau à se rendre sur l’île « rebelle » depuis 1997, a entraîné le courroux de Pékin : cette visite allant à l’encontre de la politique d’une seule Chine selon laquelle Taïwan appartiendrait à la Chine. Cette visite a alors entraîné les plus vastes opérations militaires autour de l’île et démontré que la Chine de Xi Jinping pouvait éventuellement envahir Taïwan ou du moins imposer un blocus. Cette hypothèse pourrait entraîner de fortes répercussions sur l’économie mondiale, compte tenu de sa dépendance aux semi-conducteurs Taïwanais.

 

En effet, Taïwan possède une économie particulièrement dynamique fondée sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi que les hautes technologies. En 2021, sa croissance atteint 6,6 % dopée par sa balance commerciale largement positive et les nombreux investissements extérieurs suscités par les digitalisations des économies lors de la pandémie. Le graphique 1 ci-dessous montre la croissance de l’économie Taïwanaise ces deux dernières décennies (avec une croissance moyenne d’environ 4 %), et sa résilience face aux crises, hormis en 2001, durant la crise du secteur technologie.

 

Graphique 1- Croissance de l’économie Taïwanaise depuis 2000

Source : Statista, BSI Economics

 

L’industrie de Taïwan représente plus de 25 % de son PIB et, en particulier, le secteur des semi-conducteurs constitue plus de la moitié de celle-ci. En outre, l’île produit près de 60 % des semi-conducteurs mondiaux et fabrique 85 % des semi-conducteurs de dernière génération de taille inférieure à 7 nanomètres (nm), cf. graphique 2 ci-dessous. L’entreprise taïwanaise TSMC, qui pèse à elle seule plus 50 % de la production mondiale, illustre bien ce monopole technologique. Et pour cette raison, toute dégradation des relations entre Taïwan et la Chine pourrait avoir de sérieuses conséquences économiques.

Figure 1- Part de marché des entreprises et des pays en termes de semi-conducteurs

 

Source: Trendforce, BSI Economics

2. La pénurie de 2021 

En 2021, après une année 2020 marquée par la crise du Covid-19, le monde a connu une pénurie de semi-conducteurs en raison de la très forte demande d’appareils électroniques (cf. téléphones, PC, écrans) et des ruptures de chaînes d’approvisionnement dues aux confinements. En moyenne selon une enquête de la Commission Européenne auprès des entreprises[1], un fournisseur ne pouvait produire les composants que 22 semaines après passage de la commande, contre 12 en temps normal.

En outre, des pénuries d’autres matières premières (produits chimiques, plastiques, métaux, bois) et des perturbations de livraison ont aggravé la situation, créant de multiples ruptures de chaînes d’approvisionnement dans les entreprises européennes, particulièrement en Allemagne. 23 % des entreprises de la zone euro déclaraient avoir des manques d’équipements, et/ou de matériaux limitant leur production, contre 6 % en moyenne.

 

Tableau 1 : Pénuries de matériaux et / ou d’équipement limitant la production, en pourcentage d’entreprises par industrie en Zone Euro. Les séries temporelles sont désaisonnalisées ce qui explique les valeurs négatives.

Source : BCE, Enquête auprès des entreprises de la Commission Européenne d’avril 2021, BSI Economics

 

L’industrie des véhicules motorisés est apparue comme la plus touchée par les pénuries de puces électroniques (cf. Tableau 1). Selon les comptes nationaux, elle a accusé une chute de production dans la zone euro de -14 % entre le T1 2021 et le T4 2020, particulièrement en Italie (-27 %), en Allemagne (-19 %) et en Espagne (-13 %). Pour autant, si au départ il n’existe aucun effet évident de la pénurie de semi-conducteurs sur la hausse des prix des appareils électroniques et des voitures en Europe, la durée de la pénurie et la baisse des stocks a contribué à la hausse des prix généralisée. Une hypothèse jugée plausible en cas de blocus ou d’embargo chinois sur Taïwan. D’autant plus que la présence de ces composants dans le secteur automobile devrait augmenter d’ici à 2030, indépendamment de la production de véhicule (cf. Figure 2).

 

Figure 2- Présence de semiconducteurs dans l’automobile. Estimations d’avril 2019. 

Sources : Bloomberg, Deloitte Analysis et IHS, BSI Economics

 

3. Quelles conséquences d’un blocus sur l’économie mondiale ?

3.1 Blocus et conséquences probables sur l’économie européenne

Un blocus de l’île par la République Populaire de Chine pourrait avoir des conséquences profondes sur l’économie taïwanaise, très dépendante de la Chine tant en termes d’exportations (42 % du total de l’île) que d’importations (22 %), ainsi que sur l’économie mondiale. L’armée américaine, selon le Financial Times, considère même comme plausible que la Chine puisse envahir Taïwan avant 2024, un horizon bien plus proche qu’envisagé initialement (2027). S’il existe des alternatives pour la Chine de s’approvisionner ailleurs, notamment localement ou en Corée et à Singapour, Taïwan reste de loin le premier fournisseur à ce jour de semi-conducteurs à la Chine.

Le même Financial Timesainsi que le Japan Times rapportent qu’un embargo prolongé de Taïwan mettrait en péril les chaînes d’approvisionnement mondiales des industries technologiques, pour un montant estimé à plus de 1 % du PIB, sans compter les interdépendances entre les deux pays asiatiques. Outre l’arrêt des exportations de l’île, près de la moitié des porte-conteneurs mondiaux transitent par le détroit de Formose. La fermeture de celui-ci provoquerait des conséquences sur l’économie européenne incomparables avec les ruptures de chaînes logistiques connues récemment.

Finalement, comme le montre la figure ci-dessous, si les semi-conducteurs sont utilisés dans la plupart des secteurs, un nombre réduit d’entreprises en sont les distributeurs. Ce phénomène de concentration entraînerait de fortes hausses des prix, les semis ayant vu leur inflation dépassé plus de 8 % en un an en juillet 2022 selon le US bureau of Labor Statistics.

 

Source : Supply Chain Brain, BSI Economics

3.2 Un début de (ré)industrialisation,  

Afin de pallier cette dépendance, la Commission Européenne a présenté le 8/02/2022 le « Chips Act », un paquet législatif sur les semi-conducteurs qui permettrait à l’Europe de doubler sa part de marché d’ici à 2030 afin d’atteindre 20 %[2]. Afin d’atteindre cet objectif, l’Union Européenne mobilisera 43 Mds EUR d’investissements à la fois publics et privés. Ce plan, d’abord ciblé sur les PME et les start-ups, se concentrera sur le secteur des transports, mais aussi des technologies de nouvelle génération ainsi que sur la sobriété numérique. Il doit cependant encore être complété par les Etats membres et être intégré parmi les programmes existants dans la R&D tels qu’Horizon Europeet le programme pour une Europe numérique.

Outre- Atlantique, après plusieurs années d’hésitations, le congrès Américain a également voté un paquet de 52 Mds USD afin d’améliorer la compétitivité de ce secteur aux Etats-Unis[3] sans horizon de temps défini, parmi une enveloppe de 280 Mds USD pour l’ensemble de l’innovation et de la R&D. La part de marché américaine a en effet chuté de 37 % dans les années 1990 à 12 % aujourd’hui.  Il s’agit en l’espèce de subventions pour la construction de nouvelles usines sur le sol américain. Ainsi, par exemple, Intel a déjà annoncé deux usines en Arizona et deux autres en Ohio, quand TSMC et Samsung ont annoncé des usines respectivement en Arizona et au Texas afin de compléter le paquet. Il s’agit en effet d’une autre conséquence directe de ces regains de tensions dans la région : une réindustrialisation attendue de l’Europe et des Etats-Unis à l’horizon 2030.

 

 

Conclusion

En définitive, un regain de tension sur le dossier de Taïwan serait fortement préjudiciable pour l’ensemble des économies, et il apparaît urgent de diminuer la dépendance de l’industrie aux semi-conducteurs taïwanais. Pourtant cette tendance risque de durer au moins jusqu’en 2030, et affecterait en premier lieu la Chine, paradoxalement, compte tenu à la fois des interdépendances entre les deux pays (42 % des exportations de Taïwan ont pour destination la Chine) ainsi que des délais attendus de l’industrialisation dans ce secteur de l’UE et des États-Unis. L’entreprise TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Company) exploite les plus grandes usines de plaquettes de silicium du monde et produit certaines des puces les plus avancées utilisées dans tous les domaines, des smartphones aux voitures en passant par les missiles. Mark Liu, le président de TSMC, a annoncé qu’en cas d’invasion chinoise sur ses usines, dont 90 % se situent à Taïwan, le groupe rendrait ses installations industrielles « inopérantes » plutôt que de les laisser entre les mains des Chinois[4].  

 

Sources :

The World Is Dangerously Dependent on Taiwan for Semiconductors | 2021-01-26 | SupplyChainBrain