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La transmission des variations de l’euro aux prix dans l’économie (Note)

Résumé:

●     La transmission du taux de change aux prix peut être définie comme la variation (à la hausse ou à la baisse) des différents prix dans une économie consécutive à une appréciation ou une dépréciation de son taux de change ;

●     Cette transmission n’est ni complète ni immédiate. Son importance semble avoir diminué dans la Zone euro au cours des dernières années, mais il existe des différences entre les Etats membres ;

●     Ces différences proviennent des différents facteurs influençant cette transmission, que l’on peut distinguer en deux catégories : les facteurs relatifs à la mondialisation (rôle international de l’euro, type de biens échangés, partenaires commerciaux…) et les facteurs relatifs aux stratégies des entreprises et aux structures de marché (concurrence, type de devise utilisée pour les échanges…).

 

 

Le degré avec lequel les mouvements de taux de change ont un impact sur des prix domestiques semble avoir baissé au cours des années dernières, dans la Zone euro, selon une étude de la BCE parue en septembre 2016([1]). Cette étude met en lumière les facteurs potentiels de cette baisse, ainsi que les raisons derrière les différences de transmission du taux de change à l’inflation dans les États membres de la Zone euro.

Après un rappel des mécanismes à l’œuvre dans la transmission des variations de taux de change aux différents prix dans une économie, nous verrons dans quelle mesure les structures de production des principales économies de la Zone euro et la mondialisation des échanges commerciaux agissent sur cette transmission. 

                                                                                                                                   
1. Les trois étapes de la transmission des variations du taux de change aux prix dans une économie

La transmission des variations du taux de change aux prix peut être définie comme le degré avec lequel les prix dans une économie augmentent (ou baissent) après une dépréciation (ou une appréciation) du taux de change. Il faut faire icila distinction entre les différents stades de la transmission du taux de change aux prix, notamment entre les prix des importations et les prix à la consommation (Schéma 1). L’impact du taux de change sur les prix des importations est déterminé par les stratégies tarifaires des importateurs domestiques et des exportateurs étrangers, la décomposition sectorielle et géographique des importations d’un pays ainsi que l’utilisation de la devise nationale dans les échanges commerciaux. L’impact du taux de change sur le niveau des prix à la consommation (IPCH), la seconde étape, dépend surtout de l’intégration d’une économie dans les chaînes de valeur mondiales (CVM) ainsi que des stratégies tarifaires des entreprises sur le marché intérieur. L’impact du taux de change sur les prix inclut aussi un troisième stade, entre l’IPCH et les prix des exportations, et dépend de la mesure dans laquelle les exportateurs domestiques peuvent ajuster leurs prix ou leurs marges à la suite d’une hausse de prix domestiques compte tenu de la concurrence sur leurs parts de marché internationales.

 

Schéma 1. Les trois étapes de la transmission du taux de change aux prix

Sources : auteur, BSI Economics

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles la transmission des mouvements de change pourrait être incomplète, c’est-à-dire soit retardée, soit partielle. Au niveau des prix des importations, il faut s’intéresser à la concurrence entre les exportateurs étrangers (hors Zone euro) sur les parts de marché dans la Zone euro, qui détermine leurs politiques de prix. Le degré auquel les variations des prix des importations sont transmises aux prix à la consommation dans un pays dépend à son tour de la concurrence sur le marché domestique. L’impact sur les prix à la consommation est alors plus petit et se matérialise plus tard. L’augmentation des coûts de production suite à l’augmentation des prix des biens importés alimente des pressions inflationnistes sur toute l’économie, mais elles peuvent en partie être compensées par le fait que certaines entreprises domestiques peuvent décider de garder leurs prix constants et donc rogner leur marge, limitant ainsi l’impact final sur l’IPCH.

Ainsi, l’impact global des variations de taux de change sur les prix domestiques est une combinaison de canaux directs et indirects qui se chevauchant et diffèrent en importance et en timing. Il faut faire la distinction entre les facteurs venant des stratégies des entreprises (devise utilisée pour les échanges, stratégies tarifaires, les structures du marché…) et les facteurs liés à la mondialisation des échanges commerciaux (le poids des économies émergentes, l’intégration dans les CVM, la dynamique commerciale, le rôle international des devises…).


2. Taux de change, marges et parts de marché : quelle flexibilité pour les stratégies tarifaires des entreprises ?

D’abord, le choix de la devise utilisée dans les échanges internationaux est un facteur majeur pour l’importance et la vitesse de la transmission du taux de change aux prix des importations. La stabilité de l’euro ainsi que son rôle international ont amené davantage d’entreprises étrangères à utiliser cette devise pour leurs exportations vers la Zone euro. Une entreprise étrangère qui exporte dans la Zone euro des produits libellés en euros pourrait choisir de ne pas répercuter entièrement une dépréciation de l’euro sur ses prix de vente afin de maintenir sa compétitivité. Elle déciderait donc d’absorber le risque de change[2] pour maintenir ses parts de marché dans la Zone euro. De plus, la part plus importante d’échanges commerciaux au sein de la Zone euro pourrait avoir renforcé la diminution globale de la transmission du taux de change en augmentant les importations des Etats membres facturées en euros, non soumises aux aléas de l’effet change. De plus, le choix de la devise de facturation peut aussi faire partie de la stratégie d’une société (limiter des coûts de transaction, stabiliser des profits en se protégeant contre la volatilité d’une devise etc…).

La transmission du taux de change aux prix pourrait être inférieure (plus tardive et moins importante) en Allemagne par rapport à la France, l’Espagne ou l’Italie en raison de la part plus grande de leurs importations facturées en euros. L’Allemagne se détache avec une part de 50 % tout à fait stable de ses importations hors-UE facturées en euros (Graphique 1), tandis que l’Espagne et l’Italie ont subi une baisse importante de 2012 à 2014. En France, cette part augmente légèrement mais reste 10 points au-dessous de celui d’Allemagne. Ces chiffres semblent montrer  la variété dans les niveaux de transmission du taux de change : l’Allemagne aurait une transmission de taux de change inférieure en raison de la part plus importante de ses importations facturées en euros, tandis qu’en Italie et en Espagne on assiste à un changement de la devise utilisée pour ces importations.

Plus un pays de la Zone euro importe des biens dont le prix est libellé en euro, moins il sera soumis à des effets sur les prix dus à une variation du cours de l’euro,  et donc moins la transmission de la politique de change serait importante et rapide.

Graphique 1. Part des importations hors-UE libellées en € (% total importations hors-UE)

Sources : Eurostat, BSI Economics

En plus du choix de la devise utilisée pour les échanges, le degré et la vitesse de la transmission du taux de change dans des prix peuvent être déterminés par les politiques tarifaires que les sociétés adoptent étant donné l’élasticité de la demande de leurs marchandises dans le marché de destination. Le degré auquel les sociétés peuvent ajuster leurs marges après une dépréciation dépend de la façon dont leurs produits sont substituables. Comme indiqué par Bussière (2013), le degré de concurrence sur un marché a un impact sur la transmission du taux de change aux prix. Lorsqu’une entreprise importatrice subit un effet de change négatif et voit le prix des intrants qu’elle importe augmenter, elle a davantage de marges de manœuvre dans un marché oligopolistique pour répercuter cette hausse sur ses prix de vente sans mettre en péril ses parts de marché. En revanche, dans un marché plus concurrentiel, une entreprise peut choisir de ne pas répercuter cette hausse du prix de ses intrants sur ses prix de vente et donc réduire ses marges pour maintenir sa compétitivité-prix. La transmission du taux de change aux prix semble donc moins complète sur des marchés plus concurrentiels.


3. La mondialisation : facteur de changement structurel dans la relation entre taux de change et prix domestiques

La littérature scientifique a identifié le changement de la composition sectorielle et géographique des importations d’un pays comme un des facteurs principaux dans la baisse de l’impact du taux de change sur les prix domestiques. Comme indiqué par Campa et Goldberg[3], les marchandises à base de matières premières ont tendance à être évaluées en dollars sur un marché mondial unique avec des prix très homogènes, mais fortement volatils. Les importations de matières premières

représentant une part plus importante du total des importations en Italie et en Espagne (Graphique 2), il est probable que les prix dans ces économies soient davantage sensibles aux fluctuations des prix des matières premières ainsi qu’aux variations du taux de change euro/dollar (ces produits étant souvent libellés en USD), contrairement à des pays qui importent des biens dont les prix sont plus stables.

Graphique 2. Part des matières premières dans les importations totales (%)

Sources : Eurostat, BSI Economics

Deuxièmement, l’importance croissante de producteurs bon marché dans les échanges internationaux a favorisé la concurrence internationale et par conséquent une transmission incomplète des mouvements de change dans les prix des entreprises étrangères. La part croissante des importations de la Zone euro en provenance des économies émergentes, qui auraient davantage tendance à absorber les variations de change dans les marges et garder leurs prix constants pour maintenir leurs parts de marché, entraine une baisse de la transmission du taux de change sur les prix des importations dans la Zone euro (Bussière, 2013).

Les importations d’énergie représentent une part importante des importations totales pour la plupart des États Membres de la Zone euro. Dans le cas de l’Italie et de l’Espagne, ce n’est pas le prix du pétrole qui a changé, c’est plutôt la devise utilisée pour les importations de pétrole. Tandis qu’en 2012, 70 % des importations pétrolières de l’Italie et 60 % de celles de l’Espagne ont été facturées en dollars (graphique 3), ce taux est passé à presque 100 % en 2014 pour les deux pays. En Allemagne, les importations de pétrole en dollars sont restées stables et moins importantes (environ 50 %). En France ce taux reste légèrement plus élevé mais il est en baisse sur les dernières années. Ceci expliquerait en partie pourquoi en Italie et en Espagne les prix des importations et à la consommation sont plus réactifs aux mouvements de taux de change qu’en France ou en Allemagne car les coûts de distribution sont davantage affectés par l’évolution du taux de change du euro/dollar. Plus les produits importés sont libellés en devises étrangères, plus les entreprises locales sont exposées à un risque de change sur les biens qu’elles importent.

Graphique 3. Part des importations de pétrole libellées en dollar (% total importations pétrole)

Sources : Eurostat, BSI Economics

Finalement, l’intégration graduelle des pays de la Zone euro dans les chaînes de valeur mondiales (CVM) risque aussi d’impliquer des changements dans la réaction des prix aux mouvements de taux de change. La mondialisation des processus de production peut modifier considérablement les différents stades de la transmission des mouvements de change aux prix. Il s’agit notamment de s’intéresser aux « backward linkages » d’un pays dans les CVM, à savoir la part d’intrants importés dans la valeur ajoutée domestique et dans la valeur ajoutée exportée.

Premièrement, une plus grande pénétration des importations[4] peut être associée à plus de pouvoir de marché pour des entreprises étrangères et donc plus de marges de manœuvre pour maintenir leurs profits et répercuter les variations de change sur leurs prix. Dans un second temps, une plus grande part d’importations de biens intermédiaires peut entrainer des pressions inflationnistes suite à une dépréciation du taux de change car les producteurs voient leurs coûts de production augmenter et peuvent les répercuter sur les prix pour maintenir leurs marges bénéficiaires. Les « backward linkages » sont donc une source d’augmentation de la transmission des variations de taux de change aux prix à la consommation. Le même mécanisme est à l’œuvre pour les prix à l’exportation : plus la part des biens importés dans la valeur ajoutée exportée est grande, plus les gains dans la compétitivité-prix après une dépréciation de taux de change sont faibles car la diminution des prix des exportations est en partie empêchée par une augmentation de coûts de production. L’évaluation de la transmission du taux de change aux différents prix dans une économie est donc essentielle pour anticiper l’impact des mouvements de change sur l’inflation ou la compétitivité-prix des entreprises exportatrices.

 

Conclusion

Pour résumer, certains facteurs identifiés par la littérature expliquent le déclin dans la transmission du taux de change aux prix dans la Zone euro, ainsi que les différences entre les Etats Membres. Pour l’Italie et l’Espagne la composition différente de leurs importations et des structures du marché pourrait expliquer une plus forte sensibilité des prix domestiques aux variations du taux de change de l’euro, par rapport à l’Allemagne ou la France. Les variations du taux de change de l’euro ont donc des effets asymétriques sur l’inflation et la compétitivité-prix des différents pays de la Zone euro.

 

                                                                                                             

Bibliographie

●    Auer, R., and Schoenle, R., (2016) “Market structure and exchange rate pass-through” Journal of International Economics, 98, pp. 60-77.

●    Bussière, M., Delle Chiaie, S., Peltonen, T., (2014) “Exchange Rate Pass-Through in the Global Economy: The Role of Emerging Market Economies” IMF Economic Review Vol. 62, No. 1

●    Campa, J.M., and Goldberg, L.S., (2005) “Exchange rate pass-through into import prices” The Review of Economics and Statistics, vol.87, is. 4, pp. 679-690.

●    Choudhri, E. U., Hakura, D. S. (2015) “The exchange rate pass-through to import and export prices: The role of nominal rigidities and currency choice” Journal of International Money and Finance, Vol.51, pp.1-25.

●    Di Mauro, F., Rasmus, R., and Irina B., (2008) “The changing role of the exchange rate in a globalised economy” ECB Occasional Paper Series, n. 94.

●    European Central Bank (2016) The international role of the euro. Interim report. June 2016

●    European Commission (2014) “Member States vulnerability to changes in the euro exchange rate”, Quarterly report on the euro area, vol. 13, is. 3, pp. 27-33. 

●    Faruquee, H., (2006) “Exchange Rate Pass-Through in the Euro Area” IMF Staff Papers, Vol. 53, No. 1

●    Osbat, C. and Wagner, M.,(2006) “Sectorial exchange rate pass-through in the euro area”, available at www.cide.info/conf/papers/O2.pdf

●    Özyurt, S., (2016) “Has the exchange rate pass through recently declined in the euro area?” ECB Working Paper Series, No 1955.

 


[1]Özyurt, S., (2016) “Has the exchange rate pass through recently declined in the euro area?” ECB Working Paper Series, No 1955.

[2] Risque pour une entreprise de voir la devise, dans laquelle sont libellés les prix de ses produits finaux, se dépréciait par rapport à la devise dans laquelle sont libellés ses coûts de production. A court terme, cette entreprise peut soit augmenter ses prix de vente pour maintenir ses marges, soit diminuer ses marges pour conserver sa compétitivité prix.

[3]Campa, J.M., and Goldberg, L.S., (2005) “Exchange rate pass-through into import prices” The Review of Economics and Statistics, vol.87, is. 4, pp. 679-690.

[4] Volume des importations de biens et services en pourcentage du volume des dépenses totales finales à prix constants (OCDE)