Résumé :
· L’objet de cet article est de traiter les différents dysfonctionnements liés au système de la TVA au Maroc.
· L’utilisation de l’enquête de niveau de vie des ménages marocains de 2007 permet de visualiser ces dysfonctionnements.
· Le système d’exonération de certains produits de la TVA profite quatre fois plus à la classe riche qu’aux pauvres.
Dans un contexte où les ressources publiques destinées à la lutte contre la pauvreté sont au centre de l’attention et dans un contexte de libéralisation des échanges extérieurs, réduisant les recettes provenant des importations, le Maroc doit préserver les équilibres publics pour poursuivre les dépenses d’investissements en infrastructures et en capital humain. Les rentrées fiscales importantes devraient faire l’objet d’une politique judicieuse, afin d’assurer une redistribution équitable entre les citoyens, en particulier les pauvres, pour réduire les inégalités sociales.
Vu sa part importante (31,7 %) dans les recettes fiscales de l’Etat marocain, la TVA occupe un rôle important parmi les axes de ces politiques fiscales. Elle s’inscrit dans un esprit de justice et d’équité, conformément au principe d’égalité de tous devant l’impôt. Les politiques de transition fiscale (diminution des taux d’impôts, application davantage d’exonérations..) mises en œuvre au Maroc, ont cherché plutôt à s’appuyer sur la TVA en raison de sa neutralité économique tout en évitant de s’appuyer sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés en raison de l’étroitesse de leurs assiettes[1]. L’intégration de la TVA dans les prix pose deux problèmes : d’une part, la TVA impose tous les redevables à égalité, qu’ils soient riches ou pauvres. Et d’autre part, le fait que les ménages ayant le même niveau de vie se trouvent lésés, dans la mesure où les goûts, les préférences et les structures de leurs consommations peuvent naturellement différer.
L’objet de cet article est d’étudier la contribution des diverses strates de la population à la TVA. Ensuite, il vise à mesurer, d’une part, le poids de la TVA dans le budget des ménages au Maroc. Et d’autre part, à évaluer le coût, pour le budget de l’Etat et celui des ménages, des exonérations ou des taux réduits. Enfin, il cherche à expliquer comment cette taxe affecte différemment la consommation des divers groupes de ménages et surtout la population pauvre. Pour ce faire, nous avons utilisé les données de l’enquête nationale sur le niveau de vie des ménages 2006/2007 réalisée par le Haut Commissariat au Plan.
Structure de consommation et TVA payée des ménages marocains
L’enquête sur le niveau de vie des ménages (2007)[2] montrent que la dépense annuelle moyenne par personne en 2007 était de 11 222 Dirhams (DH). En 2001, elle était de 8 280 DH. Cette amélioration a profité aussi bien au milieu urbain qu’au milieu rural. En effet, dans le milieu urbain la consommation est passée de 10 642 DH en 2001 à 13 894 DH en 2007, en progression de 4,5 % par an. Pour le milieu rural, elle est passée de 5 288 à 7 752 DH (progression de 6,5 %). De ce fait, l’écart entre les dépenses dans les deux milieux de résidence s’est relativement réduit. Cette progression des niveaux de vie entre 2001 et 2007 a profité à l’ensemble des ménages, particulièrement aux populations pauvres et vulnérables.
Les résultats de l’enquête montrent également que l’amélioration globale du niveau de vie a réduit la pauvreté et la vulnérabilité de manière significative entre 2001 et 2007. Ainsi, la pauvreté[3]est passée de 15,3 % à 9 % au niveau national, de 7,6 % à 4,8 % en milieu urbain et de 25,1 % à 14,5 % en milieu rural. Quant à la vulnérabilité[4], elle est passée de 22,8 % à 17,5 % au niveau national, de 16,6 % à 12,7 % en milieu urbain et de 30,5 % à 23,6 % en milieu rural.
La répartition des dépenses des ménages marocains et de la TVA payée par poste[5]
A partir du tableau ci-dessus, nous constatons que les dépenses d’alimentation (y compris l’achat du tabac) continuent d’occuper la première place dans le budget ménager avec un poids de 43 % en 2007 contre 44,1 % en 2001, soit une diminution de 1,1 %. Par ailleurs, cette structure montre que les dépenses allouées à l’habitation et énergie (loyer et entretien du logement, dépenses d’eau et d’électricité) occupent la deuxième place du budget des ménages, même si leur poids a reculé (20 % en 2007 contre 22 % en 2001, soit une baisse de 2 points).
Le groupe « transport et communication» vient en troisième position avec une dépense annuelle moyenne de 1 308 DH par an en hausse de 112 % par rapport à 2001. Ce groupe enregistre la plus forte hausse par rapport aux autres (4,70 %). Cette hausse peut être expliquée en premier lieu par l’évolution des télécommunications qu’a connu le Maroc entre 2001 et 2007 (l’introduction de la téléphonie mobile, internet…) et en deuxième lieu par l’augmentation des prix du baril de pétrole dans la même période, ce qui a engendré une hausse des prix du transport.
Malgré la grande part qu’occupent les postes « alimentations, boissons et tabac » et « habitation et dépenses d’énergie » dans la consommation des ménages marocains, ils ne génèrent que, respectivement, 24 % et 13 % de la TVA, alors que le poste « transports et communications » génère à lui seul 27 % en dépit de sa part relativement faible (12 %). Ceci est expliqué par le fait que la plupart des produits des deux premiers postes sont exonérés ou faiblement taxés.
Les coefficients budgétaires des ménages marocains, tunisiens et français (en %)[6]
A titre de comparaison des structures des dépenses de la Tunisie (2005) et de la France (2006) par rapport à celle du Maroc (voir tableau ci-dessus), nous remarquons qu’en Tunisie, comme c’est le cas au Maroc, l’alimentation constitue encore le premier poste budgétaire suivie par le logement, tandis que l’ordre de ces deux postes s’inverse en France. Cela s’explique par l’écart de développement et de culture. Malgré cet écart, nous constatons que la part des dépenses de santé en France est relativement faible par rapport à celle du Maroc et de la Tunisie. Cela s’explique par la prise en charge d’une grande partie de ces dépenses par le régime public de la couverture médicale.
L’effort et la dépense fiscale au Maroc
Le tableau ci-dessous montre que système fiscal de la TVA au Maroc est assez progressif, c’est-à-dire relativement pro-pauvres, plus le niveau de vie s’améliore plus la TVA payée augmente. Mais il faut nuancer car cette progressivité demeure relative. En effet, le tableau en dessous fournit la répartition de la dépense fiscale par quintile, au sens de TVA non payée aussi bien totalement (taux zéro) que partiellement (taux 7 %, 10 % et 14 %).
L’effort fiscal des ménages par strates de population[7]
Nous y observons que le manque à gagner pour le budget (la subvention implicite) est plus élevé pour les ménages aisés que pour les ménages pauvres. Il représente 38 % pour les premiers et 5 % pour les seconds. Cela est dû à la grande consommation des ménages aisés. En effet, le manque à gagner pour le budget de l’Etat sur les produits non taxés (alimentaires en particulier) est 4 fois plus élevé pour les ménages aisés (quintile5) que pour les ménages pauvres (quintile1).
Répartition de la dépense fiscale par quintile
En revanche, du point de vue des ménages, plus le gain réalisé grâce à l’exonération est important par rapport à la dépense totale des ménages, plus cela signifie que ces derniers sont en situation précaire. La levée de l’exonération devrait donc être accompagnée de mesures compensatoires, comme des transferts ciblés au profit des ménages concernés.
Dans l’ensemble, nous constatons que la part de la dépense fiscale qui profite aux ménages aisés coûte beaucoup plus au budget de l’Etat que celle des ménages pauvres. Et que les gains réalisés par les ménages se situent essentiellement au niveau des produits exonérés. Ainsi, pour que la fiscalité soit plus « redistributive », les gains devraient être mieux répartis entre produits exonérés et ceux faiblement taxés, selon les strates.
Déterminants de la TVA payée et effet de la taxation des « céréales et produits à base des céréales » sur la consommation
Un travail de modélisation a été effectué pour faire sortir les principaux déterminants de la TVA payée au Maroc et évaluer l’impact d’une augmentation du taux de la TVA sur la consommation des ménages.
Pour ce qui est des déterminants de la TVA payée, il s’avère que le fait qu’un ménage soit dirigé par une femme diminue les montants de la TVA, car ces ménages sont relativement en situation de précarité, comparés avec ceux dirigés par des hommes, et donc ont une consommation plus faible. D’un autre coté, plus la dépense par tête (proxy du revenu par tête) augmente de 1 %, toutes choses égales par ailleurs, le montant de la TVA payée augmente de 1,24 %. Nous remarquons que les montants de la TVA payée augmente plus que proportionnellement que la consommation augmente. En effet, quand le niveau de vie des ménages s’améliore, ces derniers ont tendance à consommer des produits de qualités (fortement taxés).
Concernant la modélisation de la demande des marocains, nous avons tenté de simuler l’impact d’une réforme qui consiste l’imposition du groupe « céréales et produits à base des céréales[8] » à un taux de TVA de 10 %. Il ressort de cette estimation une baisse de façon notable de la consommation des produits des groupes « viandes » et « laits, petit lait et œufs » chez la classe de population la plus pauvre alors que pour la classe riche cette taxation n’a aucun effet sur leur revenu. La précarité des pauvres fait qu’ils vont affecter leur surplus de revenu d’abord à mieux satisfaire leurs besoins en ces produits moins » luxueux » que les viandes ou les produits laitiers.
Conclusion
Les différents résultats obtenus montrent que le système de la TVA au Maroc n’est pas équitable contrairement à son principe de base de justice et d’équité. En effet, les exonérations ainsi que la diminution des taux d’imposition ne font que profiter à la classe aisée. Par ailleurs, la taxation des produits de bases (farine, blés..) peut nuire à la consommation des produits essentiels pour la nutrition, tel que la viande et le lait pour les pauvres. De ce fait, il est question de prendre en considération cet ensemble de dysfonctionnements lié à la taxation de la TVA. Ainsi, les réformes de la TVA devraient intégrer un taux unique d’imposition accompagnées de mesures compensatoires pour soutenir la consommation de des classes pauvres.
[1]Ministère de l’économie et des finances (2011) .Rapport économique et financier 2011
[2] Enquête réalisée par le HCP, qui a couvert l’ensemble du territoire national (16 régions) et a porté sur 7062 ménages (une population de plus de 36 000 personnes).
[3]Le HCP consiste à établir la pauvreté en fonction du niveau de consommation des ménages. Ce choix se justifie par la difficulté d’avoir accès à des données relatives aux revenus. Le taux de pauvreté est dès lors défini comme la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté (En 2007, ce seuil a été de 3834 DH par personne et par an en milieu urbain et de 3569 DH par personne et par an en milieu rural).
[4]La vulnérabilité appréhende la fraction de la population qui est au dessus du seuil de la pauvreté relative, mais qui risque de se trouver en deçà de ce seuil si des aléas de différentes sortes affectent leur situation économique et sociale. Sur cette base et conformément à l’approche de la Banque Mondiale, est dit vulnérable tout ménage dont la dépense totale se situe entre le seuil de la pauvreté relative et 1,5 fois ce seuil. (source : HCP)
[5]Calculs à partir de L’ENNVM 2000/2001 et celle de 2006/2007.
[6] HCP (2008), Rapport de l’enquête ‘’niveau de vie des ménages marocains 2006/2007’’.
[7] Calculs à partir de L’ENNVM 2006/2007.
[8] Produit normalement exonéré