DISCLAIMER: l’auteur s’exprime à titre personnel et ne représente aucunement l’institution qui l’emploie.
Résumé :
· Le transfert de la supervision au niveau européen semble permettre une supervision plus efficace en raison d’un moindre risque de capture réglememtaire;
· Les stress tests montent progressivement en puissance et gagnent en crédibilité ;
· La résolution à l’échelle européenne se met en place avec un fonds provisionné progressivement ;
· Sur de nombreux points la convergence réglementaire reste à réaliser.
Le projet d’Union bancairea été lancé il y a cinq ans en même temps que l’OMT[1] afin de briser le lien entre dette bancaire et dette publique, en portant au niveau européen la supervision, la résolution et la protection des dépôts. En effet, les banques qui détiennent de larges montants de dette publique peuvent se retrouver en difficulté en cas de risque de défaut souverain, et les Etats eux-mêmes peuvent se retrouver en situation difficile s’ils doivent s’endetter pour porter secours à une banque au bord de la faillite. C’est cette interconnexion qui a été la principale dynamique de la crise de la dette souveraine en Zone euro.
Le projet d’Union bancaire repose sur trois piliers : la supervision, la résolution et la protection des dépôts. Si les deux premiers ont donné naissance à deux nouvelles agences européennes, la troisième n’est toujours pas en place. Les spreads souverains ont indéniablement baissé au sein de la zone, en partie grâce aux actions de l’Union bancaire : stress tests (en 2014 et 2016), supervision des 130 plus grandes banques par la Banque Centrale Européenne (BCE), cadre de résolution des banques, fonds de résolution, etc. Mais de nombreux chantiers restent ouverts afin de consolider les progrès accomplis : convergence réglementaire, traitement des NPL[2] et provisionnement des fonds de résolution et de garantie des dépôts.
1. Le Mécanisme de supervision unique
Le premier pilier de l’Union bancaire, le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) , a été mis en place en novembre 2014 à la suite d’une revue de la qualité des actifs dans le bilan des banques, qui a révélé une sous-estimation des NPLs, et d’un stress tests qui a particulièrement souligné la fragilité du secteur bancaire italien (voir : L’Union Bancaire, un projet fondamental mais inachevépour plus de détails sur la structure du MSU).
· Organisation du Mécanisme de Supervision Unique
Le MSU a recruté plus de 1 000 superviseurs (dont les trois quarts viennent des superviseurs nationaux) en moins d’un an et s’est structuré en quatre sections (DGMS[3]) :
1. DGMS I s’occupe des 30 plus grands groupes bancaires européens supervisés directement par la BCE ;
2. DGMS II s’occupe des 100 suivants, eux aussi supervisés directement par la BCE ;
3. DGMS III suit les 3 000 autres banques de la Zone euro qui restent à la charge des superviseurs locaux mais sur lesquels la BCE peut intervenir si elle le juge nécessaire.
4. Enfin, DGM IV a une fonction de support transversale, comme par exemple sur les modèles de risques ou les méthodologies d’évaluations.
Toutefois, face à l’ampleur de la tâche, la Cours des Comptes Européenne souligne dans un rapport de 2016 le manque de personnel du MSU. Le MSU est financé directement par les banques à travers un système de redevance pondéré par la taille et le profil de risque. Ainsi sur les 404 millions d’euros de redevance pour l’année 2016, en augmentation de 24 % par rapport à 2015, les 130 plus grandes banques se sont acquittées de près de 90 % de la somme.
Comme souligné par le rapport de Bruegel sur l’Union bancaire (Bruegel, 2016), la supervision menée au MSU semble plutôt intransigeante et plus intrusive que les régulateurs nationaux. Agarwal et al (2014) ont montré qu’aux Etats-Unis les régulateurs locaux sont plus conciliants que les régulateurs fédéraux, qui ont plus de moyens et sont moins sensibles au contexte local. Afin de limiter le risque de capture réglementaire par une trop grande proximité locale, l’équipe chargée de la supervision d’une banque au sein du MSU est toujours dirigée par un superviseur d’une nationalité différente de celle de la banque. Cette intransigeance du MSU se traduit dans un niveau moyen de 10 % de CET1[4] exigés au total avec le deuxième pilier de Bâle III[5], ce qui est supérieur au minimum exigé par le premier pilier, et également par une exigence supérieure sur le ratio de liquidité (ECB, 2016).
· Bilan des stress tests
Les stress tests menés au niveau européen avant la mise en place de l’Union bancaire souffraient d’un manque de crédibilité. Par exemple, en 2010, Allied Irish Banks passait les stress tests en juillet mais avait nécessité une intervention de l’Etat irlandais plus tard dans l’année. De la même manière, en 2011, Bankia en Espagne et Dexia en France et en Belgique réussissaient les stress tests, mais se sont retrouvés au bord de la faillite quelques mois plus tard.
Les stress tests de 2014 et 2016 menés conjointement par l’Agence Bancaire Européenne (ABE), le MSU et la BCE ont permis de mieux identifier les banques en difficultés et d’exiger des plans de recapitalisation (ECB, 2014 et EBA, 2016a). La revue de la qualité des actifs menée en 2014 a aussi révéler une sous-estimation des NPLs de 136 milliards d’euros provenant de divergences de normes dans la définition des NPLs, posant le problème de la convergence réglementaire.
La méthodologie employée pour les stress tests est dite « bottom-up », car ce sont les banques qui estiment les pertes qu’elles subissent à la suite du scénario économique qui leur est communiqué. Cette approche laisse donc une large marge de manœuvre aux banques afin d’estimer leurs risques (voir Arnould et Dehmej, 2016 pour une critique détaillée des stress tests de 2014). Mais la BCE dispose aussi en interne d’un modèle « top-down » (où les banques communiquent leur bilan et le superviseur y applique un modèle afin d’estimer les pertes déroulant d’un certain scénario) qui permet de contrôler les pertes communiquées par les banques au sein du stress test « bottom-up ». Cette méthodologie monte en puissance progressivement, car elle nécessite des moyens technologiques et humains conséquents, qui prennent du temps à être mis en place (le stress test de 2014 a été réalisé avec une aide conséquente d’agences de conseil). Toutefois, il reste difficile de prendre en compte le risque opérationnel qui se manifeste régulièrement sous la forme d’amendes, comme par exemple Deutche Bank menacée de plus de 14 milliards de dollars d’amende en 2016. De même, en se focalisant sur les plus grandes banques, les stress tests européensne prennent pas encore bien en compte le risque de contagion qui pourrait intervenir au sein d’un secteur très interconnecté (Arnould et Dehmej, 2016).
· La convergence réglementaire
Pour construire une supervision efficace au niveau européen, il faut que les mêmes règles s’appliquent partout. En raison d’un certain degré de discrétion laissé aux Etats lors de la transposition de la réglementation bancaire au sein de la Zone euro et de différentes vitesses de convergence de Bâle II à Bâle III, il existe de nombreuses divergences réglementaires entre pays. En 2015, ces divergences réglementaires étaient estimées à 150 (Nouy, 2015). Par exemple, les crédits d’impôts différés[6] qui étaient comptabilisés auparavant comme capital CET1, doivent en être progressivement retirés. Or tous les pays ne le font pas au même rythme, voire, certains ont trouvé un moyen de les proroger.
Il existe aussi un défi de convergence des pratiques de la supervision comme souligné par l’ABE (EBA, 2016b), en particulier au niveau des exigences du deuxième pilier et de la méthodologie utilisée (SREP[7]). En outre, certains instruments réglementaires sont toujours aux mains des Etats, comme les buffers systémiques, qui sont une exigence de capital supplémentaire pour les banques jugées systémiques, ou le cousin contra-cyclique, qui est une exigence de capital qui est supposée augmenter en période de croissance et diminuer en période de récession afin de lisser le cycle économique. Or tous les pays de la Zone euro n’appliquent pas les mêmes exigences. Par exemple, l’Italie et la Lettonie ont fixé les exigences pour les banques systémiques au niveau domestique[8] à 0 % alors que la plupart des pays du nord de l’Europe ont fixé ces buffers à 2-3 %.
2. Le Mécanisme de Résolution Unique
Le second pilier de l’Union bancaire, le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) a été mis en place en janvier 2015. Contrairement au MSU, le MRU est une agence indépendante, distincte de la BCE et responsable d’appliquer les plans de résolution des banques en cas de faillite, ainsi que de gérer un fonds de résolution, qui peut être mobilisé une fois que 8 % du passif de la banque a été utilisé lors de la résolution (voir : L’Union Bancaire, un projet fondamental mais inachevépour plus de détails sur la structure du MRU).
· Organisation du Mécanisme de Résolution Unique
Plus de 200 employés ont été recrutés pour lancer le MRU en 2015, qui s’occupe de la résolution de près de 4 000 institutions financières. Le fonds de résolution qui doit atteindre 1 % des dépôts couverts par l’assurance dépôt[9] (soit environ 55 milliards d’euro) est abondé progressivement sur huit ans entre 2016 et 2023. Au 30 juin 2017, le MRU a collecté 17,4 milliards d’euros provenant de 3 500 institutions. Les contributions des banques sont estimées selon une méthodologie basée sur le niveau de risque de leur bilan. Toutefois, la totalité du fonds n’est pas automatiquement mutualiséeau niveau européen et en parallèle de la montée en puissance du fonds, la part mutualisée augmente. Par exemple en 2017 seul 60 % du fonds est mutualisé.
· Bilan des résolutions
Ces dernières années le « bail-in », où les pertes sont absorbées par les actionnaires et les créditeurs juniors voire séniors[10], par opposition au « bail-out », où la plupart du temps l’Etat vient éponger les pertes, monte en puissance. La mise en place du MRU et de la directive européenne BRRD[11] oblige les banques à préparer un plan de résolution et donne un cadre légal au « bail-in ».
En raison de sa mise en place récente et de sa montée en puissance progressive, peu de situations se sont encore présentées pour appliquer ce nouveau paradigme. Le cas de Banco Popular en juin 2017 est un exemple récent de résolution. La BCE a déclenché la procédure de résolution du MRU après avoir constaté un risque de faillite imminent. Les actionnaires et détenteurs d’obligations juniors ont vu leurs positions liquidées afin de couvrir une partie des pertes. La banque a ensuite été vendue pour uneuro symbolique à Santander. Toutefois ce test reste limité car il n’y a eu ni besoin de faire appel aux obligations seniors lors de la résolution ni au fonds de résolution. Peu de temps après, en juin 2017 également, deux banques italiennes (BP Vicenza et Veneto Banca) ont été liquidées par le gouvernement italien, sans passer par le MRU, par le gouvernement italien après que les plans de recapitalisation aient été jugés non viables par le MSU. Là aussi les actionnaires et les détenteurs d’obligations juniors ont été mis à contribution, mais les créditeurs séniors ont, dans ce cas, été remboursés par l’Etat italien[12]. Si la participation de l’Etat italien peut laisser penser que le cercle vicieux entre dette bancaire et publique est toujours à l’œuvre, il reste qu’une bonne partie des pertes a été absorbée au travers du « bail-in » et qu’aucune banque zombie, survivant uniquement grâce à une perfusion publique, n’a été créée.
- La convergence réglementaire
S’il est censé exister en zone euro un cadre pour la résolution avec la directive BRRD, les lois sur la liquidation restent nationales. Or la résolution ne peut intervenir que si la banque ne peut endurer une liquidation sans risquer une contagion ou plus généralement porter atteinte à l’intérêt publique. Or, si le cadre de la liquidation diffère, l’utilisation de la résolution risque de varier entre les Etats de la zone euro.
En outre, le MRU, contrairement au MSU, ne se limite pas aux 130 plus grandes banques. Or il n’y a pas d’obligation dans tous les pays d’Europe d’utiliser les standards de comptabilités. Les plus grandes banques utilisent IFRS[13], alors que celles qui ne sont pas cotées sur les marchés n’en ont pas l’obligation (Pacter, 2015). Une telle différence risque là aussi de compliquer la tâche d’une résolution voire de générer des différences de traitement.
Conclusion
L’Union Bancaire semble plutôt être une réussite, en témoigne la convergence des spread souverains et l’assainissement progressif du secteur bancaire de la Zone euro. Toutefois, le risque de cercle vicieux entre la dette souveraine et les banques n’est toujours pas réglé.
L’absence du troisième et dernier pilier qui doit constituer un second fonds dédié à l’assurance dépôt, la présence de discrétions nationales qui minent l’égalité de traitement, mais aussi une concentration géographique importante posent la question d’un besoin de complément à l’Union Bancaire ; tel que l’Union des Marchés des Capitaux[14] voire une Union fiscale plus poussée.
Références
Agarwal S., Lucca D., Seru A., and Trebbi F., (2014), ”Inconsistent Regulators: Evidence from Banking », The Quarterly Journal of Economics, Volume 129, Issue 2, 1 May 2014, Pages 889–938
Arnould G. and Dehmej S., 2016, “Is the European banking system robust? An evaluation through the lense of the ECB’s Comprehensive Assessment”, International Economics 147 (2016) 126–144
Bruegel, 2016, “European Banking Supervision: The First Eighteen Months”, Blueprint series 25
Cour des Comptes Européenne, 2016, « Mécanisme de surveillance unique : les débuts sont réussis, mais des améliorations sont nécessaires », Rapport spécial No 29/2016
EBA, 2016a, “2016 EU‐Wide Stress Test: Results”
EBA, 2016b, “Report on the Convergence of Supervisory Practices”
ECB, 2014, “Aggregate Report on the Comprehensive Assessment”
ECB, 2016, “ECB Banking Supervision publishes outcome of SREP 2016 and recommendations on dividends and variable remuneration for 2017”, Press release 15 December 2016
Nouy D., 2015, The Single Supervisory Mechanism after one year: the state of play and the challenges ahead , Speech at Banca d’Italia conference “Micro and macroprudential banking supervision in the euro area”, Milan, 24 November 2015.
Pacter P., 2015, “IFRS as global standards: a pocket guide”, IFRS Foundation, London
Véron N., 2017, “Precautionary recapitalisation: time for a review?”, Bruegel, Policy Contribution Issue n˚21 | July 2017
Véron N., 2015, “Europe’s Radical Banking Union”, Bruegel Essay and Lecture Series
[1] L’ “Outright Monetary Transactions” est une opération lancée le 6 septembre 2012 par la BCE pour faire combattre la divergence des taux des obligations souveraines au sein de la zone Euroo (voir : « La sterilisation des interventions des banques centrales : concept, modalites et interrogations dans le cadre de l’OMT de la BCE »)
[2] Les « Non-Performing Loans » ou créances douteuses, sont des prêts dont l’emprunteur interrompt le remboursement du prêt ou des intérêts.
[3] Directorates-General for Micro Supervision
[4]Common Equity Tier 1, le CET1 est le capital de meilleure qualité de la banque, principalement composé de titres ordinaires et mesure la capacité d’absorption des pertes d’une banque.
[5]Bâle III comporte trois piliers : le premier est une exigence de fonds propre communs à toutes la banques, le second consiste en la surveillance de la gestion des fonds propres, qui donne aussi la possibilité à la banque centrale d’exigences en capital discrétionnaires, enfin le troisième pilier repose sur la discipline de marché.
[6] Le crédit d’impôt différé est comme une créance, lorsque le débiteur n’est pas un client, mais le gouvernement, voir : « Le capital des banques grecques et le mirage des impôts différés »
[7] Supervisory Review and Evaluation Process
[8]En plus de la liste de banques systémiques au niveau mondiale, gérée par le Conseil de Stabilité Financière, la zone euro a ajouté une liste d’établissements systémiques de manière domestique (« Other Systemically Important Banks »).
[9]L’assurance dépôt est unifiée en zone euro depuis 2010 à un plafond de 100 000 euros par personne et par banque.
[10]Un créditeur sénior sera toujours remboursé en priorité par rapport à un créditeur junior. Les taux sur les dettes sénior sont donc plus faible car ces dettes sont moins risquées.
[11]Bank Recovery and resolution
[12]En Italie, les créditeurs séniors sont aussi souvent les clients de la banque, créant une situation complexe pour le bail-in.
[13] International Financial Reporting Standards